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Olympe de Gouges aurait été une fabuleuse blogueuse

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marie olympe de Gouges par Olivier Blanc.jpg


Philippe Bélaval, le président du Centre des monuments nationaux, rendra le 9 octobre ses conclusions sur les personnalités auxquelles il serait pertinent de faire les honneurs d'une sépulture au Panthéon.

Du 2 au 22 septembre, les internautes avaient tout loisir de donner leur avis sur la question. Elles/ils ont été 30 715 à faire part de leurs préférences. Parmi les 1 200 panthéonisables, les femmes sont majoritaires. Choix judicieux, et nécessaire si l'on veut qu'à la fin soit entériné le principe égalitaire qui fait l'essence et la substance, l'alpha et l'oméga, de la démocratie, puisque le Panthéon n'a jusqu'ici accueilli que deux femmes, épouse chacune d'un homme aussi (dans le cas de Marie Curie) ou davantage (dans celui de Sophie Berthelot) panthéonisé qu'elles-mêmes.

Voir l'article de l'AFP publié sur News Republic à ce sujet


Pendant que FrançaisEs et étrangErEs se prononçaient sur le site du Centre des musées nationaux, je l'espère d'emblée en faveur d'Olympe de Gouges, j'interrogeais Graciela Barrault, la conceptrice du projet Olympe de Gouges 2.0.

Graciela Barrault a grandi en Argentine, pendant la dictature. Elle vit en France depuis le début des années 1990. Elle est documentariste et ingénieuse du son.

En 2012, elle reçoit la bourse Olympe de Gouges, décernée par la ville de Montauban, pour développer un musée virtuel consacré à celle qu’elle admire, et qu’elle semble connaître presque aussi bien que l’historien Olivier Blanc, le spécialiste par excellence de cette femme des Lumières.

Mais, ainsi que l'observe Graciela Barrault, "on ne tue pas des idées", et il n'est jamais trop tard pour rendre justice à celles, ou ceux, qui les ont énoncées et défendues au prix de leur vie. 

Le féminisme, l'humanisme, la détermination et le courage d'Olympe de Gouges furent remarquables, et il est temps désormais qu'ils soient remarqués par les historienNEs, dans les manuels d'histoire, et aussi au Panthéon. 

 

Sylvia Duverger : Pourquoi consacrer à Olympe de Gouges un musée virtuel, accessible depuis tout ordinateur connecté et ouvert à toute heure du jour et de la nuit ?

 

Graciela Barrault : Je travaille depuis plus d’un an à présent à mettre en place une plate-forme qui permettra au public le plus large possible de prendre la mesure de la modernité et de la pertinence de la pensée d’Olympe de Gouges.  

Elle est née en 1748 et elle est morte en 1793, mais ses textes sont d’une drôle d’actualité !

Figure méconnue de la Révolution française, humaniste et féministe avant l’heure, elle fut de tous les combats : abolition de l’esclavage, justice sociale, impôt sur le luxe, solidarité avec les démuniEs, avec les personnes âgées, droit au divorce, rejet de la peine de mort, égalité femmes-hommes, nécessité de créer des maternités pour diminuer l’effrayante mortalité des parturientes… ses combats anticipent ceux des XXe et XXIe siècles.

Pendant la Révolution, elle publiait des brochures, elle faisait coller des placards et des affiches pour influer sur le cours des choses… si elle avait vécu aujourd’hui elle aurait certainement tenu un blog…Il semble donc judicieux de diffuser sa pensée en recourant à des médias d’aujourd’hui.



 

 

Olivier Blanc présente Olympe de Gouges, qu'il a découverte quand il avait 8 ans et qui l'intriguait. Entretien, tournage et montage de Graciela Barrault dans le cadre d'Olympe de Gouges 2.0



À quel public s’adressera Olympe de Gouges 2.0 ?


Au grand public (jeunes et moins jeunes) et aux spécialistes (historienNEs, professeurs de lettres, féministes…).

Des animations/expositions devraient séduire un large public. Grâce aux applications de type mobile, il sera possible de visualiser facilement la réalité historique du siècle des Lumières et de la Révolution, celle à laquelle Olympe avait part et où elle œuvrait à plus d’égalité.

Et pour les spécialistes, Olympe de Gouges 2.0 constituera un lieu de rencontre interactif et participatif, un lieu d’échanges et une source d’informations aisément accessibles et constamment disponibles. L’objectif est aussi international : en trois langues français, anglais, espagnol.

 

 

Il y aura aussi de « grands entretiens » avec des chercheurs et chercheuses ayant travaillé sur Olympe de Gouges…


Oui, en effet. Nous avons fait et filmé des entretiens avec Olivier Blanc, Geneviève Fraisse, Jean-Luc Chappey, historien spécialiste de la Révolution française, Clarissa Palmer, qui a consacré sa thèse à Malesherbes et Olympe de Gouges, et Benoîte Groult, qui a édité en 1986 la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.

Mon objectif est en effet de donner un aperçu de l’œuvre d’Olympe de Gouges, de faire le portrait de cette femme de lettres engagée dans le processus révolutionnaire.

En allant de sa pièce antiesclavagiste Zamore et Mirza, ou l’heureux naufrage déposée à la Comédie française en 1785, donc juste avant la Révolution, jusqu’à sa mort, en novembre 1793, Olympe de Gouges 2.0 dessinera ce qu’Olivier Blanc, le conservateur de ce musée virtuel, définit comme « un engagement au féminin ».  Il montrera comment son œuvre écrite se mêle de politique, et comment elle constitue en elle-même une action politique.

Bien entendu des extraits de Marie-Olympe de Gouges, une humaniste à la fin du XVIIIe siècle, le dernier des ouvrages qu’Olivier Blanc lui ait consacré, seront proposés en accès numérisés, comme des focus spécialisés.  Il est en effet le premier à avoir consulté les archives de façon systématique à son sujet, et il a pour elle une véritable passion. Son minutieux travail de recherche lui a permis de la défendre contre ses détracteurs et d’invalider les préjugés historiographiques à son sujet. 

Mais le musée proposera en outre des enregistrements et des vidéos d’une partie des initiatives intéressantes visant à faire connaître la vie et la pensée d’Olympe de Gouges, tel le colloque  « L’Abbé Grégoire et les droits des femmes », qui s’est déroulé au CNAM en mars 2012,  - Olympe de Gouges a correspondu avec l’abbé Grégoire –  ou les Rendez-vous de l’histoire à Blois 2012, lors desquels l’historien Pierre Serna a présenté « Olympe de Gouges ou la lutte continue d’une femme » avec Catel et Bocquet leur désormais fameuse bande dessinée Olympe de Gouges ;

des lectures dans la Maison des Métallos, lors desquelles Elsa Solal a fait découvrir Leonard Peltier à côté d’Olympe de Gouges.

Nous avons par ailleurs filmé une représentation de la pièce d’Annie Vergne et de Clarissa Palmer, Olympe de Gouges porteuse d’espoir, qui se joue au Guichet Montparnasse jusqu’en décembre, et dont il a été question à La fabrique de l’histoire, sur France culture, lors d’une émission qui a bien mis en évidence la modernité d’Olympe de Gouges

 

 

Extraits de l'intervention d'Olivier Blanc sur les stéréotypes dont Olympe de Gouges fut affublée ; colloque "L'abbé Grégoire et les droits de la femme", CNAM, 8 mars 2012. Tournage et montage Graciella Barrault.



Et vous proposerez aussi, je crois, des mises en scène de certains des textes d’Olympe de Gouges…

Ce sera en quelque sorte un dialogue entre hier et aujourd’hui, un dialogue en mouvement, comme l’est aussi l’histoire. L’interprétation d’une comédienne donnera vie aux textes d’Olympe de Gouges ; il s’agira d’exactes citations et non pas de fictions ; le costume d’époque soutiendra la représentation, et la parole de l’historien permettra de resituer ce discours dans le flot bouillonnant des idées du XVIIIe siècle.

Nous avons, par exemple, tourné 10 minutes de cette proposition d’échange  entre le passé et le présent avec la comédienne Juliette Stevez, qui interprète Olympe de Gouges dans la pièce Olympe de Gouges porteuse d’espoir de Clarissa Palmer et Annie Vergne.

 

Les contenus d’Olympe de Gouges 2.0 sont donc de teneurs et de formats différents…

 

Oui c’est pourquoi l’élaboration de la plate-forme est complexe ! D’autant que nous souhaitons que l’on puisse y accéder en fonction de ses centres d’intérêt et par thématique – selon que l’on s’intéresse au théâtre, aux affiches révolutionnaires, à la pensée féministe, à la question de l’esclavage. Coexisteront un accès chronologique et guidé – l’on pourra suivre le parcours proposé par notre conservateur - et un accès sémantique, par mot clé.

Se situant à la croisée de la recherche, du Web sémantique, de la participation des chercheuses ou chercheurs et du public, ce musée transmédia est un nouvel objet, et comme tel un défi à relever. Les portes de notre musée ne ferment jamais. Échange, partage, transmission des flux et des savoirs sont au cœur du projet autant que la question du “point de vue” - celle de la qualité et du choix du contenu éditorial - dans la sphère du Web 2.0.

 

 

A suivre


"J'ai tout prévu, je sais que ma mort est inévitable"

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marie olympe de Gouges par Olivier Blanc.jpg



Une autodidacte, non pas une illettrée

 

Lors de son procès, le 2 novembre 1793, Fouquier-Tinville suggéra qu’elle n’était peut-être qu’un « prête-nom », et non pas l’auteure de ses affiches – l’on parlerait aujourd'hui de tracts – envoyées à la Convention, au Comité de salut public, à des hommes politiques, puis placardées dans Paris.

 

Mais Olympe de Gouges savait lire et écrire, contrairement à ce qui a été dit. Sa graphie et son orthographe étaient certes hasardeuses, aussi dictait-elle ses pièces, ses pamphlets et son courrier à des secrétaires. Mais elle n’était pas la seule des auteurEs à le faire, ni ne se distinguait en cela de « bon nombre de privilégiéEs du nom et de la fortune » [1].

 

 

Une écrivaine entretenue, non pas une épouse

 

Veuve à 16 ans et mère d’un fils, si elle ne fut pas une courtisane, elle reçut cependant de substantiels legs d’argent du fortuné Jacques Biétrix de Villars de Rozières [2]. Mais rien n’atteste qu’elle n’ait éprouvé de sentiments qu’intéressés à son égard.

Elle vécut avec lui, elle eut même peut-être de lui une fille, mais elle refusa toujours de l’épouser, afin de conserver pleine et entière sa liberté. Sous l’Ancien Régime, une femme mariée était la proie de son époux : même quand il était avéré qu’elle subissait de sa part des violences et des sévices, le Châtelet ou le Parlement rejetait sa demande de séparation [3].

Plutôt que le mariage, Olympe de Gouges eut aimé pouvoir contracter « un contrat d’union d’homme et de la femme », qui eut permis à chacunE d’avoir des liaisons et des enfants avec d’autres partenaires. [4]

Lorsque Jacques Biétrix lui eut constitué une rente suffisante, Olympe de Gouges vécut seule avec son fils, Pierre Aubry. Grâce à ces revenus, elle put écrire et participer ainsi à la vie politique. Jusqu’à la fin de sa vie, elle consacrera des sommes importantes à faire imprimer et placarder des affiches où elle exprime ses idées politiques.

 

 

« Une humaniste éprise de paix et de réconciliation » [5]

 

Olympe de Gouges s’est publiquement déclarée contre les colons esclavagistes, elle a pris nettement le parti des NoirEs, précisément « au moment où le plus violent orage éclatait contre leurs défenseurs », estime l’un des fondateurs de la  Société des amis des Noirs, le girondin Brissot [6].

 

 

Une héroïne tragique

 

Elle n’était ni folle ni hystérique, comme certains de ses ennemis l’ont écrit [7], et comme l’ont ânonné plusieurs des historiographes du XIX et du XXe, trop contentEs sans doute de discréditer une femme qui était morte pour avoir refusé de se taire, au prix même de sa vie [8].

 

Ce n’était pas une hystérique, mais une héroïne tragique, car elle avait pleinement conscience du péril qu’elle courait et elle persévéra à vouloir faire entendre sa voix, à tenter d’influer sur le cours des choses politiques, alors qu’il fut devenu bourbeux, plombé et sanglant.

 

Le 15 décembre 1792, elle a osé « après le courageux Malesherbes » s’offrir « pour être le défenseur de Louis » Capet, et appeler de surcroît à la clémence : le roi était indéniablement fort coupable, mais l’homme devait être pris en pitié. Sans doute était-elle longtemps demeurée favorable à une monarchie constitutionnelle. Mais ce n’est pas la raison suffisante de sa clémence : elle était hostile par principe à la peine de mort [9], et à la violence.

 

Elle fut l’une des rares à dénoncer publiquement la violence meurtrière qui s’était emparée des révolutionnaires en août 1792 : « Le sang, disent les féroces agitateurs, fait les révolutions. Le sang même des coupables, versé avec profusion et cruauté, souille éternellement les révolutions » [10].

 

 

Elle fut arrêtée le 20 juillet 1793. Mais depuis un certain temps déjà, elle avait conscience que sa vie était en danger.

 

Elle avait fait l’objet de tentatives d’agression et d’intimidation.

En avril 1793, au moment de la publication de ses Œuvres politiques, elle s’adresse aux journalistes en précisant que « c’est au dernier moment de sa vie que Mme de Gouges dicte ces lignes. » [11]

Le 1er juin 1793 le député Roland, dont l’arrestation avait été ordonnée, parvient à s’enfuir. C’est Manon Roland (Madame Roland, sa femme) qui est à sa place arrêtée…  Elle sera guillotinée le 8 novembre 1793, quelques jours après Olympe de Gouges.

Le 2 juin, les Girondins perdent la partie politique.

Le 9 juin, Olympe de Gouges ose adresser une lettre à la Convention dans laquelle elle prend la défense des Girondins arrêtés ou proscrits : « Si 32 victimes peuvent éteindre les haines et les passions, si elles peuvent faire déclarer par les puissances étrangères la République indépendante et détruire l’armée des contre-révolutionnaires, hâtez-vous de faire couler  leur sang sur les échafauds, je vous offre une victime de plus. Vous cherchez le premier coupable ? C’est moi. Frappez, j’ai tout prévu, je sais que ma mort est inévitable. »[12]

C’est aussi en juin 1793 qu’aux Tuileries Théroigne de Méricourt fut fustigée sous la risée du public, au point de sombrer dans la folie.

Il n’empêche, le 20 juillet, Olympe de Gouges s’apprête à faire placarder une affiche intitulée Les 3 urnes ou le salut de la patrie par un voyageur aérien. Elle espère persuader de laisser les départements choisir lequel des gouvernements, républicain, fédéral ou monarchique, ils jugent le meilleur. Or, le 29 mars, une loi a été promulguée punissant de mort quiconque défendrait dans ses écrits un autre gouvernement que le républicain, un et indivisible.[13]

Olympe de Gouges est arrêtée, dénoncée par son afficheur ; et dès lors emprisonnée.

 

A la mi-août 1793, elle parvient à faire connaître son emprisonnement. Dans son affiche, Olympe de Gouges au tribunal révolutionnaire, citant l’article 7 de la Constitution, elle s’enquiert : « La liberté des opinions n’est-elle pas consacrée comme le plus précieux patrimoine de l’homme ? » Mais elle accuse aussi.  Et Robespierre, elle le qualifie d’ambitieux, « sans génie, toujours prêt à sacrifier la Nation entière pour parvenir à la dictature »[14].

 

Son procès eut lieu le 2 novembre et le 3 novembre 1793, à l’âge de 45 ans (et non pas 38 comme elle le déclare), elle est guillotinée [15].

 

 En complément 


Sur la modernité d'Olympe de Gouges, voir la première partie de notre entretien avec la documentariste Graciela Barrault, conceptrice du musée virtuel Olympe de Gouges 2.0 et les extraits de l'entretien qu'elle a réalisé avec Olivier Blanc.


Sur le féminisme d'Olympe de Gouges, voir notre entretien avec Geneviève Fraisse, l'article de G. Fraisse, "Olympe de Gouges et la subversion dans l'histoire" et les extraits de l'entretien que Graciela Barrault a eu avec elle, "Olympe de Gouges auteure autodidacte" et son commentaire de la "Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne".

 

 

 

 



[1] Olivier Blanc, Marie-Olympe de Gouges, une humaniste à la fin du XVIIIe siècle, éditions René Viénet, 2003, p. 16.

[2] Ibid., p. 39 sq.

[3]Ibid., p. 40.

[4] Voir O. de Gouges, Droits de la femme et de la citoyenne, 1791 ; O. Blanc, p. 32.

[5] O. Blanc, p. 15

[6] Cité par O. Blanc, p. 91.

[7] Tel le comédien Fleury, dans ses Mémoires, Fouquier-Tinville, qui a rédigé son l’accusation qui l’a fait guillotinée ou Desessarts, « chargé de flétrir la mémoire » de qui avait été condamnéE par le Tribunal révolutionnaire ; voir O. Blanc, p. 47 et 51.

[8] Parmi ces historiographes (Edouard Forestié, Alfred Guillois, Léonce Grasilier…), il faut malheureusement compter une femme, Chantal Thomas ; voir O. Blanc, p. 247 sq.

[9]Ibid., p. 185.

[10] O. De Gouges, la Fierté de l’innocence, cité par O. Blanc, p. 173.

[11] Citée par O. Blanc, p. 196.

[12] O. de Gouges, Testament politique, 1793 ; cité par O. Blanc, p. 199.

[13] O. Blanc, p. 199- 207.

[14] Citée par O. Blanc, p. 209-210.

[15] O Blanc, p. 222-223.

Olympe de Gouges est "une figure emblématique du féminisme" estime François Hollande

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Depuis 1989, Olympe de Gouges est la plus citée parmi les femmes qui pourraient être panthéonisées.


A partir du bicentenaire de la Révolution française, l’historienne Catherine Marand-Fouquet œuvre à ce que la nation française reconnaisse enfin le rôle qu’Olympe de Gouges a joué dans le cours démocratique de son histoire : son antiracisme et son antisexisme, sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791) doivent être portés à la (re)connaissance  publique. En 1993, Catherine Marand-Fouquet organise une manifestation devant le Panthéon, pour commémorer la mort d'Olympe de Gouges, guillotinée le 3 novembre 1793, après et avant d’autres GirondinEs.

Voir notre entretien avec Geneviève Fraisse à ce sujet.


Le 7 mars 2007, pendant la campagne présidentielle  Ségolène Royal déclare : « Ici, à Dijon, je vous le dis, si je suis élue présidente de la République, Olympe de Gouges entrera au Panthéon, ce grand monument si peu accueillant aux femmes qu'il porte à son fronton ‘Aux grands hommes la patrie reconnaissante’ ». 


Le 8 mars 2013, la candidate socialiste à la mairie de Paris, Anne Hidalgo, propose le transfert symbolique d’Olympe de Gouges au Panthéon, « référence » féministe et admirable représentante des « grandes inconnues de l’Histoire ».


Le 30 septembre 2013, c’est au tour de l’ancien ministre Martin Malvy de se déclarer en faveur d’Olympe de Gouges dans les colonnes de Libération.


En septembre, les lectrices et lecteurs du site des « passionnés d’histoire », Hérodote.net, ont récemment plébiscité Olympe de Gouges, qui supplante Denis Diderot.


Mardi 2 octobre, des textes d’Olympe de Gouges ont été lus par Céline Samie, de la Comédie française. Hommage juste et nécessaire quand on sait combien les comédienNEs du Théâtre français ont maltraité Olympe de Gouges de son vivant, négligeant par exemple de jouer des pièces qu’ils/elles avaient pourtant fait entrer à leur répertoire, et qui ne pouvaient donc plus être représentées sur une autre scène. Olympe de Gouges dut notamment témoigner d’une grande ténacité pour que sa pièce contre l’esclavage fût jouée, encore ne le fut elle que le temps de dresser le parti des colons contre sa témérité.



Olivier Blanc revient sur les rapports d'Olympe de Gouges et de la Comédie française. Entretien réalisé par Graciela Barrault.


Mardi soir, lors de cette lecture au Panthéon, Najat Vallaud-belkacem, la ministre des droits des femmes, et Christiane Taubira, la garde des Sceaux, étaient présentes : Olympe de Gouges est enfin considérée comme une figure politique majeure de l'histoire française.


 

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Le 2 octobre 2013, au Panthéon, la comédienne Céline Samie et les ministres Najat-Vallaud-Belkacem et Christiane Taubira, lors de la lecture de textes d'Olympe de Gouges. © Graciela Barrault.


En attendant de connaître le contenu du rapport que Philippe Belaval, le président du Centre des monuments nationaux rendra le 9 octobre à François Hollande, où il serait plus qu'étonnant qu'Olympe de Gouges ne tienne pas une place prépondérante, voici la seconde partie de notre entretien avec la documentariste Graciela Barrault, qui a entrepris de lui consacrer un musée virtuel.


Graciela Barrault a grandi en Argentine, pendant la dictature. Elle vit en France depuis le début des années 1990. Elle est documentariste et ingénieuse du son.

En 2012, elle reçoit la bourse Olympe de Gouges, décernée par la ville de Montauban, pour développer un musée virtuel consacré à celle qu’elle admire, et qu’elle semble connaître presque aussi bien que l’historien Olivier Blanc, le spécialiste par excellence de cette femme des Lumières.

Mais, ainsi que l'observe Graciela Barrault, "on ne tue pas des idées", et il n'est jamais trop tard pour rendre justice à celles, ou ceux, qui les ont énoncées et défendues au prix de leur vie. 

Le féminisme, l'humanisme, la détermination et le courage d'Olympe de Gouges furent remarquables. François Hollande estimera-t-il qu’ils doivent faire l’objet d’une reconnaissance nationale ? C’est ce que nous saurons bientôt. Le fait est qu'il a témoigné de son intérêt pour le projet olympe de Gouges 2.0.

 

Sylvia Duverger

 

 

La première partie de notre entretien avec Graciela Barrault, « Olympe de Gouges aurait été une fabuleuse blogueuse »

 

 

Qu’est-ce qui vous a conduite à vous intéresser à Olympe de Gouges ?

Graciela Barrault. J’avais réalisé pour France 3 un documentaire sur des femmes prises dans la tourmente de l’assassinat du préfet Erignac, Femmes, témoins dans une affaire d’État.

Depuis longtemps je me posais la question des femmes et du politique.

En Argentine, j’ai milité contre la dictature, puis je suis partie à Cuba, dans les années 1980. Les liens entre l’individu, la politique et la grande Histoire ; la question de l’engagement et celle de l’oubli ou de l’effacement de l’Histoire m’ont toujours intéressée. Et puis, l’histoire de la Révolution française me passionne. Liberté, égalité, fraternité, c’est toujours révolutionnaire.

 

Fraternité pose problème…

Oui, c’est vrai, mieux vaudrait parler de solidarité. Olympe de Gouges, d’ailleurs, était particulièrement soucieuse de solidarité, puisqu’elle a imaginé les prémisses de notre sécurité sociale, qu’elle s’est soucié des emprisonnéEs pour dettes, des viellardEs sans revenus et des ouvrierEs sans emploi.

 

Comment avez-vous eu l’idée de consacrer un musée virtuel à Olympe de Gouges ?

C’est un producteur toulousain qui m’a parlé d’elle. « Elle devrait t’intéresser », m’a-t-il dit. Et il avait raison : Olympe de Gouges est pleinement dans l’action politique, mais elle refuse la violence, elle opte pour la médiation de l’écrit, de la pièce de théâtre aux placards affichés en passant par les lettres adressées aux détenteurs de pouvoirs, et elle a même tenté de fonder un journal [1].

L’idée d’un musée virtuel m’a quant à elle été inspirée par l’affichage politique (média très innovant à l’époque) auquel elle a eu recours pour faire connaître son opinion.

Il y avait là, dans sa façon de faire de la politique, quelque chose qui faisait écho au choix que j’avais moi-même fait, de ne pas prendre les armes, mais de faire des documentaires.

Olympe de Gouges est la révolutionnaire à laquelle il m’est le plus facile de m’identifier parce qu’elle est en constante évolution et qu’elle est traversée par des contradictions ; il est très difficile de la cataloguer ; elle est à la fois modérée – elle est monarchiste en 1789, elle n’est pas favorable à la Terreur en 1793 - et radicale toujours, lorsqu’il s’agit de dénoncer les injustices. C’est ce qui fait sa singularité et aussi sa modernité. Et puis elle a commencé à réfléchir en passant par le théâtre, ce que je trouve passionnant. Elle est à la fois une écrivaine et une tête politique ; en fait, elle ne cesse pas un instant de faire de la politique.

J’admire aussi beaucoup Louise Michel, mais c’est une personnalité en un sens plus simple que celle d’Olympe de Gouges : Louise Michel fait partie des personnalités tranchantes, d’un seul tenant, elle relève des hauts contrastes, ceux du noir et du blanc ; tandis qu’Olympe de Gouges se situe dans la gamme des gris. Or il me semble que l’Histoire a beaucoup de mal avec les nuances. Mon coup de foudre pour Olympe de Gouges vient pourtant de là : c’est sa complexité, sa polyphonie qui ont capté mon attention.


 

Entretien de Graciela Barrault avec Benoîte Groult : Olympe de Gouges est un modèle.



Vous ne vous êtes pas  inspirée de musea, le musée virtuel de l’histoire des femmes et du genre, qui diffuse (avec bien peu de moyens malheureusement) connaissances et réflexions sur l’évolution du féminin et du masculin ?

Non, j’ai eu connaissance de musea a posteriori, lorsque j’ai commencé à faire des recherches des thématiques liées à Olympe de Gouges.

Mais l’échange et le partenariat avec des démarches comme celles de musea font partie de l’objectif d’Olympe de Gouges 2.0.  Olympe de Gouges est aussi une figure véhiculaire, qui permet de parler de l’histoire de la Révolution, de l’histoire des femmes, de la lutte contre les inégalités, les discriminations, etc.

  

Comment votre projet est-il accueilli ?

Nous avons remporté la bourse Olympe de Gouges, ce qui signifie qu’il a plu.

Lorsque je le présente à une institution – une bibliothèque, un musée, un centre de documentation, des archives… -  il rencontre quelquefois encore de l’étonnement – Olympe de Gouges n’est pas connue de touTEs –, puis, une fois que j’ai retracé sa vie et expliqué sa pensée, il suscite de l’intérêt…

Le projet intéresse, par exemple, les Archives nationales, le  Centre national des monuments nationaux (CNMN), la bibliothèque Marguerite Durand, spécialisée dans l’histoire des femmes, le centre de ressources et d’information sur les multimédia pour l’enseignement supérieur (Cerimes), Marie-Emmanuelle Plagnol, qui est professeure de littérature du XVIIIe siècle à l’université Paris Est Créteil Val-de-Marne, la Bibliothèque de documentation internationale (BDIC), à l’origine d’une très belle exposition où figuraient des affiches d’Olympe de Gouges, l’exposition Affiche-Action, le CNDP (centre national de la documentation pédagogique)…

  

Pourquoi le contenu que vous avez rassemblé ne se trouve-t-il pas encore sur le site ?

Les soutiens financiers manquent terriblement. La bourse a permis de commencer à engranger du contenu, mais Olympe de Gouges 2.0 n’existe pas encore : il n’y a aujourd’hui qu’une page de présentation du projet, et il faut mettre en place l’architecture de la plateforme web !

Nous avons fait tout un travail de choix en amont, et la conservation/le commissariat d’expositions est très avancé ; quant à ce que nous avons tourné, cela représente en quelque sorte le commencement de la « collection permanente ». Mais il nous faut construire l’édifice, ses archives et l’administration nécessaire à son fonctionnement, même s’il prendra place dans un monde « dématérialisé ».

 

 

Récemment, sur France Culture, Jean-Noël Jeanneney, interrogé sur les femmes qui pourraient entrer au Panthéon, a non seulement tardé à donner des noms de femmes – il a fallu que Marc Voinchet insiste -, mais il n’a pas, pour autant, cité Olympe de Gouges…[2]

Olympe de Gouges ne plaît pas à tous les gardiens de la Révolution française. Elle est restée favorable à une monarchie constitutionnelle, elle a osé se proposer comme défenseuse de Louis XVI, elle était girondine...

Et puis elle a refusé que les femmes – qui ont d’ailleurs bel et bien œuvré à la Révolution –[3], soient exclues du politique. La question de l’exclusion des femmes au moment de la Révolution française, et à sa suite, continue de faire problème. Geneviève Fraisse l’a fort bien montré dans ses ouvrages[4]. Exclure les femmes du politique requiert que l’on efface celles qui ont combattu pour l’obtention des droits civiques : Olympe de Gouges, et les autres actrices de la Révolution française ont été caricaturées, puis oubliées.

Longtemps, d’Olympe de Gouges, on n’a  lu que deux ou trois lignes dans les manuels d’histoire. Il aura fallu le renouveau féministe des années 1970, puis la première édition de la biographie d’Olivier Blanc, en 1981, pour la sortir de la caricature et de l’anecdote. Ensuite, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution, les textes d’Olympe de Gouges ont enfin été joués et réédités.

 

Vous pensez qu’elle va entrer au Panthéon ? 

C’est la Convention gouvernée par Robespierre qui a fait guillotiner Olympe de Gouges. C’est pourquoi, en dépit des pétitions qui circulent en sa faveur depuis au moins 2007, et la proposition d’Anne Hidalgo en mars dernieril n’est pas sûr qu’elle entre au Panthéon, même si elle est « la véritable et authentique Marianne de la République française », comme le dit si bien René Viénet, l’éditeur de Marie-Olympe de Gouges, dans la chronique qu’il a publiée sur le site du Huffington Post en mars dernier. C’est en tout cas ce qu’il craint.

Mais je veux y croire quand même. Le 31 mai dernier j’ai envoyé un courrier au Président de la République dans lequel je lui rappelais qu’en 1989 l’historienne Catherine Marand-Fouquet avait demandé à François Mitterand de faire entrer Olympe de Gouges au Panthéon ; Mitterand avait répondu qu’il était peut-être un peu tôt pour cela… François Hollande sera-t-il celui qui jugera que la France doit à présent honorer l’auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ? Je veux le croire.

Puisque le 14 juin dernier, j’ai reçu un courrier de son chef de cabinet m’assurant de « tout l’intérêt » de François Hollande pour mon projet, et qualifiant Olympe de Gouges de « figure emblématique du combat féministe ».

 Aujourd’hui grâce aux révolutions technologiques, il est possible de faire vivre les idées, de les propager, de les partager avec une rapidité et une amplitude inégalée. Je mise là dessus pour placer Olympe de Gouges dans la reconnaissance et la visibilité qu’elle mérite. Si elle n’est pas panthéonisée, mais que ses idées sont véhiculées par les technologies les plus actuelles, le performatif de son souhait sera enfin suivi d’effet, car à l’instant de monter sur l’échafaud, elle a dit : « Enfants de la patrie vous vengerez ma mort ! » Car elle a été emprisonnée puis guillotinée fort injustement, comme nombre de GirondinEs, alors même qu’elle avait toujours été une ardente défenseuse de la souveraineté du peuple tout entier, femmes y compris, et parce qu'elle refusait de se taire et de consentir à la Terreur.

 

En complément

 

« J’ai tout prévu, je sais que ma mort est inévitable », déconstruction des préjugés ayant cours sur Olympe de Gouges, fondée sur l’ouvrage d’O. Blanc, par Sylvia Duverger

 

Lire un chapitre des Femmes et leur histoire, « La démocratie exclusive, un paradigme français, de Geneviève Fraisse, republié sur Féministes en tous genres.

 

« Olympe de Gouges et la subversion dans l’histoire », par Geneviève Fraisse, republié sur Féministes en tous genres.

 

 

 

Réécouter sur France culture

 

Olympe de Gouges, une femme du XXIe siècle …

Un documentaire de Séverine Liatard et Séverine Cassar,  La Fabrique de l’histoire, 17 septembre 2013


 

Bientôt sur Féministes en tous genres, des extraits des  textes rédigés par Olympe de Gouges en 1793, tandis qu’elle était emprisonnée et se savait très probablement condamnée.

 



[1]Ibid., p. 114 sq.

[3]Écouter l’émission La Fabrique de l’histoire du 19 septembre 2013.

Voir Jean-Clément Martin,  La révolte brisée : Femmes dans la Révolution française et l'Empire , Armand Colin, 2008 et sa bibliographie ; une autre bibliographie sur le site de l’académie de Grenoble.

 

[4]G. Fraisse, Muse de la raison (1989, réédité en 1995 en Folio Gallimard) et Les femmes et leur histoire (Gallimard, coll. Folio, 1998, réédité en 2010) ;  Les deux gouvernements : la famille et la cité (Gallimard, coll. Folio, 2000).

 

Olympe de Gouges : une féministe, une humaniste, une femme politique

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Le 3 novembre 2013, il y aura 220 ans qu’Olympe de Gouges (1748-1793) a été guillotinée. L’historien Olivier Blanc, spécialiste incontesté d’Olympe de Gouges et auteur de la monographie la plus étayée sur cette femme politique majeure de l’histoire de France – Marie-Olympe de Gouges, une humaniste à la fin du XVIIIe siècle -, répond à celles et ceux qui ne la verraient pas d'un bon oeil entrer au Panthéon. 



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Olympe au Panthéon :

Une féministe, une humaniste, une femme politique






 

Par Olivier Blanc

 

Pour dissuader le président de la République de choisir Olympe de Gouges, représentante des femmes engagées en politique, d'entrer au Panthéon, l'extrême gauche la plus ringarde fait feu de tout bois. Fidèle aux vielles méthodes - staliniennes - Florence Gauthier (Paris 7-Diderot) qui n'a jamais lu les écrits d'Olympe et n'a jamais publié sur elle autre chose qu'un brûlot d'apparence scientifique en réponse à un très bel article de presse de Myriam Perfetti paru dans l'hebdomadaire Marianne (17 août 2013), affirme sur son blog, au mépris de toute vraisemblance, qu'Olympe de Gouges fut une contre-révolutionnaire favorable à la loi martiale !

Je ne m'appesantirai pas sur la valeur relative de cette épithète de « contre-révolutionnaire », que l'on ne peut même pas appliquer au plus réactionnaire des Constituants de 1791 qui, par ses travaux "révolutionnaires" stricto sensu, aura quand même participé au passage de la monarchie absolue à la monarchie constitutionnelle, une avancée gigantesque qui ne sera suivie qu’au XIXe siècle par les autres États européens. Quoi qu'il en soit, et contrairement à ce qu'affirme gratuitement Florence Gauthier, Olympe de Gouges était plus que réservée sur la constitution de 1791: cette constitution n'offrait ni de droits politiques aux non-propriétaires comme elle (suffrage censitaire), ni aux Noirs des colonies ni aux femmes, trois catégories de citoyen(ne)s auxquel(le)s cette sociale-démocrate avant la lettre a consacré son temps, ses tout petits revenus et, finalement, sa vie. Elle est morte pauvre, à l'inverse de Marat et des Montagnards « de proie » [1] qui l'ont envoyée à l'échafaud.

Avant même la fin des travaux de la Constituante, Olympe de Gouges avait exprimé ses réserves sur cette Constitution (Repentir de Mme de de Gouges), qui était non seulement imparfaite à ses yeux mais dont la traduction dans la loi, pensait-elle, laisserait certainement à désirer. Elle revient régulièrement, notamment dans Le Bon sens français, sur les imperfections de la Constitution, demeurant elle-même attachée au respect de la loi, qu’elle célèbre au cours d’une fête nationale à laquelle (pour la première fois) les femmes sont associées, grâce à elle, et cela jusqu'au 10 août 1792, « événement salutaire, dit-elle, qui a tranché le nœud gordien qui maintenait les bons citoyens dans  l’indécision ».

Le défaut d'Olympe, si l'on peut dire, et c'est apparemment ce que Florence Gauthier ne lui pardonne pas, est de considérer que les choses importantes de la vie publique doivent se résoudre par des délibérations plutôt que par des crises. Son aversion pour la violence venue de la rue et l'utilisation que certains (rarement ceux que l'on croit, pense-t-elle) peuvent en faire, l'a amenée à mettre sévèrement en cause les promoteurs des massacres de septembre, et le premier d'entre eux, Marat, l'ultra-démagogique Marat, aussi transparent qu'une bouteille d'encre, l'idole de Florence Gauthier.

L’article de cette dernière est donc une charge passionnelle, un concentré de contre-vérités, d'amalgames et d'interprétations fallacieuses ou hasardées. On a l'impression qu’elle s'appuie exclusivement sur les numéros de L’Ami du Peuple de Marat pour asseoir ce qui lui tient lieu de démonstration. Je ne me servirai donc pas des numéros du Véritable Ami du Peuple de Roch Marcandier pour lui répondre, même si Marcandier connaissait beaucoup mieux Marat – pour l'avoir longuement et intimement fréquenté aux Cordeliers – que Florence Gauthier. Je veux juste souligner que les Girondins ont été maltraités par l’historiographie française, à commencer par les Thermidoriens (c'est à dire les Montagnards moins Robespierre et ses fidèles), et par les royalistes. En réalité, la démocratie réinventée en 1793 doit beaucoup au parti de la Gironde qui, avant l'assassinat de ses membres, avait su faire face à d'immenses difficultés tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, par la seule voie parlementaire. C'est à cette majorité que l'on doit la loi du maximum des denrées (4 mai 1793) : on ne peut donc pas  dire, comme le fait pourtant Florence Gauthier, que les Girondins ont (Olympe avec eux) « célébré la liberté illimitée du commerce ». C'est à la même majorité girondine que la loi qui pose la République comme une et indivisible a été votée fin mars 1793.

Après l'élimination des Girondins, qui a entraîné un changement notable de majorité, la nouvelle constitution montagnarde de juin 1793 (quand les chefs girondins sont placés au secret en prison) a entériné le droit sacré à la propriété. J'ajoute que les principaux chefs montagnards, auteurs et promoteurs délirants des lois contre les "ennemis de la Révolution", etc.) ont pratiquement tous constitué des fortunes gigantesques dont on commence à peine à mesurer l'importance. Je conseillerai donc à Florence Gauthier d'ôter son bonnet rouge pour écrire l'histoire.

 

Olympe au Panthéon ?


Un certain nombre de personnes mettent en avant le « féminisme » (avant la lettre) de celle qui fut guillotinée pour ses écrits politiques [2]. Parler de féminisme sans cesse et partout, associer son nom à un « club des tricoteuses » accessoirement « lécheuses de guillotine » payées par l’ultra-démagogie [3], n'est-ce pas, au fond, une manière sournoise de disqualifier celle qui a tant donné pour la libre parole des femmes en politique et sur d’autres chasses gardées masculines ? Montrant l'exemple, par ses engagements divers, principalement humains, Olympe a au contraire donné une respectabilité à l'engagement politique au féminin, et cette grande partie de sa vie, dans son intensité et sa dramaturgie, n'était pas destinée à illustrer un « féminisme »  trop caricatural pour être honnête.

C'est pourtant ce « féminisme » très en retrait de l’humanisme d’Olympe qui a été retenu par ceux et celles qui semblent avoir cédé aux sirènes de l’historiographie à bonnet rouge, représentée par Florence Gauthier et ses émules.  N'est-ce pas un peu court, car Olympe a fait bien autre chose que de plaider la cause des femmes ? N’est-ce pas une impasse ? ou, pire, une stratégie destinée à neutraliser une idée formidable : l'entrée au Panthéon de celle qui incarne le mieux l'engagement politique au sens large de la femme moderne ? Olympe par son exemple, sans attendre la consécration légale des droits de la femme, a montré qu'il y avait une place pour elles en politique, notamment en exerçant, comme elle l’a fait, ce droit précieux du préambule de la Constitution de 1789 : la résistance à l'oppression.

Quand les Montagnards de proie, les mêmes d'ailleurs, qui renverseront Robespierre, eurent précipité les ami(e)s politiques d'Olympe dans les prisons et à l’échafaud, elle est la seule femme de son temps à s'être avancée à visage découvert, par la seule force de ses écrits et sans illusion sur la puissance de ses adversaires qui avaient, écrira-t-elle de prison, voilé les droits de l'homme : en un an en effet, la Convention aura réussi ce tour de force macabre consistant à emprisonner près de deux cents représentants du peuple, tant Girondins que Dantonistes et Robespierristes, dont près d'un tiers furent exécutés au prétexte qu'ils étaient des « ennemis de la patrie » et des « contre-révolutionnaires », mots à géométrie variable. Olympe de Gouges, peut-être plus courageuse que bien des hommes de son temps, est entrée en résistance dès le 2 juin 1793, date de l'arrestation des Girondins, jour où la Convention est devenue illégitime à ses yeux, et c'est le 9 qu'elle a publiquement annoncé son soutien à leur cause par une lettre lue puis censurée à la Convention. 

Quel bel engagement politique que celui de la résistance à l'oppression ! Mais justement, c'est là que les choses ne vont pas. Les historiens à bonnet rouge, qui veillent sur soixante-dix ans de chasse gardée, le contrôle quasi exclusif des études universitaires sur la Révolution, ne veulent pas de la promotion d'une « vulgaire » girondine, qui donnerait l'impression que les Girondins représentent, ce qui pourtant était le cas, le parti le plus avancé sur le plan sociétal, ces mêmes Girondins qui ont promu la loi sur le divorce (accueillie avec soulagement par tant de femmes battues), ceux-là mêmes qui, au Club des Amis des Noirs, ont, par leurs actions et leurs écrits dès avant 1788 (comme Olympe), préparé le terrain pour que la Convention abolisse l'esclavage. Les écrits d'Olympe sur les Noir(e)s ou le rapport extraordinaire que Jérôme Pétion a préparé en vue de l'abolition montre assez de quel côté étaient les avancées en matière de droits de l'homme à la Convention. 

Tout cela, faudrait-il donc l’oublier ? La machine à plomber la mémoire est-elle en marche, ou Olympe de Gouges trouvera-t-elle à la fin sa place légitime au Panthéon des Grands Hommes… et des Grandes Femmes ?

 

Olivier Blanc

 

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En complément, un extrait de Marie-Olympe de Gouges, une humaniste à la fin du XVIIIe siècle


Une humaniste éprise de paix et de réconciliation

« Si elle se proclama « loyale et franche républicaine » en s'offrant pour défendre Louis XVI à la barre de la Convention, c'est qu'elle entendait investir une sensibilité républicaine très moderne, essentiellement fondée sur la démocratie et le respect de la Constitution de 1791 qui avait consacré les Droits de l'homme.

Hostile par principe à la peine de mort, elle ne croyait pas d'ailleurs aux « sévérités nécessaires » dont parlaient les Jacobins, car derrière le discours démagogique de plusieurs d'entre eux qui parlaient maintenant de « voiler » les Droits de l'homme, elle leur supposait des intentions totalitaires et, pour son malheur, elle le cria haut et fort. Ils sont rares ces imprécateurs de 1795. On connaissait Roch Marcandier [4], auteur des Hommes de proie, un ami et compatriote de Camille Desmoulins qui s'éleva lui-même contre la Terreur dans les derniers numéros du Pieux Cordelier, qui marquent aussi les dernières semaines de son existence. Mais on avait oublié Olympe de Gouges qui osa elle aussi aborder publiquement les sujets qui fâchent comme la corruption, les détournement de fonds publics, les projets de dictature populaire. Son combat opportuniste aux côtes des Girondins fut, croyons-nous, le prétexte politique qui permit de l'éliminer physiquement, mais c'est l'imprécatrice qu'on voulait faire taire. Quoi qu'il en soit, toutes les mises en garde d'Olympe de Gouges sur les dangers de dérapage de la Révolution sont consignées dans ses écrits depuis 1789. Elle avait pressenti, annoncé la Terreur de 1793 et, au lendemain des massacres de septembre 1792, elle avait eu cette formule magnifique : « J'avais toujours cru qu'une goutte versée en fît verser des torrents. Le sang même des coupables, versé avec cruauté́ et profusion, souille éternellement les révolutions [5]. »

Souvent victime d'une information calamiteuse, Mme de Gouges se trompait parfois dans ses analyses politiques, dans ses conjonctures à l'emporte-pièce, et elle l'admettait après coup. Ainsi s'est-elle longtemps égarée sur la loyauté qu'elle prêtait à Louis XVI, une réputation proclamée par les écrivains gagés de la Cour, qui fut battue en brèche après le 10 août 1792 et la découverte des papiers dissimulés dans « l'armoire de fer » des Tuileries. Sa sagacité politique est donc prise en défaut, d'autant qu'elle céda souvent à sa première impulsion de donneuse de conseils, publiant ses réflexions à chaud. Dans la précipitation qu'elle mettait, elle ne soignait pas suffisamment son style ainsi qu'elle le reconnaissait. Mais une fois décodés, replacés dans le contexte qui les ont inspirés, ses écrits se caractérisent par leur condamnation éloquente de la violence, des abus de droit et des injustices, surtout envers les minorités de couleur et les plus faibles. C'est là véritablement que réside l'originalité d'Olympe de Gouges, et c'est en ce sens que l'on peut affirmer qu'elle fut, au milieu des déchirements entre partis, une humaniste éprise de paix et de réconciliation. » [6]

 

Olympe de Gouges aurait-elle jugé nécessaire que des femmes soient au Panthéon ? Olivier Blanc répond à Graciela Barrault : 

Olympe de Gouges au Panthéon from Graciela Barrault on Vimeo.



Sur Féministes en tous genres, Olympe de Gouges est à l'honneur :

Lire

- notre entretien avec la documentariste Graciela Barrault, responsable du musée virtuel consacré à Olympe de Gouges, Olympe de Gouges 2.0 : première et deuxième parties

- notre entretien avec Geneviève Fraisse, "Olympe de Gouges et la symbolique féministe"

- un article de G. Fraisse, "Olympe de Gouges et la subversion dans l'histoire"

un article de Sylvia Duverger, "J'ai tout prévu, je sais que ma mort est inévitable", déconstruction de certains des préjugés ayant cours sur O. de Gouges  

Voir les vidéos "Olympe de Gouges, une autodidacte", par Geneviève Fraisse, ainsi que La déclaration des droits de l'homme et de la citoyenne

 

 



[1] Note de S. Duverger : sont dits « de proie » ceux des Montagnards qui étaient corrompus.

[2]Les écrits politiques d’Olympe de Gouges ont été réédités aux éditions Côté Femmes en 1993.

[3] Note de S. Duverger. Dans Marie-Olympe de Gouges, une humaniste à la fin du XVIIIe siècle (éditions René Viénet, 2003),  Olivier Blanc précise : « Il est infamant, pour sa mémoire, de parler de sa lâcheté́ devant la mort ou de prétendre qu'elle a été la fondatrice du ‘club des tricoteuses’, sorte de fantasme historiographique qui désigne ces mégères sadiques qui assistaient au supplice des guillotinés de la Terreur et dont le prétendu club n'était autre que le Tribunal révolutionnaire ». Les « tricoteuses » « ont nourri les fantasmes anti-révolutionnaires et l'imagerie du XIXe siècle sous le nom distingué de  ‘lécheuses de guillotine’ » et ce prétendu « club des tricoteuses » n’a jamais existé Voir p. 13 p. 156 et p. 170.

[4] Auteur du Véritable ami du peuple, il fut exécuté avec Marie-Anne Conkarneau, son épouse, le 23 messidor an II.

[5] Olympe de Gouges, La Fierté de l'innocence, Paris, 1792, p. 4.

[6] Pp. 14-15.

Relecture américaine d'Olympe de Gouges

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Par Olivier Blanc, historien spécialiste d'Olympe de Gouges


Pendant des décennies, l’œuvre littéraire et politique d’Olympe de Gouges a été négligée au point que, aujourd’hui encore, malgré les travaux qui lui ont été consacrés, certains ne voient en elle qu’une « féministe », marginale de surcroît. Elle fut, on ne devrait plus l’ignorer, une femme de lettres très douée, une humaniste attachée à l’abolition de l’esclavage dans les colonies, aux réformes sociales et sociétales, et une femme politique engagée, nullement isolée, contrairement à ce qui a été dit, puisque faisant partie du Club des Amis des Noirs -, fameuse association de lutte contre l'esclavage des Noirs, ainsi que le révèle Brissot dans ses papiers inédits, et solidaire du mouvement politique des Girondins, auquel appartenaient son grand ami Louis-Sébastien Mercier, Jacques Antoine Dulaure ou encore Vergniaud et Condorcet, qu’elle fréquentait.

Carol L. Sherman professeur à Chapel Hill (Caroline du Nord), vient de publier un essai -  Reading Olympe de Gouges - dans lequel elle expose les raisons pour lesquelles la réputation actuelle d’Olympe de Gouges est déconnectée de sa personnalité réelle, de son action politique dans la durée (1788-1793) et de la qualité de ses écrits, qui valent largement ceux de quelques gloires littéraires masculines. La misogynie lui semble être un des facteurs de cette désaffection, même si, ce sera peut-être l’objet d’un prochain essai de Carol L. Sherman, les pesanteurs historiographiques universitaires française (notamment la très influente Société des Études robespierristes, fort indulgente avec l'ultra-jacobinisme et anormalement hostile aux Girondins)  jouent aussi leur rôle dans la dévalorisation de cette image.

La première démarche à entreprendre est donc de lire soigneusement – prudemment – les écrits d’Olympe de Gouges, compte tenu des mentalités, du contexte particulier de la période prérévolutionnaire et révolutionnaire, qui est mouvant, compte-tenu aussi des sources imprimées de seconde main, notamment tout ce qui a été écrit après l’exécution du personnage, souvent une reprise des accusations et conclusions « révolutionnaires » discutables de ses juges à l’époque de la Terreur.

Dans une première partie de son très important essai, Carol L. Sherman retrace les premiers pas d’Olympe dans la carrière littéraire et révèle l'originalité d'une pensée qui n'a pas toujours été comprise. Familiarisée avec la thématique humaniste qui était si chère à Olympe de Gouges, notamment dans ses premières pièces de théâtre (L’homme généreux, édition de 1785, et Zamore et Mirza, édition de 1788), elle réfute les très anachroniques procès d’intention sur une prétendue "auto-célébration" d'Olympe (notamment Joan Scott et Gregory Brow), et les interprétations malhabiles, abusives ou erronées de ses réflexions sorties de leur contexte (parfois même des propos qu’elle fait tenir à ses personnages et qu’on lui attribue) par, entre autres, R. Bonnell ou Janie Vanpée. Dans une deuxième partie, Sherman analyse le  Mémoire de Madame de Valmont (1788), récit quasiment autobiographique, sous une forme épistolaire, où Olympe de Gouges aborde la question de sa propre bâtardise. Là encore, ce texte a donné lieu à des interprétations hasardées, gratuites, abusives qui veulent conclure à de « mauvaises » intentions d’une auteure qui ne penserait qu’à son  « auto-célébration » et ne serait pas exempte d'arrière-pensées. Puis Carol L. Sherman revient sur les premiers textes politiques, notamment la Lettre au Peuple et les Remarques patriotiques dans lesquels elle met en avant l'engagement d'Olympe qui fut la première et la seule de son sexe en son temps à publier dans la durée (1788-1793) des écrits politiques sous son nom, les autres femmes jouant un rôle d’influence dans les cercles politiques ou, très épisodiquement, dans la rue. Cette singularité et les réactions face à cette intrusion dans une chasse gardée masculine sont autant d’éléments à prendre en compte dans la construction d'une image mal perçue dès 1789 d’une femme se risquant à donner consistance et visibilité à son engagement en politique. La qualité des propositions d’Olympe de Gouges, bien que femme intrusive dans un domaine traditionnellement réservé aux hommes, lui a néanmoins valu une semi-reconnaissance de certains hommes, notamment de Mirabeau qui disait d'elle: « Nous devons à une ignorante de grandes découvertes ». Son tempérament de femme, assorti d’une « ignorance » (expression qui gagnerait elle aussi à être relativisée) qu’elle ne cachait pas, ne pouvait pas en effet lui permettre d’être tout à fait prise au sérieux. Regard incompatible des Constituants de 1791 avec celui des jurés du Tribunal révolutionnaire de 1793 qui, eux, trouveront que les « crimes » politiques des femmes doivent être pris très au sérieux et sanctionnés par un tribunal criminel extraordinaire. Cette incroyable contradiction fut inscrite de façon prémonitoire dès 1791 dans la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne d’Olympe de Gouges] :  « la femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit également avoir celui de monter à la tribune ». Dans son analyse critique solidement étayée, Carol L. Sherman oppose aux regards ambivalents portés sur Olympe une lecture contextualisée des écrits littéraires et politiques, seule démarche permettant en effet d'envisager l’exemplarité véritablement révolutionnaire de cette femme d’avant-garde.

Dans une troisième partie, elle revient sur la thématique des brochures, affiches et pièces du temps de la Révolution, notamment Le Couvent et les Vœux forcés et L’Entrée de Dumouriez à Bruxelles, qui font écho aux suggestions et propositions d’Olympe en matière fiscale (création d’un impôt volontaire ou sur les signes extérieurs de richesse) ou juridique (elle réclame l’établissement d’un jury populaire mixte), et à ses réflexions sur la reconnaissance du talent et de la créativité des femmes, ou le poids exorbitant des traditions religieuses dans la conjugalité et la parentalité. Sa participation aux grands débats politiques et sociaux, comme si elle était directrice d’un journal d’opinion, son respect des lois et de la Constitution avec ses imperfections, la distinguent nettement des autres femmes de son époque qui, généralement, n’apparaissent pas directement mais dans la sphère privée des cercles et salons, telles Manon Roland, ou certaines femmes royalistes constitutionnelles, comme Mme de Staël.

Dans sa conclusion, Carol L. Sherman peut ainsi justifier qu’Olympe de Gouges doit aujourd’hui, au même titre que n’importe quel homme de son temps, être reconnue à la fois comme « écrivaine, femme d’état et philosophe d’une haute portée morale ».  

 

 

Carol L. Sherman, Reading Olympe de Gouges, Palgrave Macmillan, New-York, 2013 (116 pages, notes, bibliographie, index des noms propres).


Lire, sur Féministes en tous genres, l'article d'Olivier Blanc, "Olympe de Gouges : une féministe, une humaniste une femme politique"

Un entretien avec Geneviève Fraisse : "Olympe de Gouges et la symbolique féministe"

Un article de G. Fraisse, "Olympe de Gouges et la subversion dans l'histoire"

Un entretien avec Graciela Barrault, responsable du musée virtuel Olympe de Goges 2.0, en cours d'élaboration ; première et deuxième parties

Un article de Sylvia Duverger, "J'ai tout prévu, je sais que ma mort est inévitable"

et les vidéos d'un entretien de G. Barrault avec G. Fraisse : "Olympe de Gouges, une autodidacte" ainsi que La déclaration des droits de l'homme et de la citoyenne.

Olympe de Gouges : une femme persécutée qui n'avait que de l'humanité à opposer au cynisme

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Cette gouache du temps de la Terreur représente les bonnets rouges, du moins les meneurs, en réunion, au comité. On aperçoit des liasses d’assignats sur la table. Le buste de Marat veille sur eux. (Iconographie d'Olivier Blanc).


Le 1er novembre nous publiions ici un article de l'historien Olivier Blanc contestant la « démystification » de la figure d’Olympe de Gouges, que prétendait opérer l’historienne Florence Gauthier dans un court article polémique.

La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne aurait témoigné, y laisse-t-elle entendre, du peu de perspicacité d’Olympe de Gouges : «Ainsi, préjuger que les femmes étaient démunies de tout droit et que la Déclaration des droits naturels de l’homme et du citoyen, ‘le code de la théorie révolutionnaire’, selon l’expression de Bernard Grœthuysen, était misogyne, c’est ignorer les faits et les réalités historiques. »  

Olympe de Gouges aurait dû comprendre que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 valait tout autant pour les femmes que pour les hommes, bien que la Constituante, l’Assemblée législative, la Convention évoquées par Florence Gauthier dans son article n'aient jamais été composées que d’hommes…  L’historienne, qui va bientôt faire paraître un nouvel ouvrage sur la Révolution française, semble en effet considérer que dès lors qu’elle comportait des « assemblées primaires » et une « démocratie communale », la France était une « république démocratique à souveraineté populaire effective ».  Aux yeux de cette membre de la Société des études robespierristes, l’absence de députées dans les Assemblées constituantes ou législatives est donc si peu significative... qu’elle ne s’en avise pas même.

Or, si l’on se fie à son argumentation, l’on parvient à cette étrange conclusion que la France était une démocratie non sexiste, donc une démocratie véritable, depuis le Moyen-âge. « Les femmes, affirme-t-elle en effet sans ambages ni nuances, n’étaient pas exclues du vote pour cause de sexe et c’est l’ignorance et les préjugés qui conduisent à penser que tel serait le cas. Les femmes votaient dans les assemblées villageoises et urbaines au Moyen-âge, depuis l’instauration des chartes et coutumes. De plus, en 1789, de nombreuses femmes étaient chefs de feu et participèrent, de droit, aux élections des assemblées primaires du Tiers-état. (…) Cette tradition du vote des femmes dans les assemblées primaires connut, à partir de la convocation des États généraux de 1789, un réveil remarquable dans tout le pays et le mouvement populaire, formé des deux sexes, en fit très vite l’institution démocratique par excellence de la Révolution. »

Outre qu’il est peu vraisemblable qu’il y eût autant de femmes que d’hommes remplissant la condition de chef de la maisonnée ou du foyer, le fait que dans certains lieux de pouvoir les femmes ne soient pas explicitement interdites de vote, ne suffit pas, avec évidence, à les doter dela pleine citoyenneté, qui suppose de pouvoir élire et être élues dans toutes les instances électives, et notamment, bien entendu, à l’Assemblée nationale. C’est précisément cette pleine et entière citoyenneté que la Révolution n’a aucunement accordée aux femmes, et dont la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges exprime la juste exigence.

 

L’on comprend qu’au regard des singulières clairvoyance et pertinence des thèses de Florence Gauthier, Olympe de Gouges, mais aussi l’historienne féministe américaine Joan Scott, également clouée au pilori de l'universalisme à la française (sans femmes, notamment), puissent passer pour des esprits confus et embrumés !

« Il est nécessaire, précise Florence Gauthier, de rappeler que ce préjugé concernant la misogynie de la Déclaration des droits de 1789, a été introduit récemment par la ‘féministe’ états-unienne Joan Scott, dont le livre a été traduit sous le titre La citoyenne paradoxale (1998), et qui a ainsi rendu suspectes :

1) la possibilité de penser un droit universel, c’est-à-dire un droit étendu à tous les individus du genre humain, ce qu’elle dénie à la Déclaration des droits de 1789,

2) et la possibilité d’inclure les deux sexes dans un seul terme, ce que fait pourtant la langue française dans un des usages du terme « homme », comme équivalent du terme grec anthropos, repris par exemple dans l’anthropologie, qui, semble-t-il jusqu’à ce jour, n’a pas privilégié le sexe masculin dans ses études… Faudra-t-il suspecter encore de misogynie les termes humanité  ou genre humain ? »

Ces critiques adressées à Joan Scott sont inouïes : déniant la non-neutralité du masculin, qui n’a pourtant (eu) de cesse au cours de l’histoire française qu’il ne cache ce féminin que l’on ne saurait voir, Florence Gauthier accuse en quelque sorte l’une des figures les plus remarquables des études de genre et de l’histoire des femmes de nuire à la prétendue polysémie du terme « homme » en français. Or ce terme, qui vaut à la fois pour anthropos et andros en grec ancien, et pour homo et vir en latin, ne fut jamais, dans les faits, très accueillant aux femmes. Florence Gauthier, bien qu'historienne et partant, soucieuse des faits davantage que de métaphysique, ignorerait-elle donc que les droits de l’homme ont été et sont encore souvent octroyés aux hommes sans l’être aux femmes ?

Puisse-t-elle lire au plus vite les travaux de Geneviève Fraisse sur la démocratie exclusive – Muse de la raison, Les deux gouvernements, Les femmes et leur histoire (Gallimard folio), dont elle n'a manifestement pas connaissance, si du moins l’histoire des femmes et de la démocratie l’intéresse. Elle peut d'ailleurs en trouver des extraits ici même, où nous avons republié "La démocratie exclusive : un paradigme français".

D’Olivier Blanc, outre l’ouvrage qu’il a consacré à Olympe de Gouges, je lui recommanderais l’article « Charles de Villette, député, homosexuel et féministe sous la Révolution » [1] : il rappelle qu’ «il y eut très peu d’hommes et surtout d’élus du temps de la Révolution qui, dans leurs discours et leurs écrits, ont cherché à promouvoir les droits des femmes ».  

Charles de Villette s'est élevé contre l'exclusion politique des femmes. En 1790 - donc avant l'établissement, en septembre 1791, d'un système censitaire (à partir duquel seulement, selon Florence Gauthier, les femmes cesseraient de pouvoir voter dans les assemblées primaires) -, il soulève la contradiction, ou le paradoxe, que, mutatis mutandis, Geneviève Fraisse et Joan Scott ont analysé. Il demande que les femmes puissent être des "citoyens actifs" dans les assemblées primaires, où il semble, par conséquent, qu'elles n'en avaient pas le droit : "Est-il une contradiction plus révoltante que celle qui exclut de nos assemblées politiques des êtres que les plus grands peuples de l'Europe reconnaissent pour leurs Souverains.L'Angleterre, la Russie, la Suède, le Portugal, la Hongrie, l'Autriche consentent d'obéir à une femme, et nous lui refusons une place dans le moindre district. Nous lui donnons la tutelle de ses enfants et elle n'a pas le droit de venir plaider leur cause ! A la tête d'une maison de commerce ou d'éducation, d'une manufacture, d'un hospice, elle est nulle pour nos lois quand il s'agit de voter pour les élections et de donner son suffrage pour la cause commune. Encore une fois je m'obstine à dire qu'il n'y a que la stupidité ou de la barbarie qui ait pu écrire un code aussi impertinent. Une femme en puissance de mari ! Expression fort usitée et dans laquelle on prend toujours le fait pour le droit. Ah combien de maris seraient heureux d'être en puissance de leur femme ! (...) Je persiste donc à demander que toute veuve ou fille majeure jouissant de son bien, qui satisfait aux conditions requises pour être citoyen actif, soit admise dans les assemblées primaires."

Si par miracle le doute saisissait Florence Gauthier au sujet de la neutralité du point de vue des anthropologues, dont il n’est après tout pas impossible qu’elle ne soit aujourd’hui l’une des seules universitaires à demeurer assurée, la lecture de Colette Guillaumin ou de Nicole-Claude Mathieu l'éclairerait autrement qu'à la bougie, ainsi que celle d’Elsa Dorlin, dont l’ouvrage Sexe, genre et sexualités (Puf) lui permettrait de prendre connaissance de l’épistémologie du point de vue développée par des chercheuses féministes, et d’avoir une vue d’ensemble des travaux menés en études de genre ces quelques quarante dernières années. L’Introduction aux études sur le genre (De Boeck), de Laure Bereni, Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunait et Anne Revillard, qui a été rééditée en 2012, ne lui serait pas non plus inutile... 

Ces lectures, du moins, lui éviteraient de mettre des guillemets à « féministe », comme s’il s’agissait d’un terme présumé coupable, contrairement à celui d’homme, qu’il lui tient manifestement à cœur de préserver des soupçons de Joan Scott.


La seconde partie de son article était consacrée à Olympe de Gouges, et l’historien Olivier Blanc, y a ici répondu le 1er novembre, dans un article intitulé « Olympe de Gouges au Panthéon : une féministe, une humaniste, une femme politique ».

Cependant, le 15 novembre, Florence Gauthier a publié une réponse à Olivier Blanc. Elle l’accuse implicitement d’abonder dans le sens d’une « ridicule mystification », qui présente Olympe de Gouges en « démocrate audacieuse ». Et elle affirme à nouveau que celle-ci « a pris la défense d’une société monarchique et d’une aristocratie des riches ». Elle aurait  « soutenu, de façon militante, une politique au service d’une économie spéculant sur les subsistances, qui affamait les familles pauvres, et rendu hommage au  ‘héros’  de la loi martiale ».

Voici donc la réponse d’Olivier Blanc à Florence Gauthier.

Sylvia Duverger

 

 

 

Réponse à… la réponse de Florence Gauthier sur Olympe de Gouges et les bonnets rouges de la démagogie

par Olivier Blanc

Allons ! Madame Florence Gauthier,  quand on clame si haut et si fort ici et là  – le public vous a entendu le 26 octobre dernier au colloque Robespierre/Henri Guillemin crier votre amour éperdu pour Marat, qui réclamait pourtant 300 000 têtes à couper –, il faut assumer et ne pas se cacher derrière son petit doigt ! Vous n’aimez pas Olympe de Gouges parce qu’elle n’aime pas Marat. Voilà qui est sûr : elle n’aime pas Marat car, tout comme les Girondins, elle distingue bien nettement la Terreur de la glorieuse Révolution de 1789, celle de l’abolition des privilèges et des Droits de l’Homme, celle de la patrie en danger et de la levée en masse. Si vous estimez que les Droits de l’Homme et la Terreur forment un tout, certainEs pensaient le contraire au temps d’Olympe de Gouges –  « l’esprit de 89 doit renaître pour effacer celui du 2 septembre » 1792, disait-elle dans son « Compte moral » rendu en novembre à la Convention [2] et c’est la raison pour laquelle ils ont été assassinés après le 31 mai 1793 : on ne peut, croyez-vous, avoir les Droits de l’Homme sans la Terreur et les sévérités soi-disant nécessaires ? Et bien non ! Tout le monde ne pense pas ainsi, tout le monde n’a pas troqué le bonnet de la liberté pour celui de la démagogie. Il s’agit de ne pas laisser calomnier à nouveau la mémoire d’une femme remarquable, qui fut assassinée le 3 novembre 1793 par les fauteurs du 31 mai 1793, les pires d’entre les démagogues, assassins et voleurs impunis de notre histoire.

 

Albert Mathiez

et le communisme dans sa version stalinienne

Afin de justifier ce qu’il appelait l’égalitarisme républicain et son incarnation, Robespierre, pour lequel il nourrissait une admiration débordante, Albert Mathiez, si pertinent par ailleurs, a indûment accablé les Girondins, qui furent rejetés avec mépris par lui et ses suiveurs de la Société des études robespierristes. Or les choses, en histoire comme en politique, ne sont jamais ni noires ni blanches, et certainement Mathiez, comme Aulard, son maître, auquel il s’est si vivement opposé, est tombé dans le travers de la partialité qui guette de nombreux historiens de la Révolution, dont le statut et la neutralité supposée font parfois illusion.

C’est ainsi que, pour confirmer les conclusions du Tribunal révolutionnaire et couper court à toute réhabilitation des Girondins et d’Olympe,  assassinés par une pseudo justice dite révolutionnaire, il a dénié le sens politique qu’elle et ses amis donnaient en leur temps aux massacres de septembre, un événement d’importance capitale qui, véritablement, a opéré dès la première séance de la Convention une scission au sein de cette assemblée promise à un si tragique avenir.

Vergniaud puis Barbaroux ont en effet demandé, dès octobre 1792, l’ouverture d’une enquête parlementaire sur les crimes et vols crapuleux commis en août-septembre 1792 [3]. Cette commission a rendu ses conclusions fin avril 1793, et le 10 mai, la Commune de Paris a bien été obligée de reconnaître que deux députés Montagnards au moins (Etienne Jean Panis et Antoine François Sergent) devaient incessamment rendre des comptes sur les spoliations de leur administration de police dans le mois qui suivit la chute de la monarchie constitutionnelle en France - la fameuse insurrection du 10 août approuvée par les Girondins et Olympe [4]. Pour éviter leur renvoi devant le Tribunal révolutionnaire et l’inéluctable appel à témoins adressé à des politiciens ayant mauvaise conscience – les Billaud-Varenne, Fabre d’Églantine, Tallien, Marat, Santerre et autres auteurs ou promoteurs des massacres et pillages de septembre 1792 étaient assurés d’être à leur tour compromis –, un coup de force contre les Girondins fut concerté par ces Montagnards de proie [5], avec l’aide de la Commune de Paris, largement noyautée par les milieux de la haute finance et du libéralisme sans entraves : c’est l’épisode des 31 mai et 2 juin 1793 où, sous la menace des armes, une petite partie de la Convention a voté la mise en détention de 29 puis, au cours des deux mois suivants, de plus de 150 députés [6]. Illégitime aux yeux de ceux qui avaient élu les députés arrêtés, illégitime aux yeux d’Olympe, comme à ceux de nombreux Républicains, tel Roch Marcandier, qui entrèrent alors en résistance, la Convention soi-disant épurée entama dès lors son lent avilissement, s’enlisant, et la Révolution avec elle, dans le bourbier de la corruption, du sang et des règlements de comptes entre démagogues ultra-démocrates (Robespierre et ses amis) et démagogues masqués de l’ultra-libéralisme (Barère, Fouché, Siéyès, etc.), jusqu’à l’an III.

Or, pour disqualifier les Girondins et leur version des massacres qui, d’après la Commission des Douze créée à l’instigation de Barbaroux, n’étaient ni populaires ni spontanés, mais soigneusement prémédités par des aventuriers ambitieux et sans scrupule, Albert Mathiez, et surtout son ami Pierre Caron, ont repris à leur compte la thèse des ultra-jacobins. Les raisons ? Probablement idéologiques, et liées à la montée en puissance du communisme des lendemains qui chantent, dans sa version stalinienne, autour des années 1930. Un communisme à la soviétique qui, voilant les droits de l’homme, s’appuya fortement sur l’historiographie ultra-jacobine revisitée de la Terreur à la française. Lorsque parut la thèse de Pierre Caron, à laquelle se raccroche désespérément une bonne partie de la Société des études robespierristes – dont Florence Gauthier –, des voix discordantes s’étaient élevées, bien avant la mienne. C’est par exemple ce qu’a rappelé Charles Samaran dans sa nécrologie de Pierre Caron, parue en 1953 [7].

 

Sur le divorce

Les Girondins ont préparé et voté la loi sur le divorce à la fin de la Législative, assemblée où ils étaient majoritaires, tout le monde est d’accord sur ce point. Je rappelle aussi qu’Olympe de Gouges a écrit une pièce de théâtre sur le sujet, La Nécessité du Divorce [8], et que ce sont ses amis girondins, parmi lesquels Charles de Villette, ancien protégé de Voltaire, qui ont préparé l’opinion et nourri le débat sur le divorce, avancée extraordinaire des droits des femmes, avancée cruciale pour les femmes battues qui pouvaient enfin s’affranchir d’un calvaire aussi ancien que le mariage [9]. Les Montagnards, quant à eux, étaient au contraire favorable au retour des femmes à la maison, et cela au nom de la « Nature » : « Les femmes doivent être respectées, c’est pourquoi nous les forcerons à se respecter elles-mêmes », trouva judicieux de déclarer le procureur de la Commune de Paris Pierre Gaspard  Chaumette.

 

Sur la liberté illimitée du commerce

Majoritaires à la Convention lorsqu’ils ont renvoyé le mercenaire Marat répondre au Tribunal révolutionnaire de ses gesticulations, appels au meurtre et à l’anarchie, les Girondins l’étaient toujours largement lorsque fut votée la fameuse loi du Maximum des prix, qu’ils ont évidemment approuvée, sinon elle n’aurait pas été votée, ce que Florence Gauthier ne peut ignorer. Ils n’ont jamais eu l’intention d’affamer le peuple de France en soutenant, comme cela avait été le cas sous l’ancien régime, des spéculations sur les grains : ces allégations sont grotesques. Et il l’est tout autant d’imaginer, même un instant, qu’Olympe de Gouges, elle-même sans fortune et depuis toujours ayant souci du sort des démunis, ait pu éprouver quelque admiration pour les spéculateurs et promoteurs du pacte de famine. Lorsqu’elle demanda à ce que les femmes puissent participer à la Fête (nationale) de la Loi, le 3 juin 1792,  en l’honneur du maire d’Étampes, Simonneau, assassiné lors d’une émeute provoquée par la cherté du grain, c’était sans aucune des arrière-pensées politiciennes ou idéologiques bizarres que lui prête Florence Gauthier [10].

Il y eut des représentants de l’ultra-libéralisme pendant la Révolution, mais ceux-ci sont plutôt à chercher du côté des Montagnards acquéreurs de biens nationaux que de celui des Girondins, oui, du côté de ces mêmes Montagnards qui se sont systématiquement opposés aux projets girondins de moralisation de la vie publique avant de les faire exécuter sous de faux prétextes dans le cadre d’un procès à huis clos sur lequel, hors propagande, personne ne sait rien [11]. En revanche, ce sont les Montagnards, à la tête desquels Hérault de Séchelles, Barère, ci-devant baron de Vieuzac, et le banquier anversois le comte de Proly, leur secrétaire et ami, qui ont favorisé, et l’élimination physique des Girondins, et l’établissement d’une Constitution dite de juin 1793, à la fois libérale et favorable à la propriété privée [12].

Il ne faut pas perdre de vue que de nombreux Montagnards, ennemis mortels des Girondins étaient les « créatures » selon l’expression du temps,  de tous ceux qui, en France et à l’étranger, prônaient la liberté illimitée du commerce. Le richissime Hérault de Séchelles, était le neveu des banquiers et négociants malouins Magon, qui avaient bâti leur fortune sur le commerce triangulaire – celui des hommes noirs entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique –, et qui étaient opposés à toute entrave du commerce maritime. Barère de Vieuzac, rapporteur inamovible du Comité de salut public, dit l’Anacréon de la guillotine, qui n’était évidemment pas d’extrême centre (sic), comme l’imagine bizarrement Pierre Serna dans sa « République des Girouettes », vivait à demeure chez son ami intime l’ex-banquier de cour Savalette de Langes, richissime spéculateur financier, qui, entre autres choses, finança l’émigration du comte d’Artois en 1791 [13]. Le comte Merlin de Douai [14], rédacteur de la sanguinaireloi des Suspects du 17 septembre 1793,  loi qui remplaça si « avantageusement » (!)  la loi martiale  évoquée avec  insistance par Florence Gauthier, était, comme plusieurs autres Montagnards de proie, en relation avec les agents d’influence de la banque internationale représentée par les trois - beaux-frères Édouard Walckiers, Jean-Joseph de Laborde et Calonne, actionnaires du groupe financier de Mme de Nettine, leur belle-mère, dite la « banquière de l’Impératrice » Marie-Thérèse. D’autres, comme Bentabole, Tallien, Thibaudeau, Fouché ou Guffroy, étaient acoquinés avec le groupe anglais d’influence politique à Paris formé par les banquiers Thornton, Walter Boyd Junior, William Ker et William Herries (ces derniers étant eux aussi beaux-frères), ou encore avec la société de banque formée par Frédéric Perrégaux, Pierre Formalaguès et Jacques Laffite, groupes d’influence libéraux ou ultra-libéraux, puissants, actifs et politisés, agissant par agents interposés dans des opérations de corruption, jusqu’au 9 thermidor an II et au-delà [15].

Florence Gauthier devrait donc ne pas se cantonner à son cours magistral sur les grains de blé (dossier que je ne méconnais pas), et adopter une vision plus haute du contexte politique et financier international, qui est complexe et dont certains enjeux dépassaient assurément Olympe de Gouges, elle-même n’ayant que de l’humanité à opposer à tant de cynisme.

 

« Une patriote persécutée »

Songeons en effet à sa dernière affiche, si émouvante, intitulée « Une patriote persécutée » [16]. Cette affiche dont le seul exemplaire connu se trouve dans la collection Portiez de l’Oise à l’Assemblée nationale, est un des textes politiques les plus beaux et les plus courageux qui ait été écrit à l’époque de la Terreur. Ce texte à lui seul doit appeler à beaucoup d’humilité face à l’exemple donné par Olympe de Gouges. Louis-François L’héritier, qui mit en ordre des notes laissées par Charles-Henri Sanson [17] confirme l’incroyable courage d’Olympe au Tribunal révolutionnaire :  « Cette femme avait eu le tort de provoquer le ressentiment de ses juges. Pendant les débats, elle leur avait tenu tête ; elle les avait taxés d’ineptie et de mauvaise foi ; elle leur avait reproché de n’être que des ambitieux qui aspiraient à la fortune et au pouvoir, tandis qu’elle, au contraire, s’était ruinée pour propager les principes de la Révolution. »

Florence Gauthier ne devrait pas oublier qu’Olympe fut, sous la Terreur, l’une des innocentes victimes d’un système saturnien, dévorateur, machiavélique, quasi incontrôlable, reposant sur la peur (selon Louis-Sébastien Mercier [18]), et que l’on ne peut envisager sereinement aussi longtemps que l’on cherche à défendre Danton ou à accabler les Girondins, etc. Un peu comme un enfant dans un jeu de rôles, où les sources sont instrumentalisées, et se voient conférer une signification politique qu’elles n’ont pas. C’est pourquoi je conseille à nouveau à Florence Gauthier et ses amis d’ôter leur bonnet rouge (celui du parti pris de la démagogie, du fantasme et de l’outrance) pour écrire une histoire intelligible et apaisée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] In Florence Rochefort, Eliane Viennot, L’engagement des hommes pour l’égalité des sexes, Presses de l’université de Saint-Etienne, 2013.

[2] Cité par O. Blanc, Marie-Olympe de Gouges, une humaniste à la fin du XVIIIe siècle, René Viénet, 2003, p. 184.

[3] Commission des Douze votée à l’instigation de Barbaroux le 1er octobre 1792 par la Convention ; son rôle fut de recevoir les témoignages sur les dilapidations commises après le 10 août et d’inventorier les papiers du comité de police et de surveillance de la Commune de Paris. Il y eut une seconde commission extraordinaire des Douze, instituée le 18 mai 1793 et chargée de réprimer les complots, menaces et voies de fait contre la représentation nationale, commission que présidèrent Vigée et Rabaut Saint-Etienne. Ces deux commissions distinctes sont généralement confondues.

[4] Arrêté du Conseil général de la commune, statuant sur « les dépôts du comité de surveillance, déclarant qu’il y a eu bris de scellés, violation, dilapidations de dépôts, fausses déclarations et autres infidélités, et chargeant le procureur de la commune de dénoncer à l’accusateur public les citoyens Panis, Sergent, Lenfant, Cally, Duffort et Leclerc … » (Pièce originale datée du 10 mai 1793). Les massacres de septembre ont donc bien, d’après la Commission parlementaire Barbaroux dite des Douze, obéi à une autre logique que celle mise en avant par les ultra-jacobins. Tout fut mis en œuvre par ces derniers pour éviter un procès avec débats, témoignages et jugement : ces crimes crapuleux furent dans l’ensemble impunis (quelques condamnations visèrent néanmoins les seconds couteaux sous le Directoire et le Consulat, et quelques-uns furent déportés).

[5] Selon l’expression de Roch Marcandier. Ancien secrétaire de rédaction de C. Desmoulins, républicain de la première heure, en 1789, membre des Cordeliers,  R. Marcandier fut horrifié par les massacres de septembre au sujet desquels il publia une enquête journalistique parue sous le titre d’Histoire des hommes de proie, ou les crimes des comités. D’où l’expression Montagnards de proie  reprise par le Girondin Le Hardy à la Convention

[6] Voir J.-A. Dulaure, Histoire de Paris, 1846, p. 574.

[7]Albert Mathiez, son élève Henri Calvet, puis les membres successifs du Conseil d’administration de la Société des études robespierristes qui ont à leur tour élèves et émules, ont quasiment imposé en France   la thèse « ultra-jacobine » selon laquelle les massacres de septembre furent  spontanés et d’essence « populaire », une thèse éminemment discutable et sans fondement scientifique, déjà rejetée  par les Girondins en 1793, mais structurellement fondatrice de la gauche française procommuniste. Dans sa nécrologie de Pierre Caron, auteur de cette thèse qui s’est imposée comme une vérité, Charles Samaran  avait soulevé sur ce point la question de la neutralité de cet archiviste et historien qui, admet-il, « s‘est départi de sa réserve à l‘occasion des Massacres de septembre (…) qui sur certains points délicats n’en a pas moins donné lieu à de vives controverses » (Bibliothèque de l’école des chartes, 1953, vol.111, p.32).

[8] Manuscrit publié par Gabrielle Verdier de l’université de Milwaukee (voir O. Blanc, Marie-Olympe de Gouges, 2003).

[9] Voir O. Blanc, « Charles de Villette député, homosexuel et féministe » in Actes du colloqueLes hommes féministes, Paris,  Clermont-Ferrand, 2013, publiés sous la direction de Florence Rochefort et Eliane Viennot aux Presses de l’université de Saint-Etienne en 2013.

[10] Voir Olympe de Gouges, Lettres à la reine (…) et aux Françaises citoyennes. Description de la fête du 3 juin, par Madame de Gouges, Paris, mai 1792 (in O. Blanc, Écrits politiques d’Olympe de Gouges, Ed. Coté-Femmes, II, pp. 124-135).                                                                                                

[11]En faisant envoyer, le 24 juin 1793, sa défense au Comité de salut public, Pierre Victurnien Vergniaud avait tracé ces mots d’accompagnement  : « Citoyens, c’est en votre nom que j’ai été accusé, que je suis privé de ma liberté depuis un mois, qu’aujourd’hui on m’interdit toute communication. Lisez et jugez. » (Signé : Vergniaud). Cette défense portait le titre « Vergniaud député du département de la Gironde à Bertrand Barère et à Robert Lindet membres du Comité de salut public » ; Vergniaud les accusait « de peindre  dans leurs rapports les représentants du peuple illégalement arrêtés comme des factieux et des instigateurs de guerre civile ». Il les dénonçait à son tour « à la France comme des imposteurs et des assassins » et  développait sur six pages une très brillante et convaincante démonstration réfutant l’accusation de fédéralisme que l’historiographie ultra-jacobine de Florence Gauthier et de quelques autres impose encore aujourd’hui comme une évidence. Il fut exécuté, en même temps que ses 20 compagnons d’infortune, à la suite d’un procès écrit d’avance (AN, W/193). 

[12] Thierry Claeys dans son magistral Dictionnaire biographique des financiers au 18e siècle, préface de Yves Durand (Éditions SPM, Paris, 2011, 2 vol.) donne consistance au  réseau de la grande banque européenne (Magon, Savalette, Laborde, Herries ou Boyd) et à ses accointances politiques sous la Révolution, partiellement mises en lumière par Albert Mathiez, qui s’est concentré sur Danton à l’exclusion des autres « hommes de proie »  persécuteurs des Girondins puis , un an plus tard, de Robespierre lui-même.

[13] Voir Thierry Claeys (notice « Savalette »).

[14] Le comte Merlin épousa en secondes noces la veuve de M. de Wargemont (lui-même veuf de l’ex-comtesse de Pestre, Séneffe et Tunhout), et sa fille, la comtesse d’Haubersart , hérita de sa fortune, de peur qu’elle ne fût confisquée sous la Restauration lors de son exil à Bruxelles. Santerre et beaucoup d’autres Montagnards de proie firent de même. Quant à Barère, il augmenta sa fortune dans des proportions considérables sous la Terreur en domaines et bâtiments industriels dont l’Ïle Louviers à Paris, le domaine de Séméac et son château dit le « petit Versailles de la Bigorre », une abbaye et son domaine, et d’autres biens qui pour partie passèrent à sa famille quand le vent commença à tourner pour lui. Son complice, Vadier, chef de la police politique (Comité de sûreté générale), fit de même. Le décompte des fortunes de la Terreur est impressionnant. Quant à Olympe, elle mourut pauvre, ses derniers petits bijoux placés au Mont-de-Piété.

[15] La corruption de ces Montagnards de proie est abondamment prouvée par leurs signatures, figurant sur les certificats de résidence ou passeports et par les protections intéressées d’ «agents de l’étranger » (Boyd, Perrégaux, Proly, Gusman, etc.), ce que Robespierre réalisa tardivement, après l’affaire politico-financière de la liquidation de la Compagnie des Indes, provoquant une importante scission au sein des deux grands comités de gouvernement (salut public et sûreté générale), prélude au 9 thermidor. Allié de circonstance aux corrompus et ultra-libéraux le 31 mai 1793, Robespierre qui se posait comme un grand démocrate, abandonna  sans protester  150 députés Girondins, les sacrifiant  à son ambition personnelle, ainsi qu’Olympe de Gouges l’avait pressenti dans son Pronostic sur Maximilien Robespierre et autres pamphlets de la fin 1792 et de 1793 (« un ambitieux sans génie prêt à tout pour parvenir à la dictature »).

[16] Olympe de Gouges, Écrits politiques, Paris, Côté femmes, 1993, II, 249-253).

[17]Mémoires pour servir à l’histoire de la Révolution, 1831, p. 116.

[18] L.-S. Mercier, Le Nouveau Paris, Brunswick [Paris], 1800, 6 vol. in-12, édition dans laquelle l’auteur témoigne de façon très exacte (contrairement à ce que raconte l’une des petites mains révisionnistes de Wikipedia) des violences de la Terreur dont lui-même fut la victime ainsi que 150 députés girondins.

Mona Ozouf, Rousseau, Olympe de Gouges et trois résistantes - réponse d'Olivier Blanc à Mona Ozouf

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Le message d'Olympe de Gouges, sur la place des femmes auprès des plus grands hommes du Panthéon, n'a pas été entendu, semble-t-il, par Mona Ozouf.

Mona Ozouf, il est vrai, prône un pseudo-féminisme – un « féminisme à la française », qui fustige l’égalitarisme puritain attribué aux féministes américaines, et ignore superbement les études de genre.

Dans Les mots des femmes, elle prétend laver Rousseau des critiques féministes, et dans sa tribune du 13 décembre, « La Résistance au Panthéon » (Le Monde), elle estime judicieux de se référer à lui, bien qu’il voue les femmes au domestique et à l’obéissance et qu’elle-même, dans cette tribune, se pose en explicite laudatrice de deux femmes on ne peut plus engagées sur la scène politique et dans la résistance.

Mais il est vrai qu’elle semble ne pas concevoir « d’autorités » au-delà de celles, toutes masculines, du prêtre, du maître d’école et du père de famille, et laisse à penser que la grandeur est d’emblée virile : « Dans une société de plus en plus homogène, où toutes les autorités, prêtre, maître d'école, père de famille ont décliné, il est plus difficile encore de désigner et de reconnaître la grandeur. » Grandeur qu’elle paraît d’ailleurs confondre avec la domination : « C'est la pente des temps démocratiques de récuser toutes les formes de hiérarchie et de détester le surplomb ». Eric Roussel, biographe de Pierre Brossolette et l’un des membres du comité pour le transfert des cendres de Pierre Brossolette au Panthéon, écrivait pourtant, lui aussi dans Le Monde, que ce grand résistant « aimait les humbles, savait se faire aimer d'eux et détestait les "importants" pleins de suffisance et de certitudes »…[1]

Mona Ozouf estime en outre la parité « improbable » au Panthéon. Pourquoi ? Pourquoi ne panthéoniserait-on pas autant de femmes que d’hommes ? Parce que les femmes à « hauteur d’homme », comme écrit avec une outrecuidance toute phallocratique Régis Debray dans sa tribune du 16 décembre tribune parue elle aussi dans Le Monde [2]–, ne seraient pas légion ?

Mona Ozouf et quelques autres femmes qui comme elledéveloppent un « féminisme à la française » ne souhaiteraient pas que la parité advienne, puisqu’elle leur ôterait leur statut d’exceptions au sein de la classe des dominants, où jusqu’à présent, en effet, le masculin l’emporte sur le féminin ? [3]

Pourquoi ne déciderait-on pas d’accroître le nombre de femmes jusqu’à la parité ? L’on pourrait ne panthéoniser que des femmes et adopter un système d’alternance, par exemple entre Jean Moulin et Brossolette, qui permette d’honorer également ces deux héros sans éloigner davantage de la parité symbolique…

 

Dans Les mots des femmes Mona Ozouf assigne les femmes à l’influence plutôt qu’au pouvoir – j’y reviendrai dans une note ultérieure. Cette thèse l'éloigne d'autant plus d'Olympe de Gouges que celle-ci remarquait en son temps que, même « L'administration nocturne des femmes » (leur influence occulte sur les affaires publiques), en faveur sous l'ancien régime, avait été rejetée avec mépris par les Jacobins – ils s’employèrent à cantonner les femmes à la maternité et à l'univers domestique. Olympe de Gouges résumait ce constat par cette formule superbe : « Ce sexe autrefois méprisable et respecté est devenu, depuis la révolution, respectable et méprisé ».

Elle-même a été guillotinée pour avoir préféré l’action politique en plein jour – la prise de parole publique et la publication d’affiches militantes – à l’influence.

 

Le 17 décembre, Catherine Marand-Fouquet commentait ici la Tribune de Mona Ozouf.  

Catherine Marand-Fouquet est à l'origine de la première pétition demandant à ce que des femmes, et notamment Olympe de Gouges, entrent au Panthéon. Désormais c'est Olivier Blanc qui analyse la prise de position de Mona Ozouf, et son silence tenace à l'endroit d'Olympe de Gouges.

 Sylvia Duverger



Réponse de l'historien Olivier Blanc à la tribune de Mona Ozouf


"Ah si les femmes veulent seconder mes désirs, je veux que, dans les siècles futurs, on place leur nom au rang de ceux des plus grands hommes; non seulement je veux qu'elles cultivent les lettres, les arts, mais qu'elles soient propres encore à exercer des places dans les tribunaux, dans les affaires contentieuses, dans l'administration des affaires de goût".

Olympe de Gouges

"Le débat des sexes" in Le Prince Philosophe, 1792

Olympe de Gouges écrivait aussi que "les femmes n'ont pas de plus grands ennemis qu'elles mêmes." Les opinions de Mona Ozouf semblent encore une fois lui donner raison.

Dans ses déclarations aux journaux, Mona Ozouf, bien qu’historienne de la Révolution, tend, sans le dire ouvertement, à éloigner Olympe de Gouges du Panthéon. La raison en est qu’elle n’aime guère les Girondins, du moins leurs idées, et qu’elle souscrit à la thèse selon laquelle c'est "le peuple" dans sa colère (prétendument) juste qui a fait le choix  des massacres de septembre et, au-delà, de la Terreur. C’est du moins ce qu’elle a exprimé dans les magazines de vulgarisation historique tels que "L'Histoire" [4].

Or, Olympe de Gouges et les députés girondins se sont battuEs et sont mortEs pour avoir vivement protesté contre l’idée selon laquelle ces violences soi-disant inévitables étaient dues au « peuple », c’est-à-dire aux ParisienNEs et donc aux FrançaisEs. Ils avaient ainsi obtenu de la Convention la création d'une commission d'enquête parlementaire destinée à faire la lumière sur les détournements de fonds pratiqués par de (futurs) conventionnels lors de ces massacres dont Olympe de Gouges disait qu’ils souilleraient éternellement la Révolution. Il y a donc chez les historienNEs sortiEs du moule de la Société des Etudes robespierristes, ou du moins, influencéEs par elle, une incapacité à envisager la Terreur autrement que dans son interprétation ultra-jacobine de 1793, qui s’est d’ailleurs confondue avec la lecture thermidorienne de cette période noire. Ce sont ces mêmes Ultra-Jacobins que les Girondins désignaient aussi sous le nom de « Montagnards de proie », rappelons-le, qui ont fait couler le sang des Girondins soucieux de transparence financière, puis même de Robespierre lorsque celui-ci voulut associer la vertu (essentiellement le désintéressement) à la Terreur. Les lois répressives dites «de salut public » et « de sûreté générale » mises en place en 1792 et 1793 étaient en effet devenues un fabuleux moyen de chantage pour certains administrateurs et élus influents qui, notre mémoire est défaillante sur ce point, avaient fait de la Révolution un objet de spéculation.

C'est contre cette Révolution embourbée dans la corruption et le sang des massacres de septembre, prélude à la Terreur de 1793, que les Girondins et Olympe de Gouges se sont élevéEs à l’Assemblée et dans leurs écrits. Et c'est pour avoir voulu donner consistance à son engagement de républicaine, respectueuse de la loi et des institutions républicaines bafouées, c’est pour avoir dénoncé l'avilissement de la Convention qui, disait-elle le 9 juin 1793, "avait perdu de sa splendeur", qu'Olympe de Gouges, solidaire avec une centaine de députés girondins proscrits, entra dans la résistance à l'oppression et mit sa vie en jeu.

 Quand ma biographie d’Olympe de Gouges a paru en 1981, trois résistantes sont venues spontanément et à tour de rôle me questionner sur son engagement politique si fort et si constant. Je leur ai parlé de son héroïsme, après le coup de force contre la Convention nationale saignée, au bout du compte, de 135 députés républicains qui furent arrêtés dans la plus totale illégalité, sans motif énoncé, puis, pour certains, exécutés. Ces trois femmes dont je salue la mémoire, Mireille Albrecht (1924-2007) – la fille de la résistante féministe Berty Albrecht (1893-1943) -, Nicole Stéphane (1923-2007) et Jacqueline de Chambrun (1920-2013)[5],  semblent ainsi s’être reconnues dans l’exemplaire courage d’Olympe de Gouges. Car comme elles, celle-ci fit l’expérience de la solitude et de la peur dès lors qu’elle prit le parti de résister à l’oppression de la dictature ultra-jacobine, ainsi en publiant les affiches qui le 2 novembre 1793 entraînèrent sa condamnation à mort et son exécution le lendemain. Dès lors, comment Olympe de Gouges, engagée pour la défense des droits humains et parmi ceux-ci en tout premier lieu, la liberté d’expression [6], n’aurait-elle pas sa place aux côtés de nos grands résistants, auxquels – là dessus Mona Ozouf a raison – il faut ajouter au moins deux résistantes ?

Olivier Blanc est historien ; il est notamment l'auteur de Marie-Olympe de Gouges, une humaniste à la fin du XVIIIe siècle, René Viénet, 2003, nouvelle édition à paraître le 2 janvier chez Tallandier


Lire ceux de ses articles sur Olympe de Gouges publiés sur féministes en tous genres : "Olympe de Gouges : une femme persécutée qui n'avait que de l'humanité à opposer au cynisme", "Relecture américaine d'Olympe de Gouges", "Olympe de Gouges : une féministe, une humaniste, une femme politique".


En complément

Entretien de S. Duverger avec Geneviève Fraisse, "Olympe de Gouges et la symbolique féministe",

l'article de G. Fraisse, "Olympe de Gouges et la subversion dans l'histoire",

notre entretien avec Graciela Barrault, la créatrice du musée virtuel consacré à Olympe de Gouges, Olympe de Gouges 2.0, première et seconde partie,

notre article, "J'ai tout prévu, je sais que ma mort est inévitable".



[1] E, Roussel, « A deux grands hommes, la patrie reconnaissante », Le Monde, 31 mai 2013.

[3] Voir Éric Fassin, Le sexe politique : Genre et sexualité au miroir transatlantique, éditions de l’EHESS, 2009.

[4]Cf. le dossier sur les massacres de septembre du 1/5/2009.

[6] Voir Olympe de Gouges, Une Femme persécutée à la Convention, septembre 1793.

Olympe de Gouges et la Terreur (sur Terreur-Olympe de Gouges, d'Elsa Solal)

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Terreur-Olympe de Gouges au Lucernaire

 

Jusqu’au 4 janvier

du mardi au samedi à 18 h 30, relâche les dimanches et lundis

 

Texte d’Elsa SOLAL

Mise en scène : Sylvie PASCAUD

Avec : Anne-Sophie ROBIN et en alternance Alain GRANIER, Martial JACQUES, Gilles NICOLAS

 

Le texte de la pièce est en vente à la librairie du théâtre (ainsi que la plupart des ouvrages consacrés à Olympe de Gouges). De cette pièce, Elsa Solal a tiré Olympe de Gouges :« Non à la discrimination des femmes », Actes Sud, 2009

 

Terreur-Olympe de Gouges

 

Terreur-Olympe de Gouges commence par la fin de la vie d’Olympe, juste avant son arrestation et son emprisonnement, le 20 juillet 1793, et après qu’elle a été publiquement agressée, comme Théroigne de Méricourt[1], agression dont elle a quant à elle réchappé grâce à la vivacité de son esprit et à son sens de la répartie (voir en complément « La répartie d’Olympe de Gouges »).

Olympe vient d’acheter une maison à Tours, le 1er juillet 1793. Elle semble prête à renoncer à l’action politique. Mais ce n’est pas la première fois qu’elle songe à se retirer de la vie politique (voir « Olympe de Gouges dit renoncer »), et la passion politique, à nouveau, l’emporte. Elle ne peut pas ne pas tenter, une fois encore, d’infléchir le cours de l’histoire : elle veut que les citoyens puissent choisir lequel des trois gouvernements - républicain, fédéral ou monarchique - ils préfèrent. Le 20 juillet 1793, elle est sur le point de faire placarder Les Trois Urnes ou le salut de la patrie par un voyageur aérien, qui enjoint de mettre au vote la forme de gouvernement, lorsqu’elle est arrêtée (voir en complément Olympe de Gouges est interrogée par Fouquier-Tinville).

 

Consciente de ce qu’elle pourrait être condamnée à mort, et cependant refusant de se renier et de se dédire, mais aussi de perdre espoir, Olympe se souvient. Dans sa prison, elle récapitule ses prises de position et rétorque à ses détracteurs. Elle s’oppose à la persécution, aux massacres, à la Terreur. Les sanguinaires ne lui inspirent que du mépris. La raison alléguée d’une nécessaire radicalité révolutionnaire ne l’a jamais persuadée, et elle a horreur – oui, horreur – de tout ce qui contrevient au droit imprescriptible à la vie.  Elle n’est ni du parti de Marat ni de celui de Charlotte Corday. Comme Camus le fera dans l’après-coup de L’Homme révolté, elle s’élève contre la peine de mort, fût-elle celle d’un roi de droit divin qui a trahi la nation [2].

 

« La Révolution n’a pas besoin de sang », proclame-t-elle l’Olympe d’Elsa Solal. Et en 1792, en effet, dans La Fierté de l'Innocence, Olympe de Gouges, clairvoyante, précisait : « Le sang, disent les féroces agitateurs, fait les révolutions. Le sang même des coupables, versé avec profusion et cruauté́, souille éternellement les révolutions, bouleverse tout à coup les cœurs, les esprits, les opinions et, d'un système de gouvernement, on passe rapidement dans un autre. »

 

Comment les hommes ont-ils pu croire qu’ils accompliraient une juste Révolution en excluant les femmes, en leur ôtant, 3 jours avant qu’Olympe de Gouges ne comparaisse devant le Tribunal révolutionnaire, jusqu’au droit de former des clubs politiques ? Comment la Révolution est-elle passée de l’amour de l’humanité à la haine du frère et de la sœur d’hier ? Comment s’est-elle muée en Terreur ? Ce sont là des questions qu’Olympe de Gouges s’est en effet posées, et que nous ne pouvons pas ne pas nous aussi nous poser avec acuité. D’où vient qu’un destin tragique semble menacer chaque révolution et quel rôle les femmes parviennent-elles à tenir dans cette histoire ? Dans quelle mesure l’opposition entre Olympe de Gouges et Robespierre ne rejoue-t-elle pas celle d’un masculin violent et mortifère, et d’un féminin sachant le prix et ayant le goût de la vie ? Est-ce parce qu’elle a exclu la moitié de l’humanité que la Révolution a fait couler le sang au point de perdre tout sens ? Telles sont quelques-unes des questions que soulève Terreur-Olympe de Gouges.

 

Mais était-il nécessaire pour donner un aperçu de la pensée politique d’Olympe de Gouges de lui prêter une liaison avec son ami l’écrivain girondin Louis-Sébastien Mercier ? (Voir en complément Louis-Sébastien Mercier et Olympe de Gouges).

De même, fallait-il lui attribuer la fondation des clubs de femmes ? Alors qu’il est peu probable que tel soit le cas (voir en complément, Olympe de Gouges et les clubs de femmes) et que c’est pour la discréditer que lui fut attribuée la fondation du club des tricoteuses, club auquel son existence fantasmatique confère une place de choix dans l’historiographie antiféministe [3].

 

 

Si Elsa Solal ne prête pas à Olympe de Gouges des idées qui n’auraient pas été les siennes, elle n’a pas, cependant, opté pour la citation exacte. Or il est d’autant plus nécessaire de donner connaissance de la vie et de l’œuvre d’Olympe de Gouges que sa place dans l’histoire de la démocratie française continue d’être contestée, bien que – ou parce que ? - son rôle dans celle du féminisme soit indubitable.

 

La belle énergie qui traverse la mise en scène de Sylvie Pascaud et le jeu d’Anne-Sophie Robin donnent du relief au texte d’Elsa Solal, en lui-même, d’ailleurs, non dénué d’intérêt. 

Terreur-Olympe de gouges rend en effet un vibrant hommage à l’insigne courage de celle qui sut dire non à ce qui ne lui semblait ni juste ni judicieux, et qui a refusé, au prix de sa vie, de trahir ses idées comme ses amis.

 

Olympe de Gouges n’est pas seulement l’auteure extrêmement provocatrice de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, en 1791, c’est aussi cette femme qui de sa prison, le 21 septembre 1793, ne courbe pas l’échine, mais fait placarder Une patriote persécutée sur les murs de Paris, écrit dans lequel elle ose une fois de plus défier les « tyranneaux modernes » :

 

« Que peut-on m'imputer ? Quel est mon crime ? Pourquoi exerce-t-on envers moi un acte de rigueur attentatoire à la liberté́ individuelle ? C'est un mystère d'iniquité́ qu'on ne peut pénétrer. Chacun se rappelle les services que j'ai rendus à la patrie. Chacun sait à quel degré́ j'ai porté l'enthousiasme républicain, et chacun se demande avec étonnement le motif de mon incroyable et longue captivité́. La Convention, le Comité de salut public ne sont assemblés que pour protéger l'innocence et l'on ose abuser de leur autorité́ pour me rendre la victime d'une haine particulière que je n'ai point méritée. (…) Une républicaine ne sut jamais s'avilir ; elle ne sait pas mendier un pardon quand on lui doit une réparation éclatante. C'est ce courage, cette fierté́, qui fait aujourd'hui tout mon crime aux yeux des esclaves parvenus érigés en tyranneaux modernes. Mais la probité́ a des droits imprescriptibles et plus puissants sur l'esprit des mandataires du peuple. (…) Que l'on me juge donc ! La mort, ou la liberté́. » [4]

 

Devant le Tribunal révolutionnaire, le 2 novembre 1793, elle témoigne du même courage, d’autant plus remarquable qu’il ne doit rien à l’inhumaine indifférence à soi-même de ceux que leur mort ne fait pas même frémir. Sans dénier sa vulnérabilité, Olympe de Gouges persévère dans sa volonté de ne pas endosser les crimes contre-révolutionnaires dont Fouquier-Tinville voudrait l’accabler, crimes qui, de surcroît, n’ont pas manqué de rejaillir sur son fils, nommé capitaine de l’armée française grâce aux entremises de sa mère, mais suspendu 10 jours après son arrestation :

« Je suis femme, je crains la mort, je redoute votre supplice mais je n'ai point d'aveux à faire, et c'est dans mon amour pour mon fils que je puiserai mon courage. Mourir pour accomplir son devoir, c'est prolonger sa maternité́ au-delà̀ du tombeau !» [5]

 

Sylvia Duverger 

 

En compléments, extraits de l’ouvrage d’Olivier Blanc, Olympe de Gouges, des droits de la femme à la guillotine, Tallandier, à paraître le 2 janvier 2014

 

 

Olympe de Gouges et les massacres d’août et de septembre 1792

 

« Avec le marquis de Villette et Roch Marcandier, Olympe de Gouges fut la seule à s'insurger publiquement contre l'inutilité et l'affreuse cruauté de ces massacres dans un pamphlet intitulé la Fierté de l'Innocence où elle écrivait contre les démagogues : ‘Le sang, disent les féroces agitateurs, fait les révolutions. Le sang même des coupables, versé avec profusion et cruauté, souille éternellement les révolutions, bouleverse tout à coup les cœurs, les esprits, les opinions et, d'un système de gouvernement, on passe rapidement dans un autre. L'histoire de l'univers en offre plusieurs exemples. Les cruautés passées, celles dont on nous menace encore changent l'esprit public. Les bons citoyens comme les mauvais fuyaient la capitale et la plupart des habitants, s'ils avaient osé en convenir, désiraient l'approche de l'étranger tant la barbarie de l'intérieur rendait celle de l'ennemi soutenable ! Voilà comme nous avons failli perdre à jamais notre liberté.’

Et, visant les membres de la Commune du 10 août comme Sergent, Panis, Duplain, Jourdeuil, Marat et autres signataires de la circulaire ordonnant les massacres, elle ajoutait : ‘Les malveillants ont été reconnus sous le manteau du patriotisme [...]. Paris, cette mère des arts et des talents, cette reine des cités n'offrait plus aux voyageurs, aux habitants, qu'un vaste repaire, et l'on n'y distinguait plus le véritable patriote du faux ; la rage de l'intérêt particulier l'emportait sur l'amour de l'intérêt public ; le peuple malgré lui était entraîné́ dans le crime, l'on égorgeait impunément des milliers de citoyens dont la plupart étaient coupables, il faut bien le croire, mais, citoyens, la vie de l'homme est-elle si peu de chose aux yeux de l'humanité́ qu'on ne daigne pas examiner pourquoi on la lui ravit ? (…). Hélas ! Quand l'Assemblée constituante a engagé tous les gens de lettres à faire des recherches sur le Code pénal afin d'abroger la peine de mort même sur les criminels, s'attendaient-ils que dans une révolution opérée par les lumières de la philosophie, au bout de quatre ans, les Français donneraient la mort sans relâche pendant trois jours et trois nuits à leurs concitoyens ?’ » [6]

 

 

La répartie d’Olympe de Gouges

 

Après qu’elle a eu l’audace, en décembre 1792,  de se proposer comme défenseuse de Louis Capet et de se prononcer sans détour contre son exécution, Olympe de Gouges a fait l’objet de nombreuses attaques dans la presse montagnarde.  Puis, « par ses défis lancés aux hommes et ses outrances contre Robespierre et Marat, Olympe de Gouges s'était trop démarquée. On l'avait repérée, on la connaissait de vue et on savait même où elle habitait. Aux moqueries succédèrent les injures, puis les menaces qui précèdent les voies de fait. Une troupe vociférante et armée s'ameuta au bas de son domicile rue Saint-Honoré́ n° 253 dans l'ex-hôtel des Vivres devenu un hôtel garni tenu par le cousin du maire, Philibert de Lunel . Elle entendit du bruit et elle aperçut la foule attroupée criant son nom sous les fenêtres de sa chambre. ‘Mme de Gouges était audacieuse et fière, raconte le comédien Fleury, une autre se serait cachée. Elle descendit sans hésiter, on la ridiculisa, on cria sur elle, on lui dit des injures ; puis on en vint aux attaques plus sérieuses.

Un plaisant féroce, voyant son impassibilité́, la saisit par la robe, la tint, l'enserra par la tête, fit voltiger la cornette et attrapa les cheveux qui se déroulèrent, puis, de l'autre main, leva son sabre : ‘A vingt-quatre sous la tête de madame de Gouges ! À vingt-quatre sous ! Une fois, deux fois, personne ne parle ? À vingt-quatre sous la tête ! Qui en veut ? Mon ami, dit-elle en montrant la tranquillité́ d'une personne qui cause dans un salon, mon ami, je mets la pièce de trente sous et je vous demande la préférence. On rit, l'homme la lâcha et, cette fois, elle se tira d'un fort mauvais pas » [7]

 

 

Quand Olympe de Gouges dit renoncer à la politique

 

 

« Mes amis, je vais à mon grand regret, vous satisfaire ; je quitte la carrière épineuse (et ruineuse) dans laquelle mon patriotisme, votre aimable égoïsme, vos gentillesses anthropophages, vos galantes scélératesses qui ne tendaient à rien moins que me faire égorger par vos généreux satellites, m'ont engagée plus longtemps que je ne l'aurais désiré́ pour mes intérêts et la gloire de vos entreprises [...]. Oui, mes chers amis, vous voilà délivrés d'un observateur intègre, d'une sentinelle surveillante, et ce qui pouvait être pour vous des plus dangereux, d'une âme désintéressée et aussi fière que libre, et indépendante. » [8]

  

 

Une républicaine pacifique

 

Le 20 juillet 1793, mise au secret, Olympe de Gouges adresse à son ami Cubières, écrivain et secrétaire de la Commune, une lettre qui ne lui parviendra jamais :

 

« L’être sensible et humain qui a tout sacrifié au bien de son pays et qui se voit persécuté́, peut-être conduit à la mort pour avoir préparé́ la paix et voulu faire le bonheur de la république, doit ambitionner son dernier moment si une injustice de cette force doit assurer le salut public en ouvrant tous les yeux. Je ne sais si vous avez peur de cette arrestation, mais tous les journaux retentissent encore de cette loi publique que vous vous faites de mon républicanisme. Mais sans doute cette loi ne sera pas seule. C'en est assez, je ne cherche pas la célébrité́, vous en êtes bien convaincu. Servir la cause du peuple, la patrie, avec toute la modestie dont je suis capable, c'était là ma plus douce récompense. Mais on veut me conduire à l'immortalité́, et j'attends avec impatience la publicité́ des crimes que l'on m'impute. »

 

 

Le 6 août 1793, Olympe de Gouges est interrogée par Fouquier-Tinville, au Tribunal révolutionnaire, à huis clos

 

« Fouquier-Tinville « lui demanda de fournir des explications sur son affiche. Elle reconnut, cette fois encore, en être l'unique auteur et ajouta que, si elle n'avait pas fait figurer son nom, ce n'était pas la première fois et on devait y voir de la modestie plutôt que de la dissimulation. Habilement, elle s'étonna d'avoir été arrêtée sur la dénonciation de l'afficheur de la Commune alors que la veille, elle avait bien pris soin de remettre un exemplaire du factum, paraphé de sa main, au Comité de salut public. Fouquier n'insista pas et, entrant dans le vif du sujet, il lui fit observer que ‘les représentants du peuple avaient tout récemment décrété la forme du gouvernement français et adopté une République une et indivisible », elle se mettait hors la loi en prétendant rétablir une autre forme de gouvernement :

- Vous ne deviez pas, lui objecta-t-il, ignorer la loi qui fait défense de tenter de proposer de rétablir la royauté en France.

- Mon projet d'affiche, répondit-elle, était terminé avant que cette Constitution fût achevée. La division des partis qui avaient semé la discorde dans les départements m'avait fait craindre la guerre civile pour l'acceptation de la Constitution.

- Lorsque vous avez voulu faire apposer vos affiches, la Constitution était arrêtée et acceptée par un grand nombre de départements.

- Peut-être mais à ce moment, des capitales en révolte, telles que Bordeaux, Lyon, Marseille, le Calvados, parlaient de marcher sur Paris et faisaient à cet effet des préparatifs.

- Loin de prévenir la guerre civile, votre projet des Trois Urnes la faisait au contraire naître au sein de la France, étant impossible de réunir trois partis entièrement divisés dans un même lieu sans que le choc de leur opinion n'y causât une explosion dangereuse.

- Mes intentions étaient pures puisque mes ouvrages, ma conduite et le sacrifice de ma fortune pour la patrie sont la preuve authentique que je n'ai jamais travaillé que pour éviter le fléau de la guerre civile.

 

Olympe de Gouges eut du mal à convaincre Fouquier-Tinville de ses bonnes intentions car avec son projet, de façon implicite, elle mettait non seulement en cause la légitimité́ du gouvernement républicain mais prônait du même coup un gouvernement fédéral, idée essentiellement girondine, voire monarchique, ce qui était encore pire : ‘Trois urnes, avait-elle écrit, seront placées sur la table du président de l'assemblée (de chaque département), portant chacune d'elles cette inscription : Gouvernement Républicain,  Gouvernement Fédéral, Gouvernement Monarchique. Le président proclamera au nom de la Patrie en danger le choix libre et individuel de l'un de ces trois gouvernements...’  Il resterait aux Français, ‘enfin maîtres de leur choix’, à déposer dans l'urne un bulletin correspondant à leur préférence. Ainsi ils se prononceraient librement en faveur du gouvernement qui leur paraîtrait ‘le plus conforme à leur caractère, à leurs mœurs, à leur climat... La majorité́ doit l'emporter’ ».

 

 

 

A la mi-août 1793, Olympe de Gouges s’en prend publiquement à Robespierre

 

« Robespierre m'a toujours paru un ambitieux, sans génie, toujours prêt à sacrifier la Nation entière pour parvenir à la dictature ; je n'ai pu supporter cette ambition folle et sanguinaire et je l'ai poursuivi comme j'ai poursuivi les tyrans. La haine de ce lâche ennemi s'est cachée longtemps sous la cendre, et depuis, lui et ses adhérents attendaient avec avidité́ le moment favorable de me sacrifier à sa vengeance. »[9]

 

 

Olympe de Gouges et Louis Sébastien Mercier

 

« Parmi les hommes de lettres qu'elle avait l'habitude de recevoir chez elle, on rencontrait assez souvent l'auteur des célèbres Tableaux de Paris, Louis-Sébastien Mercier, auteur également de Du Théâtre, ou nouvel essai sur l’art dramatique (1773) et De la littérature et des littérateurs (1778).

Mercier, qui avait influencé ses conceptions personnelles, eut dans sa confiance une place tout à fait privilégiée. Il représentait beaucoup à ses yeux et elle écrivait quelques années plus tard aux comédiens-français qui ne la traitaient pas bien : ‘Mais avec vous, Mesdames et Messieurs, je dois me justifier au sujet de M. Mercier, que je chéris et que j'estime à plus d'un titre, parce qu'il a été avant moi si maltraité par vous ; mais c'est un parfait honnête homme. Il ne connaît pas les adulations et la basse jalousie de tous les petits littérateurs, et je ne m'étonne point si vous n'avez pas su l'apprécier.’ Avec délicatesse, ce dernier écrivait en pensant à elle : ‘Une femme à trente ans devient une excellente amie, s'attache à tel homme qu'elle estime, lui rend mille services, lui donne et obtient toute sa confiance ; elle chérit la gloire de son ami, le défend, ménage ses faiblesses, remarque tout et lui fait part de ce qu'elle apprend [...]. L'amitié́ des femmes a un charme plus doux que celle des hommes ; elle est active, vigilante ; elle est tendre ; elle est vertueuse et surtout, elle est durable...’[10] Comme son amie, il aimait la conversation : il a rapporté les siennes dans ses écrits. Chez lui, autour d'une bouteille de bon vin et, aux beaux jours, dans les jardins du Palais-Royal ou des Tuileries. C'est là qu'un jour, peut-être gagné aux idées qu'on dirait aujourd'hui ‘féministes’, il soutint que ‘les hommes avaient plus dupé les femmes qu'ils n'avaient été trompés par elles’, ajoutant : ‘On ferait un ample volume de nos torts à l'égard du sexe si l'on pouvait les rassembler.’ Pour Léon Béclard, son premier biographe, il aurait été non seulement son teinturier, une sorte de retoucheur-correcteur, mais son amant. Intuition incertaine qu'on ne peut fonder sur rien de solide. Le seul fait établi est qu'on a trouvé ‘un paquet de lettres de Mercier à Mme de Gouges’  saisi chez cette dernière après son arrestation. Lui-même emprisonné avec les ‘soixante-treize’  sympathisants girondins, menacé de la guillotine, il pourrait avoir fait détruire les lettres de son amie quand il apprit qu'elle allait comparaître au Tribunal révolutionnaire.

Elle lui ressemblait beaucoup : ‘généreuse, bonne, compatissante, humaine », et c'était d'autant plus frappant qu'ils présentaient tous les deux une certaine ressemblance physique dans la rondeur de leurs visages. Fleury prétendait voir en elle ‘le frère cadet de Mercier ayant pris cornette et jupon’[11]. Leur amitié́ ne se démentit jamais (…) »

 

 

Olympe de Gouges et les clubs de femmes

 

« Desessarts prétendit que, dans sa défense (devant le tribunal révolutionnaire), elle (Olympe de Gouges) allégua avoir été la fondatrice de clubs de femmes [12]. Mais cette allégation n'est pas confortée par le témoignage de Mme de Gouges elle-même qui, peu avare de détails autobiographiques, n'aurait pas manqué de le signaler ici ou là dans ses écrits. Ou alors peut-être aurait-elle cru pouvoir servir sa cause en se vantant, mais c'eût été́ gravement inopportun car, trois jours plus tôt, les clubs, rassemblements ou réunions de femmes avaient été formellement proscrits par la Convention. Il était possible, cependant, que l'accusateur public voulût tendre un piège à l'accusée en l'interrogeant sur son rôle et sa participation dans les clubs révolutionnaires féminins, jouant sur le fait qu'elle ignorait leur mise hors-la-loi. »

 


Sur Olympe de Gouges, voir sur Féministes en tous genres, voir les articles d'Olivier Blanc (et aussi cet autre-ci et cet autre-là), de Catherine Marand-Fouquet et de Geneviève Fraisse, les nôtres (notamment "J'ai tout prévu, je sais que ma mort est inévitable"), la recension de l'ouvrage de l'historienne Carol L. Sherman par Olivier Blanc, et les entretiens que nous avons réalisés avec Graciela Barrault (première et deuxième parties), sur son site Olympe de Gouges 2.0, et avec Geneviève Fraisse.


En attendant, le 30 décembre, la publication de notre entretien avec Sylvie Pascaud sur Terreur-Olympe de Gouges, et le premier janvier, celle de notre entretien avec Olivier Blanc à l'occasion de la republication de son ouvrage sur Olympe de Gouges. 

 



[1] En juin 1793, aux Tuileries, la jacobine Théroigne de Méricourt fut fustigée par des femmes. Courtisane à la mode sous l’ancien régime devenue l’une des révolutionnaires influentes dans les clubs, dans celui des Cordeliers notamment, elle était la cible de la misogynie ordinairement pratiquée dans les journaux. Depuis le 10 août et les massacres de septembre 1792, les violences à l’encontre des femmes étaient devenues fréquentes (Source : O. Blanc, Olympe de Gouges, de la déclaration des droits de la femme à la guillotine, Tallandier, à paraître le 2 janvier 2014). 

[2] Sur la position de Camus quant à l’exécution de Louis XVI, voir L’homme révolté, dont on peut lire un extrait ici. Sur L’Homme révolté, voir la présentation de Danièle Masson.

[3] Voir sur ce point l’historienne Dominique Godineau, « La ‘Tricoteuse’, formation d’un mythe contre-révolutionnaire », texte est issu d’une communication faite au colloque « L’image de la Révolution française », Paris, 6-12 juillet 1989, et publiée dans M. VOVELLE (dir.), L’image de la Révolution française, Paris/Oxford, Pergamon Press, 1989 ; III, 2278-2285. Ce travail sur le mot tricoteuse a été poursuivi et approfondi dans : D. Godineau, « Histoire d'un mot : tricoteuse de la Révolution française à nos jours », Langages de la Révolution (1770-1815), Paris, INALF-Klincksieck, 1995, p. 601-613.

[4]Bibliothèque de l'Assemblée nationale, fonds Portiez de l'Oise, cité par O. Blanc dans Olympe de Gouges, des droits de la femme à la guillotine, Tallandier, à paraître le 2 janvier 2014.

[5] Déclaration d’Olympe de Gouges lors de son procès selon les Mémoires de Fleury, citée par Olivier Blanc dans son ouvrage, à reparaître le 2 janvier prochain, Olympe de Gouges, de la Déclaration des droits de la femme à la guillotine, Tallandier,  et Elsa Solal, dans Terreur-Olympe de Gouge.

[6] O. Blanc, Olympe de Gouges, des droits de la femme à la guillotine, op. cit.

[7] Fleury, Mémoires, citées par O. Blanc.

[8] Extrait de Mon dernier mot à mes chers amis,  affiche qu’ Olympe de Gouges a fait placarder en décembre 1792 ; elle est citée dans le Journal historique et politique du 20 décembre 1792).

[9] Affiche d’O. de Gouges intitulée Olympe de Gouges au Tribunal révolutionnaire, citée par O. Blanc.

[10] Louis-Sébastien Mercier. Tableaux de Paris, Amsterdam, 1783, p. 333.

[11] Fleury, Mémoires, Paris, 1844, tome 1, p. 86.

[12] Desessarts, Procès fameux, VII, p. 169.


Olympe de Gouges, une résistante à la Terreur - compléments

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En attendant notre entretien avec Olivier Blanc sur Olympe de Gouges, qui sera publié ici demain matin...


Extrait du livre d’Olivier Blanc sur les Trois urnes, dont la tentative d’affichage a conduit à l’arrestation d’Olympe de Gouges

 

« Olympe de Gouges eut du mal à convaincre Fouquier-Tinville de ses bonnes intentions car avec son projet, de façon implicite, elle mettait  en cause la légitimité́ du gouvernement républicain. Solidaire des députés arrêtés ou proscrits, elle désirait contrecarrer le dessein des meneurs de la capitale, qui ‘sous le spécieux masque du républicanisme’  lui semblaient porteurs d’un projet de dictature, ce en quoi elle n’avait pas tort.  : ‘ Trois urnes, avait-elle écrit, seront placées sur la table du président de l'assemblée (de chaque département), portant chacune d'elles cette inscription : ‘Gouvernement Républicain’ , ‘Gouvernement Fédéral’, ‘Gouvernement Monarchique’. Le président proclamera au nom de la Patrie en danger le choix libre et individuel de l'un de ces trois gouvernements...’ Il resterait aux Français, ‘enfin maîtres de leur choix’, à déposer dans l'urne un bulletin correspondant à leur préférence. Ainsi ils se prononceraient librement en faveur du gouvernement qui leur paraitrait ‘le plus conforme à leur caractère, à leurs mœurs, à leur climat... La majorité́ doit l'emporter » (p. 207).

 


Extrait du Testament politique

 

« O divine providence ! toi qui dirigeas toujours mes actions, je n’invoque que toi seule, les hommes ne sont plus en état de m’entendre. Dispose de mes jours, accélères-en le terme. Mes yeux fatigués du douloureux spectacle de leurs dissensions, de leurs trames criminelles, n’en peuvent plus soutenir l’horreur. Si je dois périr par le fer des contre-révolutionnaires de tous les partis, inspire moi dans mes derniers moments, et donne moi le courage et la force de confondre les méchants et de servir encore une fois, si je le puis, mon pays, avant mon heure suprême !
Toi qui prépares de loin les révolutions et frappes les tyrans ! Toi dont l’œil scrutateur pénètre jusques dans les consciences les plus ténébreuses ; le crime est à son comble ; dévoile ce long mystère d’iniquité ; frappe, il est temps. Ou si, pour arriver jusqu’aux jours de tes terribles vengeances, il te faut le sang pur et sans tache de quelques victimes innocentes, ajoute à cette grande proscription, celui d’une femme. Tu sais si j’ai recherché une mort glorieuse ! Contente d’avoir servi, la première, la cause du peuple ; d’avoir sacrifié ma fortune au triomphe de la liberté ; d’avoir enfin donné, dans mon fils, un vrai défenseur de la patrie, je ne cherchais que la retraite la plus obscure, la chaumière du philosophe, digne et douce récompense de ses vertus !


(...)

 Mon fils, la fortune du monde entier, l’univers asservi à mes pieds, les poignards de tous les assassins, levés sur ma tête, rien ne pourrait éteindre cet amour civique qui brûle dans mon âme, rien ne pourrait me faire trahir ma conscience. Hommes égarés par des passions délirantes, qu’avez-vous fait, et quels maux incalculables n’avez-vous pas amassés sur Paris, sur la France entière ? Vous avez hasardé le tout pour le tout, dit-on ; vous vous êtes flattés que, pour, sauver la chose publique, il ne s’agissait que d’une grande proscription ; que les départements, pénétrés de terreur, adopteraient aveuglément çes horribles mesures : si vous ne vous êtes point trompés, si trente-deux victimes peuvent éteindre les haines et les passions, si elles peuvent faire déclarer, par les puissances étrangères, la république indépendante, et détruire l’armée des contre-révolutionnaires, hâtez-vous de faire couler leur sang sur les échafauds ; je vous offre une victime de plus. Vous cherchez le premier coupable ? C’est moi ; frappez. C’est moi qui, dans ma défense officieuse pour Louis Capet, ai prêché, en vraie républicaine, la clémence des vainqueurs pour un tyran détrôné ; c’est moi qui ai donné l’idée de l’appel au peuple ; c’est moi enfin qui voulais, par cette grande mesure, briser tous les sceptres, régénérer les peuples, et tarir les ruisseaux de sang qui coulent depuis cette époque pour cette cause. Voilà mon crime, Français, il est temps de l’expier au milieu des bourreaux.
Mais si, par un dernier effort, je puis encore sauver la chose publique, je veux que, même en m’immolant à leur fureur, mes sacrificateurs, envient mon sort. Et si les Françaises, un jour sont désignées à la postérité, peut-être ma mémoire lui sera-t-elle chère. J’ai tout prévu, je sais que ma mort est inévitable ; mais qu’il est glorieux, qu’il est beau pour une âme bien née, quand une mort ignominieuse menace tous les bons citoyens, de mourir pour la patrie expirante ! »

 

Texte intégral ici

 

Lettre d’Olympe de Gouges adressée au citoyen Dorat-Cubières le 10 juillet 1793 (citée par Olivier Blanc p. 204) :

 

« Je ne cherche pas la célébrité, vous en êtes bien convaincu. Servir la cause du peuple, la patrie, avec toute la modestie dont je suis capable, c'était là ma plus douce récompense. Mais on veut me conduire à l'immortalité, et j'attends avec impatience la publicité des crimes que l'on m'impute. »

 

 

 

D’autres extraits de l’ouvrage d’Olivier Blanc figurent à la suite de mon article sur Terreur-Olympe de Gouges.

Olympe de Gouges : une résistante à la Terreur - entretien avec Olivier Blanc

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olympe-desrais-p-1 entretien O. Blanc 1er janvier 2014.jpg

Olympe de Gouges remet ses premières brochures politiques à Louis XVI et Marie-Antoinette. Gravure de Frussote d'après un dessin allégorique commandé à Desrais, pour l'illustration des Remarques patriotiques d''Olympe de Gouges (1788).

 

Entretien réalisé par échange de mails entre Sylvia Duverger et Olivier Blanc 


Olympe de Gouges, une autodidacte

 

Qu'est-ce qui de l’œuvre de Rousseau a retenu l'attention d'Olympe ? A-t-elle critiqué l'éducation qu'il propose de donner à Sophie, et le grand renfermement des femmes dont il est l'un des théoriciens les plus ardents ?

Olivier Blanc. Olympe de Gouges ne retient de Rousseau que ce qu’elle veut bien. Elle n’est pas une inconditionnelle et ne le nomme pas de son nom mais de son prénom (ce qui entretient une confusion – volontaire ? – avec Jean-Jacques le Franc de Pompignan, son père naturel). Car dans les deux cas, chez le philosophe comme chez l’anti-philosophe, elle admire la qualité de l’écriture, le talent de l’écrivain, son « génie » [1]. Sur la question cruciale de l’éducation des femmes, elle a résumé sa pensée dans un conte, Le Prince philosophe, où elle pose que tout est question d’éducation [2]. Car la femme, si elle a un peu moins de force qu’un homme, possède toutes qualités dites masculines, l’adresse, l’inventivité, la patience, la souplesse, la ruse et, bien sûr, le courage et la raison. Elle peut donc exercer toutes les activités physiques et intellectuelles pour peu qu’elle y soit formée. Ce credo est le socle sur lequel elle appuie son œuvre, et chaque fois que possible – en lançant des défis à ses adversaires – ainsi à Beaumarchais qui méprise les femmes autrices -, en se proposant comme ambassadrice (en remplacement de Duveyrier, envoyé de la Constituante auprès des émigrés) - ou avocate (de Louis XVI), en défiant ses juges –, elle entend convaincre l’opinion publique, par son exemple personnel, que les femmes sont capables de tout, et de l’importance que l’on doit donner à l’éducation des filles.

 

 

Olympe de Gouges n’a pas reçu l’éducation qui lui aurait permis d’être une fine lettrée, comme Charles de Villette, par exemple, l’un de ces quelques hommes féministes au moment de la Révolution, mais elle était avide de penser et de savoir, et contrairement à ce que d’aucuns ont pu suggérer – parmi lesquels Fouquier-Tinville, me semble-t-il –, elle est bel et bien l’auteure de son œuvre, éminemment politique… Elle s’avoue  ignorante, mais cet aveu n’a-t-il pas quelque chose de rhétorique, d’autant que c’est une figure de (non-)style à laquelle les femmes étaient volontiers contraintes, surtout lorsqu’elles osaient défier, comme elle l’a fait, l’outrecuidance masculine ? 

Olivier Blanc. Elle revient sans cesse sur son « ignorance » et soutient que la nature a été son seul guide. Elle transforme ce qui pour d’autres est une tare ou un handicap (la bâtardise) en qualité ou avantage : fille naturelle, elle est donc fille de la Nature, et c’est naturellement qu’elle a tout appris, sans qu’une éducation religieuse, incontournable au XVIIIe siècle, vienne encombrer ou fausser son raisonnement. Ce qui est naturel pour elle est surtout le fruit de l’expérience, et elle compare ses idées à des diamants bruts que l’on peut ensuite polir et mettre en valeur grâce à la maîtrise des règles, c’est-à-dire une technique. « Je suis, dit-elle aussi, d’un pays où l’on parle mal le français  et elle se désole de n’avoir pas appris les règles de l’écriture. Elle sollicite donc la mise en place rapide d’une éducation publique des hommes et des femmes, telle qu’elle sera formulée au début de la Révolution par les intellectuels avec lesquels elle a des échanges réguliers (Cabanis, Condorcet, Talleyrand et tous les habitués prestigieux des salons de Mmes Helvétius et, Pastoret), à ceci près qu’elle est favorable à la mixité : il n’y a pas d’exercice du corps ou de l’esprit qui ne puisse être accessible aux femmes.


 

Olympe de Gouges et les autres femmes révolutionnaires

 

Quelles étaient les relations d'Olympe avec les autres femmes qui se sont engagées en politique au moment de la Révolution, comme Théroigne de Méricourt ?

Olivier Blanc. Sa société fut celle de la marquise de Montesson, de Fanny de Beauharnais, de Julie Talma, de Reine Philiberte de Villette née de Varicourt, de Sophie de Condorcet et de Mme Helvétius. Tout le monde du théâtre la connaissait comme autrice et elle eut des amitiés à éclipses avec les comédiennes Julie Candeille et Marie-Elisabeth Joly. Elle connaissait certainement Théroigne de Méricourt de réputation, mais elle ne l’a probablement jamais rencontrée en particulier. Nous savons qu’elle adressait certains de ses écrits à la Société fraternelle des Deux sexes et elle peut avoir eu des échanges de vue avec Etta Lubina Palm, dite la baronne d’Aëlders [3], qui joua un rôle éminent dans les clubs de femmes. D’après le journal Le Révolutions de Paris, elles défileront ensemble, lors des cérémonies commémoratives du 14 juillet 1792. On ignore ses relations avec Manon Roland de La Platière et Louise de Kéralio, qu’elle rencontra certainement par l’intermédiaire de Louis-Sébastien Mercier (son ami de cœur), de Michel de Cubières ou de Jérôme Pétion, le maire de Paris qu’elle connaissait[4]. Elle avait aussi fait la connaissance des Girondins Vergniaud et Dulaure plus de dix ans avant la Révolution.


Quels étaient les clubs de femmes au moment de la Révolution quel rôle Olympe de Gouges y a-t-elle joué ?

Olivier Blanc. Les clubs de femmes ne sont pas apparus du jour au lendemain pendant la Révolution. Depuis la fin du règne de Louis XV, il y avait en région parisienne, et également en province, des occasions de réunions libres entre hommes et femmes, que ce soit les « bureaux d’esprit » des grandes bourgeoises et des personnalités, comme Mlle Guimard, qui recevaient une fois par semaine dans leurs hôtels ou leurs petites maisons, ou des cercles philosophiques et mondains qui colportaient des « nouvelles à la main » comme chez Mme Doublet de Persan [5].

Lors de la révolution, ces cercles conviviaux privés prirent un caractère public, et s’ouvrirent au tout-venant et, notamment, dans l’enceinte du Palais-Royal, où se développèrent des « académies de jeu » et des clubs (club des arts ou club de Valois). La puissante protection du duc d’Orléans s’étendait à ces clubs, tel celui des Arcades, de Goury de Champgrand et Sophie Arnould, où l’on faisait de la politique autant que l’on jouait ; elle permettait de braver les édits contre ce genre de rassemblement, notamment celui de 1787, qui resta lettre morte [6].

Puis les Loges maçonniques d’adoption et le Musée ou Lycée (un collège de France avant la lettre placé sous la protection de Monsieur, frère du roi) fournirent d’autres occasions de brassage des classes et des sexes jusqu’à l’apparition des clubs politiques proprement dits, où la mixité était souvent de mise.

Olympe, Condorcet et sa femme, Charles de Villette et beaucoup d’autres personnalités étaient membres du Club de la Révolution ou Portique Français qui, ouvert en janvier 1790, tint ses séances dans le Cirque du Palais-Royal (ancienne salle de manège de la famille d’Orléans puis salle de conférence).

Le fondateur à Paris du club des Amis des Noirs, le girondin Brissot, confirme par ailleurs qu’Olympe de Gouges était membre de ce club, tout comme Grégoire et Condorcet, contrairement à ce qui a été avancé sur Wikipédia et ailleurs :"J'ai, écrit Brissot, cité quelques-unes des femmes qui faisaient partie de la Société des Amis des Noirs. Je ne dois pas oublier, parlant d'elles, Olympe de Gouges, encore plus célèbre par son patriotisme et son amour de la liberté que par sa beauté et plusieurs ouvrages écrits parfois avec élégance, toujours avec une noble énergie. ADMISE DANS NOTRE SOCIETE (DES AMIS DES NOIRS), les premiers essais de sa plume furent consacrés aux malheureux que tous nos efforts ne pouvaient arracher à l'esclavage". Les papiers Brissot comportent l'extrait ci-dessus, tiré du manuscrit des "Mémoires", en partie inédits, de Brissot, que l’on peut consulter aux Archives nationales sous la cote 446 AP 15. Il existe aussi une lettre d’Olympe à Brissot, dans laquelle elle lui fait part des persécutions des hommes de main de la Commune contre les Girondins (lettre du 20 novembre 1792).

Les premiers clubs majoritairement féminins apparurent en octobre 1790, et eurent une existence éphémère, à l’exception de la « Société des Amies de la Vérité », où furent prononcés les plus beaux discours sur l’émancipation politique des femmes.

Il n’y eut jamais de club portant le nom de « club des tricoteuses », c’est un fantasme misogyne qui s’est développé en se fondant sur les allégations du journaliste Montagnard Prudhomme, développées dans ses critiques réitérées [7] des sociétés fraternelles de Paris, Lyon et Dijon en février 1793, puis dans l’historiographie hostile à la Révolution en général [8]. Même_si les mégères sadiques qui assistaient aux exécutions de l’an II ont réellement existé : elles étaient présentes, selon les rapports des inspecteurs de police en civil, au procès et à l’exécution d’Olympe de Gouges).

Sur Olympe de Gouges et les clubs de femmes, lire un extrait du livre d'Olivier Blanc (en complément de l'article de S. Duverger sur Olympe de Gouges et la Terreur).



Les derniers mois d'Olympe de Gouges

 

Olympe de Gouges a pris une position courageuse au moment de l’arrestation de ses amis girondins. Son exemple fut-il beaucoup suivi ?

Olivier Blanc. Le courage politique d’Olympe, en de telles circonstances – un complot politique contre les Girondins doublé d’un coup de force contre l’Assemblée les 31 mai et 2 juin 1793, avec les conséquences terrifiantes que l’on sait pour 150 élus de la Nation [9]–, est remarquable. Une autre femme, à peu près  inconnue, a retenu l’attention des députés à la veille du 31 mai 1793, alors que le piège tendu aux Girondins se refermait sur eux. Cette femme, Marie-Anne Concarneau, épouse du journaliste girondin Roch Marcandier,  avait été arrêtée pour avoir distribué le journal de son mari, Le Véritable ami du peuple, l’un des derniers  journaux d’opposition girondine à résister aux voies de faits de la Commune de Paris. Ses hommes de main, souvent armés de gourdins, s’en prenaient en effet à tous ceux qui exprimaient publiquement leur solidarité avec les Girondins, lesquels, selon une lettre de Brissot, s’attendaient à une « nouvelle Saint-Barthélémy ».

Olympe de Gouges elle-même déposa plainte à la section des Quatre-Nations au sujet d’une agression physique dirigée contre elle (qui donna lieu à l’interpellation de l’agresseur – Lazowski – à la Convention par le Girondin Vergniaud).Mais l’avenir devait être pire encore.

Le 9 juin 1793, revenant spécialement de Tours où elle se trouvait, à Paris, elle a adressé à la Convention soi-disant épurée une lettre dans laquelle elle prenait crânement la défense des Girondins arrêtés ou en fuite, accusant la Convention d’avoir «perdu de sa splendeur ».

En complément, lire l’article d’Olivier Blanc, « Olympe de Gouges : une femme persécutée qui n’avait que de l’humanité à opposer au cynisme »



A lire les textes qu'Olympe de Gouges a fait paraître dans les mois qui ont précédé son arrestation, et que vous citez dans votre ouvrage –  je songe notamment à son Testament politique - j'ai eu le sentiment qu'elle s'était déterminée à continuer d'intervenir sur la scène politique - de monter à la tribune, du moins autant que la sous-citoyenneté des femmes lui en laissait le loisir - en ayant pleinement conscience qu'elle risquait l'échafaud.

Elle aurait dès lors agi en héroïne tragique, n’étant pas sans savoir qu’elle serait, elle aussi, condamnée à mort, mais choisissant cette mort, qu’elle se représente comme sacrificielle, plutôt que le renoncement à l’action politique et le reniement de soi-même.

Cependant, c'est peut-être un leurre. Cette adresse saisissante du Testament politiqueà ses contemporainEs mais aussi à l’Histoire ne pourrait-elle pas relever de la rhétorique révolutionnaire, celle de l’hyperbole, où les mots ne cessent de dépasser, sinon la pensée, du moins l’expérience vécue ?

En effet, elle venait d'acheter une maison à Tours, et s'apprêtait à se retirer ; elle n’en fait d’ailleurs pas mystère dans Le Testament politique. Et elle paraît aussi espérer encore pouvoir œuvrer à détourner le cours sanguinaire pris par la Révolution...

A moins qu’elle n’ait oscillé entre horreur ou désespoir et résolution et optimisme…

Olivier Blanc. Notre historiographie des débuts de la Convention a été sévèrement réécrite par les Thermidoriens, qui sont à la fois les assassins des Girondins et, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ceux deRobespierre qui, découvrant tardivement à qui il avait affaire, en parlait dans son dernier discours comme de « scélérats gorgés de rapines et de sang ». Si bien qu’on a oublié à quel point les violences et menaces exercées contre les Girondins, les semaines précédant le 31 mai 1793, ont été réelles, menaces destinées à les dissuader de venir siéger.

C’est à cela qu’Olympe de Gouges fait allusion dans ses derniers écrits, et notamment après l’agression que j'ai évoquée précédemment, laquelle faisait suite à une autre agression dont elle s’était tirée par un mot d’esprit : au lendemain de sa proposition à la Convention d’assister Malesherbes dans sa défense de Louis XVI, elle fut prise à partie par un groupe d’énergumènes dont l’un la saisit par la tête en soulevant son sabre : « A trois sous la tête de la citoyenne de Gouges, qui dit mieux ? ». Sans se démonter elle répondit : » Je mets la pièce de cinq et je vous demande la préférence ».

Les hommes comme les femmes (dont Théroigne, devenue girondine à cette époque), dès lors qu’ils/elles s’opposent à la Commune et à la faction ultra-jacobine, sont physiquement menacéEs, à commencer par les chefs du mouvement girondins et tous les journalistes et écrivains qui leur sont favorables. Les « tapes-drus » (rebaptisés « tape-durs »), armés de gourdins, règlent leur compte aux protestataires, dévastent les imprimeries où l’on édite les journaux girondins et suivent les députés à leur sortie de séance. Tout s’est emballé après la tentative avortée de renversement du 10 mars 1793 contre la Convention, répétition du 31 mai.

C’est fin mars qu’Olympe rédigea son Testament politique, qui est en effet prémonitoire, puis elle alla visiter des maisons dans la région de Tours dans l’intention d’acquérir une retraite plus sûre qu’à Paris.

 

 

Vous-même comment comprenez-vous ce risque tout de même assez inouï qu'elle a pris de vouloir faire placarder sur les murs de Paris la proposition de mettre au vote trois types de régimes politiques, alors même que venaient d’être arrêtés ceux qui s’étaient contentés d’exprimer publiquement leurs désaccords avec les massacres d’août-septembre 1792 ?

Elle a pris le risque de publier un texte interdit, par passion politique, en ne signant pas de son nom, ce qui ôte à son entreprise le caractère « suicidaire » qu’elle peut sembler avoir. Dire qu’elle était « suicidaire » cautionne la lâcheté de ceux qui n’ont rien fait. Son entreprise s’inscrit dans une stratégie de protestation quand, le 9 juin 1793, elle prend ouvertement la défense des Girondins proscrits et arrêtés à la séance ; puis, avec son affiche, Les trois urnes, pour laquelle elle sera décapitée, elle opte pour une stratégie de résistance, face à une Assemblée et un Gouvernement devenus illégitimes à ses yeux.

Elle est la seule ? Certainement pas. Le jour où elle est arrêtée, le 20 juillet 1793, comme le sont déjà une centaine de Girondins, tous les électeurs de ces députés, dans une cinquantaine de  départements, se soulèvent contre ceux qui, à Paris, par le biais des sections noyautées, ont, de leur point de vue, pris illégalement le pouvoir le 31 mai en se déclarant « le peuple ».

Une résistante à l’oppression est toujours une héroïne tragique. Après la publication de la première édition de mon livre, trois femmes qui avaient été frappées par sa détermination et son courage, sont venues à ma rencontre pour évoquer l’exemplarité d’Olympe. Or ces femmes engagées, dont je salue la mémoire, Mmes Mireille Albrecht, Jacqueline de Chambrun et Nicole Stéphane avaient – est-ce un hasard ? – chacune participé à la résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Et elles avaient éprouvé des sentiments qui m’ont semblé proches de ceux d’Olympe de Gouges dans la dernière année de sa vie, où son engagement pour une république à visage humain a été total.

Lire, dans la note précédente, des extraits de l’ouvrage d’Olivier Blanc et du Testament politique d'Olympe de Gouges.

 

 

Question de style

 

Au sujet de Charles de Villette, vous écrivez que son style se démarque de celui de ses contemporains  [10]. Qu’en est-il de celui d’Olympe de Gouges ? Les pièces d’olympe sont-elles encore jouables aujourd’hui ?

Les pièces politiques sont difficilement jouables car les spectateurs d’aujourd’hui ne  connaissent pas suffisamment le contexte révolutionnaire pour apprécier les textes à leur juste mesure. Les pièces « humanistes » comme L’Homme généreux ou Zamore et Mirza sont très marquées par la sentimentalité propre au 18e siècle, qui fait le régal des érudits et des passionnés de théâtre mais déplairait peut-être au grand public d’aujourd’hui. Sur le fond, ces pièces tiennent très bien la route car les idées qu’elles véhiculent sont éternelles. Elles ont pu  même parfois déranger les convictions de certain(e)s : Olympe, qui a fait de son héros l’esclave noir Zamore un meurtrier (d’un intendant brutal), lui offre ainsi d’être pardonné par le gouverneur de l’île où se déroule l’histoire, et d’épouser Mirza, la femme qu’il aime. A cette époque, la critique a trouvé inadmissible qu’elle ait choisi cette fin morale et cherché à ce point à faire bouger les lignes.

 

 

La reconnaissance d’Olympe de Gouges

 

Olympe de Gouges, désormais, semble intéresser les historiennes féministes du monde entier. Vous avez ici même recensé l’ouvrage de carol L. Sherman. Avez-vous connaissance d’autres travaux effectués ailleurs, dans d’autres langues ? Les œuvres d’Olympe sont en cours de traduction en anglais, par Clarissa Palmer, mais sont-elles disponibles dans d’autres langues ? y a-t-il d’autres projets éditoriaux dont vous ayez connaissance ?

J’ai actualisé la liste des travaux scientifiques sur Olympe dans la dernière édition de mon livre. J’ai aussi connaissance de traductions en anglais (Clarissa Palmer) et en allemand (Victoria Frysak) de ses textes, qui font l’objet d’un très grand nombre de travaux universitaires dans le monde entier, Chine et Japon compris.

La Déclaration des droits de la femme est aujourd’hui accessible dans beaucoup de langues. Il serait regrettable qu’Olympe de Gouges, qui incarne si bien la femme moderne, qui a inventé un modèle nouveau de femme engagée en politique, rompant avec la tradition millénaire des femmes d’influence caractéristique de l’ancien régime de droit divin, n’ait pas bientôt sa place au Panthéon des grandes démocrates françaises.

 

 

En complément, sur Olympe de Gouges :

- lire les articles d'Olivier Blanc, « Mona Ozouf, Rousseau, Olympe de Gouges et trois résistantes – réponse d’Olivier Blanc à Mona Ozouf » ;

 « Olympe de Gouges, une femme persécutée qui n’avait que de l’humanité à opposer au cynisme »,

« Olympe de Gouges : une féministe, une humaniste, une femme politique », 

sa recension de l'ouvrage de Carol L. Sherman,

- l’article de Catherine Marand-Fouquet, à l’origine de la première demande de panthéonisation d’Olympe de Gouges

- un entretien avec Geneviève Fraisse, "Olympe de Gouges et la symbolique féministe"

un article de Geneviève Fraisse, "Olympe de Gouges et la subversion dans l'histoire", 

des vidéos réalisées par Graciela Barrault, dans lesquelles G. Fraisse aborde la question de l'autodidaxie d'Olympe de Gouges et souligne le caractère subversif de sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ; 

- Un entretien avec Graciela Barrault, conceptrice du musée virtuel Olympe de Gouges 2.0 (ici et ), 

- les articles de Sylvia Duverger

"J'ai tout prévu, je sais que mort est inévitable" 

"Olympe de Gouges parmi d'autres panthéonisables"

Sur Olympe de Gouges porteuse d'espoir, pièce de Clarissa Palmer et Annie Vergne, qui reprendra bientôt au Guichet Montparnasse :

Olympe de Gouges sur les scènes de théâtre parisiennes

(Nous publierons bientôt un entretien avec Annie Vergne.)

Sur Terreur-Olympe de Gouges, d'Elsa Solal qui se joue jusqu'au 4 janvier au Lucernaire :

Olympe de Gouges et la Terreur

Olympe de Gouges a eu raison trop tôt - entretien avec Sylvie Pascaud 


Sur la démocratie française comme démocratie exclusive, qui exclut les femmes sans expliciter cette exclusion, voir de Geneviève Fraisse, "La démocratie exclusive demeure un paradigme français", republié sur Féministes en tous genres avec l'aimable autorisation des éditions Gallimard (introductionpremière, deuxième, troisième et quatrième parties).



[1] Le Franc de Pompignan était alors aussi connu pour son antagonisme avec Voltaire, le philosophe de Ferney, qu’elle admirait beaucoup : elle le cite souvent, ainsi en exergue à L’esprit français (1792), l’une de ses meilleures brochures politiques.

[2] Lire, entre autres, ses réflexions sur l’éducation dans Olympe de Gouges, Philosophie, dialogues et apologues, Cocagne 2010, pp. 242-248.

[3] Voir sa biographie dans Olivier Blanc, Les libertines, Plaisir et liberté au temps des Lumières, Paris, 1997, pp. 213-230.

[4] Elle logeait en 1792 rue Saint-Honoré n° 253, chez le citoyen Philbert de Lunel, beau-frère de Pétion, qui tenait l’hôtel garni des Vivres de la Marine.

[5] Telles celles  publiées par Bachaumont et ses suiveurs sous le nom de Mémoires secrets.

[6] Voir O. Blanc,  « Cercles politiques et ’salons’ du début de la révolution (1789-1795) in Annales historiques de la révolution française, 2006, n° 344, pp. 63-92, article accessible sur le site de Persée.

[7] Ces critiques ponctuent les Révolutions des Paris de 1792, avec Olympe de Gouges pour cible. L’une des plus étayées figure dans  le numéro 185 des Révolutions de Paris, (janvier 1793), Avis aux femmes formant un club dans la ville de Dijon. Lire aussi la Réponse des républicaines au citoyen Prudhomme le 10 février 1793.

[8] Voir notamment l’ouvrage de Stewarton, The Female revolutionnary Plutarch : Containing Biographical, Historical and Revolutionary Sketches, Characters and Anecdotes, London, 1806.

[9] Ce chiffre des élus persécutés est emprunté à l’un d’eux, le député Girondin Dulaure, historien, qu’Olympe de Gouges connaissait personnellement depuis au moins 1786.

[10]  « Charles de Villette député, homosexuel et féministe » in Actes du colloque Les hommes féministes, Paris,  Clermont-Ferrand, 2013, publiés sous la direction de Florence Rochefort et Eliane Viennot aux Presses de l’université de Saint-Etienne en 2013.

Olympe de Gouges était-elle royaliste ? Entretien avec Olivier Blanc

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Olympe de Gouges, Olivier Blanc

 


Lire la première partie de cet entretien, « Olympe de Gouges, une résistante à la Terreur ».

 

Sylvia Duverger : En préambule à sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791), Olympe de Gouges s'adresse à la reine, qu'elle presse de sauver la royauté en s'opposant à ce que « l'étranger porte le fer en France » et en « employ(ant) tout (s)on crédit pour le retour des Princes ». Elle fait valoir que si elle se fie à ce qu'elle-même sent, « le parti monarchique » se détournera des « tyrans » s'ils « arment contre leur patrie toutes les puissances » « pour de frivoles prérogatives ». Le 16 décembre 1792, elle a proposé la Convention d'assurer la défense de Louis Capet, qu'elle voulait sauver de l'échafaud. Olympe de Gouges était-elle donc royaliste ?

 

Olivier Blanc : Le passage de la monarchie absolue à la monarchie constitutionnelle a permis l’émergence de la démocratie en France. Une démocratie bien imparfaite, certes, avec suffrage censitaire et déni des droits politiques des femmes, mais une avancée gigantesque avec les droits de l’Homme posés en préambule de la Constitution et l’abolition immédiate des privilèges (le 4 août 1789).  Il y avait, alors, un vrai danger à prendre le parti constitutionnel car, en cas d’un possible retour à l’ordre ancien, la répression eût été sanglante : une brochure éditée par les émigrés à Coblence avait voué les Constitutionnels aux pires châtiments : pendaison, roue et même écartèlement. A l’époque, on mesurait mieux qu’aujourd’hui le risque pris par ces hommes et ces femmes de 1789. En revanche, les risques courus au 10 août 1792 parurent moindres, et pour beaucoup, le remplacement de la monarchie constitutionnelle par la République (août-septembre 1792) fut en quelque sorte une formalité à laquelle tout le monde était préparé, sauf Louis XVI [1].

On a reproché à Olympe d’avoir voulu épargner la vie de Louis XVI alors qu’elle le reconnaissait coupable. Son aversion pour la peine de mort explique qu’elle ait voulu le défendre devant la Convention en posant que son fils ou son frère lui survivrait de toute façon (ses frères régnèrent en effet sous la Restauration), et qu’il valait mieux négocier la paix en se servant de la famille royale comme otage.

Contrairement à certaines gloires du panthéon révolutionnaire surgies après coup - résistants de la dernière heure apparus dans l’instabilité politique et les manœuvres diverses liées au changement de régime -, Olympe de Gouges se tenait dès septembre 1788 sur la scène politique, à ses risques et périls [2].

Dans les journaux royalistes, elle fut décriée et calomniée de la pire façon, ainsi dans le Petit dictionnaire des Grands hommes de Rivarol qui la disait « sortie des écuries d’Orléans », ou le Journal à deux liards de l’abbé de Bouyon, dans lequel, comme son amie Mme Helvétius, elle est traitée de sorcière. Les royalistes ne la reconnaissaient donc pas comme l’une des leurs.

Était-elle aristocrate ?  Quel sens en effet avait ce mot au temps de la Révolution ? Il s’opposait à « démocrate ». Olympe, qui écrivit une pièce de théâtre pleine d’esprit intitulée Les Démocrates et les Aristocrates, renvoyait ses lecteurs au cas d’un pauvre moribond d’ancien régime qui, sur son lit de mort, était pressé par un curé inquisiteur : « Êtes-vous Moliniste ou Janséniste ? ». « Hélas, répondit-il, je ne suis qu’ébéniste. »Par honnêteté intellectuelle, elle refusait comme lui d’être cataloguée, car elle savait bien que ces mots constituent des leurres : à l’époque de la Révolution, les aristocraties parlementaires, financières et marchandes avaient résolument et efficacement contribué à la chute de la noblesse d’épée, cette autre aristocratie, représentée par les Bourbons, dans le but de se substituer à elle, ce qu’elle a fait. Olympe, comme tous ceux qui avaient un peu de culture et d’expérience politique, ne se faisait aucune illusion sur la valeur de ces mots, dont les factions se servirent sans cesse, comme autant d’instruments de la démagogie politicienne ordinaire. Le niveau de fortune dissimulé par des prête-noms et autres subterfuges [3], les relations discrètes ou avouées avec le monde de la finance et les assertions des membres des comités de gouvernement de la Terreur [4] nous renseignent ainsi sur la valeur relative de ces postures et de ces discours où les mots masquent mal une réalité qui est souvent extrêmement différente. Camille Desmoulins y fait souvent allusion dans son journal le Vieux Cordelier, et dans les coulisses de la Convention, on savait, sans pouvoir le dire publiquement que Collot d’Herbois [5], Amar [6], Barère ou encore Vadier [7], entre autres, n’avaient que mépris pour la démocratie. Avec une paille, disait ce dernier au sujet des Français qu’il comparait à des bœufs, on peut aisément diriger ce tas de «badauds» [8]. Tous ces hommes qu’Olympe, au Tribunal révolutionnaire, dénonça avec un courage inouï comme avides de pouvoir et d’argentn’avaient de démocrate et de républicain que le masque [9].

 

Le niveau de fortune d’Olympe – elle doit faire déposer trois bijoux de peu de valeur au Mont-de-Piété pour payer sa pension de prison – et ses écrits nous renseignent largement sur la sincérité de cette fervente patriote, qui périt pour avoir dénoncé les impostures et les masques « révolutionnaires » sur lesquels une certaine école dite « robespierriste » s’appuie toujours pour écrire l’histoire [10]. Car il faut être bien ignorant pour prétendre qu’Olympe de Gouges était à la fois royaliste et fédéraliste, comme je l’entends dire ici et là.

Laissons pour finir la parole au député Louis-Sébastien Mercier qui s’exprime le 17 février 1793 dans le Journal de Paris : « Quand les despotes sont armés, l’inaction et le silence accusent le citoyen. Il faut combattre pour la liberté ou entretenir par ses écrits le feu du patriotisme. Personne ne s’est plus empressé de payer cette dette sacrée que la républicaine Olympe de Gouges.» [11]  

 


En complément, sur Olympe de Gouges, lire, sur Féministes en tous genres :

 

les articles d'Olivier Blanc, « Mona Ozouf, Rousseau, Olympe de Gouges et trois résistantes – réponse d’Olivier Blanc à Mona Ozouf » ;


 « Olympe de Gouges, une femme persécutée qui n’avait que de l’humanité à opposer au cynisme » ;


« Olympe de Gouges : une féministe, une humaniste, une femme politique » ;


sa recension de l'ouvrage de Carol L. Sherman ;


l’article de Catherine Marand-Fouquet, à l’origine de la première demande de panthéonisation d’Olympe de Gouges ;


- un entretien avec Geneviève Fraisse, "Olympe de Gouges et la symbolique féministe" ;


un article de Geneviève Fraisse, "Olympe de Gouges et la subversion dans l'histoire" ;


des vidéos réalisées par Graciela Barrault, dans lesquelles G. Fraisse aborde la question de l'autodidaxie d'Olympe de Gouges et souligne le caractère subversif de sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ; 


- Un entretien avec Graciela Barrault, conceptrice du musée virtuel Olympe de Gouges 2.0 (ici et ) ;


- les articles de Sylvia Duverger

"J'ai tout prévu, je sais que mort est inévitable" 


"Olympe de Gouges parmi d'autres panthéonisables"


Sur Olympe de Gouges porteuse d'espoir, pièce de Clarissa Palmer et Annie Vergne, qui reprendra bientôt au Guichet Montparnasse :

Olympe de Gouges sur les scènes de théâtre parisiennes

(Nous publierons bientôt un entretien avec Annie Vergne.)


Sur Terreur-Olympe de Gouges, d'Elsa Solal, et sa mise en scène par Sylvie Pascaud au théâtre du Lucernaire :


Olympe de Gouges et la Terreur


Olympe de Gouges a eu raison trop tôt - entretien avec Sylvie Pascaud 


Sur la démocratie française comme démocratie exclusive, qui exclut les femmes sans expliciter cette exclusion, voir de Geneviève Fraisse, "La démocratie exclusive demeure un paradigme français", republié sur Féministes en tous genres avec l'aimable autorisation des éditions Gallimard (introductionpremière, deuxièmetroisième et quatrième parties).


 

 



[1] Voir Arrêt de mort rendu par Olympe de Gouges contre Louis Capet, le 18 janvier 1793.

[2] Dénoncée au club des Jacobins lors de l’affrontement entre le girondin Louvet et Robespierre, elle stigmatise les nouveaux hommes du jour à qui elle reproche d’avoir été bien silencieux en 1789 quand il y avait du danger à prendre position : « Qu’étiez-vous alors Marat, Robespierre, Bourdon ? Des insectes croupissant le bourbier de la corruption d’où vous n’êtes pas encore sortis. » (O. de Gouges, Journal de la Cour. Compte moral rendu à la Convention. Cette brochure parue en novembre 1792 fut également diffusée sous la forme d’une affiche).

[3] Les techniques de transfert à l’étranger, de dissimulation ou de recyclage de l’argent mal acquis dans les biens nationaux, les entreprises de transport militaire ou les maisons de jeux commencent à peine à être étudiés, grâce notamment à l’accès simplifié – depuis peu – aux archives des notaires. Bibliographie dans O. Blanc, La corruption sous la Terreur, Paris, 1992.

[4] Voir les notes suivantes.

[5]« J’affirme, écrit Camille Desmoulins, que Reverchon m’a dit de Collot d’Herbois qu’il avait fait tout au monde pour rendre la république hideuse et faire la contre-révolution à Lyon » (J. Courtois, Papiers trouvés chez Robespierre, I, pp.  292-293). En écho à Desmoulins, Jean-Jacques Arthur rapportait ces propos que Collot d’Herbois tenait à son sujet alors qu’il était « introduit dans l’intimité des chefs de la montagne » : « Ne voilà-t-il pas encore un sot qui croit à l’égalité ? » (Lombard de Langres, Mémoires anecdotiques, Paris, 1823, I, 137).

[6]Amar, l’un des chefs de la police politique, avait reconstitué une fortune délabrée, de même que Vadier ou bien encore Bertrand Barère, rapporteur du Comité de salut public, qui, selon le citoyen Baldebat acheta, sous le nom de son secrétaire Demerville, pour 600 000 livres de biens nationaux dans sa région natale, à savoir le gigantesque domaine de Séméac, le « petit Versailles de Bigorre », qu’il revendit à son frère, et le domaine abbatial de Saint-Lézer (O. Blanc, La Corruption sous la Terreur, Paris, 1992, comporte un index et fait de nombreuses références à Barère et Vadier).

[7]Marc-Guillaume-Alexis Vadier originaire de Pamiers (Ariège), avocat condamné pour escroquerie par le Parlement de Toulouse, se lia avec Barère de Vieuzac avec qui il entra en 1791 au club ultra-libéral des Feuillants (Voir les Mémoires d’un Pair, de Fabre de l’Aude). Grâce à l’influence de Barère, il fut nommé président du Comité de sûreté générale, la police politique de la Terreur. Il est un des personnages les plus décriés de cette époque. Il est mort en exil à Bruxelles..

[8] C’est Joachim Vilate, auteur de révélations sur les membres des comités de gouvernement, qui a rapporté ces propos sur le troupeau de bœufs et sur l’idée que Vadier et Barère se faisaient de la démocratie (Causes secrètes de la Révolution du 9 au 10 thermidor, Paris, l’an III cité par O. Blanc, Les hommes de Londres, histoire secrète de la terreur, Paris, Albin Michel, 1989, pp. 69-70).

[9]Louis-François L’héritier, qui mit en ordre des notes laissées par Charles-Henri Sanson confirme l’incroyable courage d’Olympe au Tribunal révolutionnaire : « Cette femme avait eu le tort de provoquer le ressentiment de ses juges. Pendant les débats, elle leur avait tenu tête ; elle les avait taxés d’ineptie et de mauvaise foi ; elle leur avait reproché de n’être que des ambitieux qui aspiraient à la fortune et au pouvoir, tandis qu’elle, au contraire, s’était ruinée pour propager les principes de la Révolution. » (Mémoires pour servir à l’histoire de la Révolution, 1831, p. 116.)

[10]  L’histoire politique de la Terreur sous l’angle financier ouvre des perspectives qui vont souvent à l’encontre de ce qu’on retire de l’Histoire-tribune, celle des discours et des postures qui occupent généralement l’avant-scène historiographique. Sur le sujet je renvoie à ma communication « Argent et corruption sous la Terreur » à paraître en mai 2014 dans les actes du colloque sur Robespierre qui s’est tenu en octobre 2013 à l’Institut catholique de Paris, en hommage à Henri Guillemin (en ligne sur Mediapart).

[11] Il n’existe pas de réédition du Journal de Paris auquel coopérait Louis-Sébastien Mercier, que l’on peut consulter dans les grandes bibliothèques à la date du 17 février 1793. A signaler : la belle réédition d’une partie des Tableaux de Paris de Mercier sous le titre Les femmes de Paris, présentation par Sabine Melchior-Bonnet, Tallandier, 2012.

Olympe de Gouges était-elle un homme ? entretien avec Olivier Blanc

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Guillaume Voiriot,  L’application à l’étude, huile sur toile, 1775, collection particulière, droits réservés (oeuvre à ce jour pour la première fois reproduite). 

 



François Hollande a panthéonisé deux résistantes, Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz, la première, fondatrice, et la seconde, membre, du réseau du Musée de l’homme. Féministes en tous genres ne peut que saluer l’entrée de ces femmes remarquables au Panthéon - en septembre dernier je demandais qu’il y soit fait place à l’une au moins des nombreuses résistantes, dont la plupart sont, pour ainsi dire, plus inconnues encore que la femme du soldat inconnu.

Reste que touTEs les partisaNEs de la panthéonisation d’Olympe de Gouges – dont je suis, cela, sans doute, n’aura échappé à personne – sont consternéEs par l’omission de cette grande femme politique, autrice, notamment, de la revendication féministe «la plus achevée» du siècle des Lumières, car sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne «prend au mot la Révolution en matière d’universalisme» [1].

Olympe de Gouges était arrivée en tête, devant Germaine Tillion, Louise Michel et Simone de Beauvoir, de la consultation sur le Panthéon lancée en septembre 2013 par le président du Centre des monuments nationaux, Philippe Bélaval.

Dans son rapport, Philippe Bélaval préconisait de ne panthéoniser, cette fois, que des femmes, étant donné la disparité flagrante de la reconnaissance nationale : 71 hommes (71 sépultures et un très grand nombre de nommés sur des plaques) pour 2 femmes, dont l’une, Sophie Berthelot, n’y fut admise qu’ « en hommage à sa vertu conjugale » et pour ne pas séparer ses cendres de celles de son époux.

François Hollande en a décidé autrement : plutôt que de déloger des hommes jusqu’à ce que parité il y ait – et il y en des hommes délogeables : ce ne sont pas seulement les quelque quarante comtes d’empire qui n’y sont pas légitimes, mais tous les sexistes (Rousseau, par exemple), tous les racistes, les homo-, lesbo- ou trans-phobes (il y a une recherche à faire à ce sujet) - il a opté pour une panthéonisation paritaire qui ne change presque rien à l'affaire.

Lire la synthèse de Jonathan Parienté sur Le Monde

Qui repose au panthéon ? 

Les Nouvelles News, "La parité entre au Panthéon"

Il serait aisé, et nécessaire, de remplacer ces intrus par des femmes, des non-BlancHEs, des non-hétérosexuelLEs qui se soient signaléEs par une liberté volontaire, une tolérance salutaire ou une clairvoyance hors pair : Christine de Pisan, Marie de Gournay, Gabrielle Suchon, Solitude, Louise Michel, Hubertine Auclert, Simone de Beauvoir, Claude Cahun (Lucy Schwob) et Marcel Moore (Suzanne malherbe) (qui ne troublèrent pas seulement les identités genrées, mais s'engagèrent aussi de la résistance)...

Jusque-là, que l’on ne nous parle pas de parité ni de pertinence dans les intronisations au Panthéon ! Car désormais ce sont 73 hommes (et, semble-t-il seulement trois non-Blancs cités : Félix EbouéLouis Delgrès, Toussaint LouvertureAimé Césaire), pour seulement 4 femmes qui sont désignéEs comme des figures remarquables de l’histoire de France… Ce n’est pas ainsi, en ne panthéonisant pas une "figure emblématique du féminisme" - c'est ce titre que François Hollande décernait en juin 2013  à Olympe de Gouges - que l’on viendra à bout des inégalités. Ce n’est pas ainsi que l’on reconnaîtra que les femmes et les non-BlancHEs ont été effacéEs de l’histoire. Ce n’est pas ainsi que l’on protégera les discriminéEs en raison de leur genre, de leur couleur, de leur origine, de leur sexualité, des intolérantEs, des inégalitaires, des réactionnaires qui aujourd’hui battent le pavé, font le siège des bibliothèques, retirent leurs malheureux enfants de l’école pour mieux les tenir en laisse, en leur imposant de porter le carcan du genre prescrit …

 

Sylvia Duverger





Olympe de Gouges était-elle un homme ?

Entretien avec Olivier Blanc

 

 

     Sylvia Duverger. Ni le terme de féminisme ni le concept de genre n'étaient en usage au XVIIIe siècle. Néanmoins il ne fait pas de doute qu'Olympe de Gouges aurait été une défenseuse de l'égalité des femmes et des hommes. Elle aurait aussi, il me semble, estimé que le genre est «une catégorie utile d'analyse» [2] de «l’organisation sociale des relations entre les sexes» [3], «un concept qui permet de penser la différence sociale» [4] et les rapports de pouvoir entre hommes et femmes, ainsi que la hiérarchie entre les valeurs et les représentations qui leur sont associées (masculin et féminin) [5]. Les études de genre l’auraient certainement passionnée.

 

     Olivier Blanc. Que oui ! La question de la contingence du genre est un des aspects importants de son engagement. Qu'importe le sexe et le genre, pour elle, ce qui compte, ce sont les choix individuels, la capacité ou l'aptitude, tels qu'on pouvait se les représenter en son temps. Olympe de Gouges rappelle dans une brochure de 1789 intitulée Action héroïque d’une Française ou la France sauvée par les femmes, que, à l’exemple des Romaines, les femmes peuvent parfaitement remplir des rôles que l'on croyait réservés aux hommes. Elle montre que la Nature, si souvent invoquée par les forces de l’obscurantisme religieux ou d’un groupe d’intérêt économique, n’a aucune part aux préjugés qui infèrent l’infériorité d’une de son sexe ou de la couleur de sa peau, préjugés des plus communs à son époque [6]. L’histoire, qu’Olympe de Gouges invoque à l’appui de ses thèses sur le masculin et le féminin, recèle des milliers d’exemples de « femmes fortes », exemples souvent masqués par les usages nés d’une tradition religieuse où la femme est posée d’emblée, éduquée et formée comme inférieure et soumise à l’homme. Pour inviter ses concitoyenNes à s’interroger sur la relativité des rôles assignés aux genres masculin et féminin, elle montre l’exemple en s’engageant «dans la voie périlleuse où tant d’hommes ont trébuché», la politique, et, tant par foi que par défi, elle se propose tout à tour comme ambassadrice du gouvernement auprès du prince de Condé, en 1791, et comme avocate de Louis XVI l’année suivante. À cette époque, c’était courageux, car l’opinion publique n’était pas aussi éclairée qu’elle l’est aujourd’hui. Néanmoins, dans la noblesse, certaines femmes avaient officiellement exercé des fonctions de diplomates [7].

Qu'on laisse donc les hommes et les femmes libres de se réaliser dans ce vers quoi ils/elles inclinent, en fonction de leur capacité, de ce qu’ils/elles sont capables d’entreprendre, tel était l’avis d’Olympe de Gouges sur la question.

Or Anaxagoras (en fait Pierre-Gaspard) Chaumette, le démagogue de la Commune de Paris, partisan de la guillotine et de la Terreur, justifie  l’exécution d’Olympe de Gouges au motif qu’elle a oublié les « lois de la Nature ». En fait ce que les réactionnaires d’hier (faussement révolutionnaires) et d’aujourd’hui entendent par Nature, c’est une certaine tradition engluée dans le dogmatisme judéo-chrétien. Si on devait chaque fois s’en référer à la tradition, la société ne se réformerait jamais, perdrait sa capacité à s’adapter aux changements et s’épuiserait dans des archaïsmes mortifères. Au début de la Révolution française, le débat sur le divorce, qui était un enjeu de taille pour l’église catholique – elle voyait alors son pouvoir se réduire -, a été aussi violent que, par exemple, l’a été le débat contemporain sur le « mariage pour tous » [8]. On voit qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil et ce sont les Lumières qui chez nous semblent finalement triompher de l’obscurantisme : la majorité des FrançaisEs sont favorables à l’égalité des hommes et des femmes et à celle de tous les couples. Mais écoutons Olympe qui appelle à légiférer sur les sujets de société :

 

Quand après bien des siècles écoulés les mœurs d’une nation se trouvent absolument changées, il convient, il est même nécessaire de changer un ordre dont l’invariabilité n’a pour mesure que le bien qu’il produit. La sagesse de l’ancien législateur n’est point obscurcie par l’abnégation de ses lois ou par les correctifs qu’on y apporte, parce qu’il a travaillé pour son temps et que les successeurs à l’infini sont obligés de travailler pour le leur. Le passé peut servir d’exemple, mais il ne peut jamais servir de loi. [9]

 


 

Extrait d'un entretien sur Olympe de Gouges entre Graciela Barrault, responsable du Musée virtuel Olympe de Gouges 2.0, et Olivier Blanc.


    Sylvia Duverger. Vous rappelez dans Olympe de Gouges, des droits de la femme à la guillotine que Chaumette, auquel vous avez fait allusion précédemment, l’a dépeinte comme une « femme-homme », une « impudente ». Les féministes sont souvent considérées comme des viragos, pour cette seule et unique raison qu’elles exigent d’avoir les mêmes droits que les hommes, de bénéficier de la même amplitude de possibilités existentielles qu’eux. Si l’on prend cela en considération, le terme de « virago » n’est insultant que d’un point de vue antiféministe et à proportion de la valeur que l’on accorde à la féminité prescrite, celle de l’épouse douce et docile, notamment. Pour ma part, j’imagine assez bien Olympe de Gouges, qui n’était pas dénuée de l’art de la répartie ironique, pratiquer le retournement de l’insulte ou du stigmate (voir en annexe la réponse qu’aujourd’hui l’on pourrait faire à Chaumette). 

Elle n’hésitait d’ailleurs pas à déclarer qu’elle se faisait homme puisque les hommes disposaient de plus de droits - « Je crois qu’on nous a chargées de ce qu’il y avait de plus frivole et que les hommes se sont réservé le droit aux qualités essentielles. Dès ce moment je me fais homme ! ». Elle a dit aussi qu’elle était femme et homme [10].

L’emploi du terme « femme-homme » par Chaumette est tout particulièrement intéressant. La première occurrence répertoriée de l’adjectif « féministe » se trouve justement dans L’Homme-femme (1872)d’Alexandre Dumas-fils, connu, observe Geneviève Fraisse, « pour son attitude passionnelle à l’égard des revendications des femmes de son temps » [11]. Dans cette brochure, ce misogyne effréné dépeint comme dévirilisé un époux qu’il qualifie de « féministe » parce qu’il se refuse à révoquer sa femme adultère. L’ouvrage, qui plaide en faveur du divorce, s’achève par un appel au meurtre des femmes infidèles tant qu’il n’est pas possible de se séparer d’elles légalement (voir en annexe un extrait de L’homme-Femme). En l’occurrence, Alexandre Dumas n’est pas le premier à associer dévirilisation et féminisme. En 1871, le terme « féminisme » intitulait une thèse de médecine - Du féminisme et de l’infantilisme chez les tuberculeux – soutenue par Ferdinand-Valère Faneau de la Cour, « élève du professeur Jean Lorain, en fait le véritable auteur du mot nouveau », précise Geneviève Fraisse [12]. Le terme « féminisme », dans cette acception pathologisante – qui ne perdura que quelques décennies – désigne une apparence féminine, « un défaut de virilité chez des sujets masculins » [13].

Dans les vocabulaires médical et politique, le féminisme désigna donc d’abord une dévirilisation des hommes, considérée comme a-normale et soit comme pathologique, soit comme résultant de la domination « contre nature » d’une femme.  Le glissement des hommes féminisés aux femmes virilisées s’effectue d’autant plus aisément que la confusion des sexes, jugée anti-érotique, est cela même que déclare craindre le genre dominant dès que le genre dominé prend la parole dans l’espace public (voir en annexe, La peur de la confusion des sexes). L’on notera que ce glissement permet aussi de maintenir la domination en territoire viril, puisque les dominantes sont et ne peuvent être que des femmes virilisées.

En s’appropriant, en 1882, le terme « féministe », la suffragiste Hubertine Auclerc (1848-1914) [14] renverse le stigmate, qui vise à faire craindre aux femmes la perte de leur potentiel de séduction si elles se refusent à demeurer subalternes.

Bref, c’est un classique de l’antiféminisme que de caricaturer les féministes en viragos et en castratrices. Aujourd’hui, d’ailleurs, certaines détractrices du genre, telle Farida Belghoul, prêtent aux partisanEs des études de genre le projet de castrer les garçons [15]

  

    Olivier Blanc : Au lendemain de l’exécution d’Olympe de Gouges, Chaumette s’adresse aux républicaines par ces mots : 

 

Rappelez-vous cette virago, cette femme-homme, l’impudente Olympe de Gouges qui, la première, institua des sociétés de femmes, qui abandonna les soins de son ménage, voulut politiquer et commit des crimes ! (…) Tous ces êtres immoraux ont été anéantis sous le fer vengeur des lois ; et vous voudriez les imiter ? Non, vous sentirez que vous ne serez intéressantes et vraiment dignes d'estime que lorsque vous serez ce que la nature a voulu que vous fussiez. Nous voulons que les femmes soient respectées, c’est pourquoi nous les forcerons à se respecter elles-mêmes. »

 

Il faut s’entendre sur le sens de ce mot de « virago » et ne pas « jouer » avec les étymologies et la relativité spatio-temporelle des concepts, au risque d’anachronisme. Dans la bouche de Chaumette, à Paris en 1793, le mot est clairement destiné à nuire. Drôle de « virago » qui était  jolie : « Belle Marie-Olympe, écrivait le chevalier de Cubières dans un hommage qu’il lui rendit en 1792, comme ta voix jadis grondait les infidèles »[16]. En 1789, elle apparut à la cinquième place d’une brochure donnant la liste des plus jolies femmes de Paris avec Mmes Lavoisier (scientifique), Dufresnoy (écrivaine) et Vigée-Lebrun (portraitiste) : ce qui prouve assez, et contre le préjugé commun, que le charme d’une femme est compatible avec ses talents. Une « femme superbe, disent d’elle les Mémoires secrets  du 18 janvier 1786 de Moufle d’Angerville (elle a alors trente-sept ans), très vive, fougueuse, aujourd’hui sur le retour mais encore aimable et susceptible de faire de faire des passions ». Elle ne fut jamais une intrigante dans le sens que ce terme avait au 18e siècle, une femme qui agit par calcul et dont la probité peut poser question.  De ce point de vue elle est irréprochable, comme en témoignent les documents. Au contraire, elle se montre sévère pour celles qui, dit-elle malicieusement, pratiquent l’administration nocturne : « Les femmes, dit-elle encore, sont d’étranges animaux, elles n’ont d’autre consistance dans la société que l’art d’intriguer et de séduire les hommes : quels que soient leur supériorité, leur farouche caractère, ils sont toujours apprivoisés par ces animaux, nul ne peut échapper à leurs atteintes ; toutes, en général, possèdent l’art de séduire, et par une bizarrerie attachée aux faiblesses des hommes, les plus perfides sont les plus intéressantes à leurs yeux » [17] .

Toutefois, ses allusions charmantes à ses amours d’autrefois montrent assez que derrière la « féministe » (avant la lettre) qu’elle était se dissimulait toujours une séductrice au visage agréable, fort appréciée d’hommes comme Louis-Sébastien Mercier ou Michel de Cubières. L’un de ces hommes qui ne la connaissait pas encore et qui venait de lire une de ses pièces de théâtre, a écrit là-dessus un poème qui ne laisse aucune ambigüité sur le genre de femme qu’elle était. Olympe de Gouges se donnait une apparence bien féminine, éloignée des caricatures de féministes et des stéréotypes à la Daumier. Le baron Pierre de La Montagne, membre de l’académie littéraire de Bordeaux, écrivait ainsi :

À Madame de Gouges, après avoir lu une de ses comédies

J'ai lu votre heureux badinage, Où l'esprit joint à la raison, A pris de chaque personnage Et le caractère et le ton.

En admirant votre génie, J'ai cru, pardonnez mon erreur, Que d'être encor jeune et jolie Vous n'aviez pas du moins l'honneur.

J'ai cru voir un visage étique, Des traits par le temps sillonnés, Sur le front une coëffe[18] antique, Et les lunettes sur le nez.

A votre aspect, mon erreur cesse, Je vois sous un chapeau de fleurs La plus riante jeunesse Les appas les plus séducteurs

Dans des yeux où se peint votre âme, Plus brillans que ceux de Cypris, Je vois étinceler la flamme Qui nous brûle dans vos écrits.

Je vois la main d'une Bergère, Des doigts mignons faits pour cueillir La rose qui croît à Cythère Et pour caresser le plaisir.

Je dis alors dans mon ivresse Que si, comme il est très certain, Vos écrits méritent la presse, Vos traits sont dignes du burin [19].

  Lorsque la regrettée Giesela Thiele-Knobloch [20] parle de « gynandrie » au sujet d’Olympe, elle fait allusion à sa posture d’affrontement comme femme de lettres puis comme femme politique pendant la Révolution où, sortant du rôle traditionnel de la femme-domestique, elle s’expose et fait l’expérience du mépris et de la haine, aussi bien de la part d’hommes que de femmes. Pour Gisela Thiele, « la veuve Aubry se rendit compte qu’en tant que ‘femme et auteur’, elle aurait besoin d’une identité particulière. Ni son prénom féminin (et par là même presque « naturellement » discriminatoire, « Marie », ni le nom de son patronyme ‘Gouze’  ni le nom de son feu mari, ‘Aubry’ , n’auraient pu lui fournir cette identité. C’est donc d’abord pour souligner cette matrilinéarité perdue depuis l’âge de pierre qu’Olympe de Gouges s’appropria le second prénom de sa mère qu’elle chérissait, Olympe.Mais ce très beau et très rare prénom n’est pas uniquement un prénom féminin, il se réfère aussi au séjour des dieux grecs.Avant même de prendre la plume dans les années 1770-1775, Olympe de Gouges réclamait donc déjà une sorte de gynandrie mentale ; elle se destinait à être elle-même cet être ambigu « animal amphibie ni femme ni homme » prétendu auteur d’un pamphlet contre Robespierre [21]. Cependant le public masculin et féminin ne comprit ni ne toléra ses aspirations. Elle fut tout simplement traitée de virago. Au siècle suivant, une auteure devait prendre le pseudonyme masculin de George Sand. Plus tard encore Colette publia ses livres sous le nom de son père, nom qui était certes un prénom féminin mais pas celui de l’auteure. [22]»

 

   Sylvia Duverger. Il y a deux ou trois choses sur lesquelles j’aimerais que nous revenions. Il me semble qu’Olympe de Gouges n’accable les femmes que pour les exhorter à reprendre possession d’elles-mêmes, à devenir les sujets de leur destinée : « La contrainte et la dissimulation ont été leur partage », explique-t-elle dans le postambule de La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, parce que les hommes les ont privées de leurs droits : « Ce que la force leur avait ravi, la ruse leur a rendu ». Par ailleurs, il n’est pas impossible qu’elle ne subisse ici l’influence de Rousseau : ce couple de la séductrice corruptrice et de l’inconsistant pantin est à peu près celui que fustige Rousseau dans Les Lettres à d’Alembert. L’on sait la misogynie affolée de Rousseau, si bien déconstruite par Sarah Kofman dans Le Respect des femmes.

Mais contrairement à Rousseau, Olympe de Gouges n’exclut pas, loin s’en faut, les femmes de l’espace public et de l’arène politique. Leur conférant le pouvoir de dévoyer les hommes, auxquels implicitement elle prête toute la faiblesse de caractère ou toute l’aliénation nécessaire à leur servitude volontaire, elle ne prône pas pour autant l’assujettissement des femmes et leur renfermement au sein de la maison, ce que fait Rousseau. « Les femmes veulent être femmes et n’ont pas de plus grands ennemis qu’elles-mêmes » et il en sera ainsi, laisse-t-elle entendre, « tant qu’on ne fera rien pour élever l’âme des femmes » [23], tant qu’elles seront astreintes à l’ignorance et à l’impuissance, empêchées d’accéder au savoir et au pouvoir autrement que par exception et par effraction. Olympe de Gouges exige que les femmes se détournent des rôles prescrits de la féminité (séduction hétérosexuelle et ruse, frivolité et rivalité entre elles…) et qu’elles deviennent des hommes ; non pas, bien sûr, ces hommes-pantins que subjuguent aisément les intrigantes, mais, en somme, des êtres humains dotés de discernement et aspirant au bien (son testament politique laisse entendre que dans les faits peu d’hommes (masculins) remplissent ces critères, voir en annexe extrait du Testament politique). Il y a aussi ce passage de son Avis pressant à la Convention (1793) que vous citez également dans votre ouvrage, et qui signifie assez le mépris dans lequel elle tenait nombre d’hommes politiques : « Les prudes, c'est-à-dire les intrigantes à trente-six aventures, m'ont donné des amoureux dans l'Assemblée constituante, législative et jusqu'à la Convention. Certes, je peux avoir fait quelques conquêtes mais je déclare qu'aucun législateur n'a fait la mienne ; c'est sans me parer d'une fausse vertu que je crois pouvoir en convenir hautement, je ne vois pas qu'il y ait d'hommes dignes de moi... »

Autrement dit, elle estime que sa probité et son engagement font d’elle le meilleur des hommes, et elle voudrait que les  femmes deviennent des sujets dotés de droits auxquels des capacités de penser et de juger soient a priori attribuées – car, me semble-t-il, c’est cela que signifie le terme d’homme sous sa plume, c’est cela qu’elle veut dire lorsqu’elle se déclare homme. Elle entend participer au politique : elle doit donc affirmer qu’elle est un homme, puisque les hommes se sont réservés le champ politique. Elle doit, ainsi que le montre Joan Scott, "défi(er) les idées reçues sur les qualités proprement féminines et masculines" et dévoiler "la nature nécessairement contradictoire de l’association exclusive de 'l’Homme' au 'Citoyen' actif".

Le discrédit jeté sur les femmes – jamais assez désincarnées, toujours resexualisées – vise à légitimer l’accaparement du pouvoir par des hommes qui prétendent être porteurs du point de vue de l’universel au moment même où ils le sont le moins puisqu’ils n’attribuent à l’autre moitié de l’humanité que le droit de les servir et de leur donner une descendance !

Olympe de Gouges était bien trop transgressive pour ne pas faire l’objet de tentatives de remise à la place convenue des femmes (épouse et mère ou putain).

 

   Olivier Blanc. Olympe dit que veuve à seize ans elle fut « plus exposée qu’une autre ». Elle reconnaît avoir eu des aventures de cœur, mais passagères, ce qui est très banal à son âge et à son époque. Il n’y a en revanche,  aucune preuve, grande ni même petite, de sa vénalité, dans aucun document notarial ou autre, ni dans les recherches considérables d’Erica Benabou sur la prostitution au XVIIIe siècle [24]. Elle eut surtout une liaison stable de dix-sept ans avec Jacques Biétrix de Rozières, directeur d’une compagnie de charrois en contrat avec l’État, et attaché à l’administration de la Marine royale. Il voulait l’épouser, elle refusa. Il lui versa des rentes, mais rien n’indique que sa relation n’ait pas été un lien affectif, et par ailleurs, elle-même souligne la caractère durable de sa liaison ce que confirment les dizaines d’actes notariés qu’elle a régulièrement passés entre 1774 et 1793. Ces actes ne laissent pas l’ombre d’un doute : Olympe de Gouges ne fut jamais vénale. Elle fut d’une probité exemplaire et c’est d’ailleurs sur ce thème qu’elle affronte ses ennemis politiques en 1792 et 1793. Elle a publié son Compte moral qu’elle adressa à la Convention en demandant que tous les députés fassent comme elle [25]. La transparence financière a été un de ses chevaux de bataille,efficace face à des adversaires corrompus, les Montagnards, qu’elle accusa, non sans raison, de s’être enrichis sous la Terreur [26]. La mauvaise foi insigne de certains contemporains qu’elle dérangeait sur le plan politique – aussi leur misogynie – les a entraînés à la mettre en cause sur le plan de ses mœurs. Ce qui est incompréhensible, ce sont nos contemporains qui, sans  rien connaître à l’histoire politique et sociale de la révolution, sans avoir lu les écrits d’Olympe de Gouges ou les documents d’archives la concernant, reprennent ces allégations qui ne sont que des ragots.

Non, contrairement à ce qu’un article de Thierry Schaffauser laisse entendre, Olympe de Gouges n’a pas été « travailleuse du sexe ». Cet article se fonde sur une interprétation erronée du romancier Henri Pigaillem qui lui-même s’appuie sur une petite phrase décontextualisée du baron Grimm en ignorant qu’une femme peut avoir une liaison sans se faire payer. Le baron de Grimm avait fait en 1793 une insinuation malveillante et infondée,  au sujet d’Olympe de Gouges, dans la recension qu’il avait donnée de l'une de ses pièces : « Née avec une jolie figure, son unique patrimoine, elle n'était depuis longtemps connue à Paris que par les faveurs dont elle comblait ses concitoyens... »

 

Sylvia Duverger. Il ne s’agit ici que de discréditer une femme de lettres ; en la réduisant à son apparence, à sa figure, l’on escamote le contenu de sa tête. Puisqu’elle est belle, elle ne peut que s’offrir au premier venu, et tirer avantage de ses charmes. Mais dire que sa figure est son unique patrimoine, c’est convenir sans s’en aviser qu’elle n’en a guère tiré parti…

 

Olivier Blanc. Restif de la Bretonne et à sa suite deux de ses biographes, dont l’érudit montalbanais Edouard Forestié en 1900, un auteur que l’on devine d’un puritanisme compulsif, ont prétendu qu’elle était une courtisane [27]. Rien ne justifie cette assertion. Reste que cette allégation a été reprise par une chroniqueuse de l’émission de Stéphanie Duncan sur France Inter (« Les femmes toute une histoire », émission du 21 février 2014, consacrée pour une part à Olympe de Gouges). Qu’un défenseur des droits des prostituées veuille annexer une figure héroïque à sa cause, cela peut se comprendre. Mais, à tout prendre, il eût mieux valu qu’il respecte les faits, et évoque Théroigne de Méricourt, qui fut en effet une courtisane avant la Révolution, étant entendu qu’il ne se s’agirait pas par là de réduire la valeur de son engagement politique.

Reste, par ailleurs, que nulLE ne peut nier que c’est là aussi un classique de l’antiféminisme que d’affirmer que les fortes têtes sont des « putes ». Il me semble donc préférable de ne pas abonder dans le sens de cette stratégie disqualifiante, et il est impératif de ne pas travestir les faits : en un temps où les femmes n’avaient guère de possibilités de gagner leur vie, Olympe de Gouges fut, comme la plupart des femmes de son époque, entretenue par l’homme qui l’aimait et que, apparemment, elle aimait aussi, ni plus ni moins que si elle l’avait épousée [28].

Écoutons Olympe de Gouges parlant elle-même de sa liaison avec Biétrix : « Cet homme (…) avait quarante ans quand il fit la connaissance d’une jeune veuve âgée de dix-huit ans. Elle avait été sacrifiée à un homme qu’elle abhorrait. Ce mariage ne fut point heureux et la veuve fut bientôt consolée de son mari. La nature l’avait douée de beaucoup d’avantages, mais elle l’avait privée de la fortune. Quels que fussent les trésors qui lui étaient offerts, rien ne pouvait séduire son cœur qu’un sentiment tendre; elle en conçut un violent pour l’homme que je cite. Elle le valait à tous égards pour la naissance si une famille respectable pouvait compter pour quelque chose alors. Mais elle fuyait l’hymen et tout ce qui porte le caractère du lien conjugal. Elle vécut donc sans éclat et avec beaucoup de réserve et de décence avec cet homme, comme avec son mari dans le particulier, et en public, comme avec un homme de la société. Elle devint mère. Cet homme était riche, il se crut autorisé d’assurer à son enfant une rente réversible sur la mère. Cette liaison se rompit et se renoua plusieurs fois. Elle a duré à peu près dix-sept ans. Un second enfant lui fit prendre de nouvelles mesures pour assurer à la mère et à l’enfant une existence durable. [29] »

 

Pourquoi ne l’a-t-elle pas épousé ? Á son époque les liens du mariage étaient inaliénables. Olympe de Gouges dit avoir eu une mauvaise expérience du mariage avec Louis-Yves Aubry  - dont en effet elle refusa absolument de porter le nom tant il lui rappelait de mauvais souvenirs. Ce qui lui faisait dire que, dans certains cas, le mariage peut être le tombeau de la confiance et de l’amour [30]. À une époque où le divorce n’existait pas encore, les femmes battues ne pouvaient pas échapper à ce qui était, il faut bien le dire, un long et douloureux martyr, qui se terminait souvent mal pour l’épouse, dans le silence et l’hypocrisie sociale. En outre, en n’épousant pas Jacques Biétrix,  Olympe de Gouges préservait sa liberté d’écrire et de publier à son gré – ou de faire graver son portrait - sans besoin de demander la permission à son mari, comme l’usage et la loi d’ancien régime le prévoyaient.

 

 

Les révolutionnaires contre les femmes qui oublient « les vertus de leur sexe »

On se servit de l’exécution de Mme de Gouges peu après Marie- Antoinette le 16 octobre, suivie de celle Mme Roland le 8 novembre, pour inviter les Françaises à se détourner des affaires publiques : « Olympe de Gouges, lisait-on dans la Feuille du Salut public du 17 novembre, née avec une imagination exaltée, prit son délire pour une inspiration de la nature. Elle commença par déraisonner et finit par adopter le projet des perfides qui voulaient diviser la France : elle voulut être homme d'État et il semble que la loi ait puni cette conspiratrice d'avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe [31].»

Les mêmes jours, le procureur de la Commune, Pierre-Gaspard Chaumette, invitait les membres du club des Jacobins à méditer sur cette exécution qui avait valeur d'exemple : « Rappelez-vous cette virago, cette femme-homme, l'impudente Olympe de Gouges qui, la première, institua des sociétés de femmes, qui abandonna les soins de son ménage, voulut politiquer et commit des crimes ! » Et il poursuivait en s'adressant plus particulièrement aux femmes des Jacobins : « Tous ces êtres immoraux ont été́ anéantis sous le fer vengeur des lois ; et vous voudriez les imiter ? Non, vous sentirez que vous ne serez intéressantes et vraiment dignes d'estime que lorsque vous serez ce que la nature a voulu que vous fussiez. Nous voulons que les femmes soient respectées, c'est pourquoi nous les forcerons à se respecter elles-mêmes. » Le ton était donné, et ce discours de Chaumette, morceau d'anthologie de l'histoire des femmes en France, marque l'ouverture de la période de recul et d'effacement des Françaises dans la société civile et politique pendant plus d'un siècle et demi.

Olivier Blanc

Extrait du chapitre X d'Olympe de Gouges, Des droits de la femme à la guillotine, p. 227.

 

 

Le retournement du stigmate

 

Certaines féministes (dont moi-même) répondraient à Chaumette : « Oui elle fut une virago, puisque c’est ainsi que vous qualifiez les femmes dotées d’un caractère suffisant pour avoir résisté à vos abêtissantes prescriptions. Vous croyez persuader de ne pas suivre son exemple en arguant qu’elle avait perdu la tête avant que vous et votre engeance ne l’ayez tranchée ? Voyez comme vous déraisonnez : si elle l’avait perdue, la tête, vous ne la lui eussiez pas ôtée, et c’est plutôt parce qu’elle l’avait sur les épaules, parce qu’elle vous tenait tête et vous faisait l’affront de vous contredire en raisonnant avec justesse tandis que vous prétendiez que la nature de toute éternité la voue à la faiblesse d’esprit, que vous la lui avez coupée. Point n’est nécessaire d’enjoindre les femmes de se taire : soit vous êtes parvenus dans l’enfance et l’adolescence à les maintenir dans l’ignorance de ce qu’elles ont une voix, et jamais vous ne les entendrez l’élever contre les privilèges que vous vous accordez indûment, soit elles sont parvenues à développer leur faculté de juger envers et contre votre éducation débilitante, et elles ne méconnaîtront pas que vos conseils sont des menaces qui visent à les maintenir sous un joug qu’elles soulèveront dès qu’elles le pourront. » [32]

Sylvia Duverger 

 

La peur de la confusion des sexes

 

Lorsque la peur habite le démocrate, il faut le rassurer. Le démocrate a peur, dès la Révolution française, lorsqu’il imagine que l’identité́ des hommes, leur similitude, ne peut, sans dommages, s’appliquer aux femmes. Et si l’égalité́ politique détruisait l’amour ? Et si la confusion s’introduisait dans la différence et le partage des sexes ? Abolir la dualité́ des sexes est une crainte de l’imaginaire démocratique, hier avec la citoyenneté́ des femmes, aujourd’hui avec le Pacte de solidarité́. La similitude, fondement de l’égalité́ possible, serait la porte ouverte à l’indétermination, par essence dangereuse, mortifère. À deux siècles de distance, la peur de la confusion est la même. [33] 

Geneviève Fraisse

Extrait de « La peur des démocrates » in A côté du genre 

 


Extrait d’une conférence prononcée par Geneviève Fraisse au cours de la session 2012 des Semaines sociales de France, « Hommes et femmes, la nouvelle donne »

 

On imagine volontiers que la peur de la confusion des sexes vient de la modernité sexuelle et de l’émancipation des femmes contemporaines. En réalité, cette question se pose depuis deux siècles [34]. Le néologisme "féminisme" est né en France à la fin du Second empire, dans les années 1860-70, dans le vocabulaire médical. Il désigne le jeune garçon qui, pour cause d’arrêt de son développement, reste "féminin". Ce terme va vite passer dans le langage politique, avec Alexandre Dumas fils, qui dit, à propos du divorce, en 1872 : "Les féministes... passez-moi ce néologisme." Le mot féminisme bascule alors dans le politique et désigne des femmes qui ressemblent à des hommes, telle la virago. La représentation de l’émancipation se fait à travers l’idée que les femmes veulent se transformer en hommes.En conséquence, le  féminisme, que ce soit dans le langage médical ou politique, c’est l’autre sexe présent dans un sexe, comme s’il pouvait y avoir une inversion possible.

 

En fait, la peur de la confusion des sexes apparaît au moment où l’on commence à raisonner en termes de démocratie et non plus de monarchie. Dans une monarchie, vous pouvez tolérer les exceptions, une exception ne confirme pas la règle. Une femme de lettres comme Madame de Staël peut assumer son unicité. Mais dès lors que l’on passe dans un système du "pour tous", ce qui fait exception peut faire règle. Que fait-on alors de la différence des sexes ? Les révolutionnaires vont rencontrer cette question de façon à la fois philosophique et existentielle. Dès le lendemain de la Révolution, elle se pose chez les écrivains, notamment chez Senancour : mais alors, vous allez remplacer l’amour par l’amitié ! Il nous faut garder la différence des sexes pour l’amour, et surtout l’altérité, sans quoi il n’y aura plus que de l’amitié entre les hommes et les femmes. Évidemment, le maintien de la hiérarchie des sexes est à l’horizon ! À l’inverse, quelques années plus tard, Stendhal, dans son essai De l’amour soutient que rien n’empêchera un rossignol de chanter au printemps. Cette différence n’est donc pas si malmenée par la similitude hommes/femmes, similitude supposée par la représentation de la démocratie. La peur de la confusion, la question de l’amour comme étant la référence de l’altérité des sexes sont donc posées au point de départ de notre histoire démocratique.Dans les débats que nous avons aujourd’hui, il nous faut donc reprendre la question du fondement, y compris sexuel, au regard d’un régime politique. 

Geneviève Fraisse

 


Extrait d'un entretien sur Olympe de Gouges entre Graciela Barrault, responsable du Musée virtuel Olympe de Gouges 2.0, et Geneviève Fraisse.

 

Un extrait de L’Homme-Femme d’Alexandre Dumas fils

 

Si tu as associé ta vie à une créature indigne de toi ; si, après avoir vainement essayé d’en faire l’épouse qu’elle doit être, tu n’as pu la sauver par la maternité, cette rédemption terrestre de son sexe ; si, ne voulant plus t’écouter ni comme époux, ni comme père, ni comme ami, ni comme maître, non seulement elle abandonne ses enfants, mais va avec le premier venu en appeler d’autres à la vie, lesquels continueront sa race maudite en ce monde : si rien ne peut l’empêcher de prostituer ton nom avec son corps ; si elle te limite dans ton mouvement humain, si elle t’arrête dans ton action divine ; si la loi qui s’est donné le droit de lier s’est interdit celui de délier et se déclare impuissante, déclare-toi personnellement, au nom de ton maître, le juge et l’exécuteur de cette créature. Ce n’est pas ta femme, ce n’est pas une femme ! elle n’est pas dans la conception divine, elle est purement animale, c’est la guenon du pays de Nod, c’est la femelle de Caïn : tue-la. »

Alexandre Dumas fils, L’Homme-Femme, Paris, Michel Lévy, 1873, p. 175-176 [35].

 

Un extrait du Testament politique d’Olympe de Gouges

 

« Je lègue mon cœur à la Patrie, ma probité aux hommes (ils en ont besoin) ; mon âme aux femmes, je ne leur fais pas un don indifférent ; mon génie créateur aux auteurs dramatiques, il ne leur sera pas inutile, surtout ma logique théâtrale au fameux Chénier ; mon désintéressement aux ambitieux ; ma philosophie aux persécutés ; mon esprit aux fanatiques ; ma religion aux athées ; ma gaîté́ franche aux femmes sur le retour et tous les pauvres débris qui me restent d'une fortune honnête à mon héritier naturel, à mon fils s'il me survit. »

 

A lire en plus, Christine Bard, « les usages politiques de l’histoire des femmes », Archives du féminisme, université d’Angers et Institut universitaire de France 

Christine Bard, « La peur rancie de l’indifférenciation sexuelle », Le Monde, 7 février 2014


Sur Olympe de Gouges

entretiens avec Olivier Blanc :

Olympe de Gouges, une résistante à la Terreur ; compléments (extraits de l'ouvrage d'Olivier Blanc) ; Olympe de gouges était-elle royaliste ? 

Articles d'Olivier Blanc

Olympe de Gouges, une femme persécutée qui n'avait que de l'humanité à opposer au cynisme

Olympe de Gouges, une féministe, une humaniste, une femme politique

Article de Geneviève Fraisse : Olympe de Gouges et la subversion dans l'histoire

Entretien de Graciela Barrault avec Geneviève Fraisse : Olympe de Gouges, auteure autodidacte ; La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne commentée par Geneviève Fraisse

Entretien de Sylvia Duverger avec Geneviève Fraisse : Olympe de Gouges et la symbolique féministe

Article de Sylvia Duverger : "J'ai tout prévu, je sais que ma mort est inévitable"

Sur la question de la panthéonisation, Mona Ozouf, Rousseau, Olympe de Gouges et trois résistantes, par S. Duverger et O. Blanc

Catherine Marand-Fouquet, Des femmes au Panthéon : Mona Ozouf a encore frappé


Sur le Musée virtuel Olympe de Gouges 2.0, entretien avec Graciela Barrault (1) et (2)


Pièces de théâtre sur Olympe de Gouges

Sur Terreur Olympe de Gouges d'Elsa Solal, mise en scène par Sylvie Pascaud 

Olympe de Gouges porteuse d'espoir, d'Annie Vergne et de Clarissa Palmer

 

 



[1] Joan Scott, « Olympe de Gouges et la Révolution française » in La citoyenne paradoxale, Albin Michel, 1998, p. 40.

[2] Cf. l’article crucial de l’historienne américaine Joan Scott, « Le genre comme catégorie utile d’analyse historique », publié en français dans Les Cahiers du Grif, 1988, numéro 37-38, intégralement consacré à la question du genre en histoire : « Le genre de l’histoire », et accessible sur le site de Persée.

[4] Collectif de chercheuses de la Fédération de recherches sur le genre RING,  « Le genre, un outil pour l’égalité », Mediapart, 6 février 2014.

[5] Voir Laure Bereni, Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunait et Anne Révillard,  Introduction aux études sur le genre, deuxième édition, De Boeck, 2012

[6] O. de Gouges, Remarques sur les hommes nègres, Paris, 1788.

[7] Olivier Blanc, Olympe de Gouges,Des droits de la femme à la guillotine, Paris, 2013, p. 148 : « Sous Louis XIV, en 1645, la maréchale de Guébriant avait été nommée ambassadrice de France pour conduire à Varsovie la princesse de Gonzague mariée au roi de Pologne. La comtesse de Flesselles de Brégi, qui remplaça son mari en Pologne et en suède dans ses fonctions d’ambassadeur, correspondit en cette qualité avec louis XIV et avec toute l’Europe. La duchesse de Chevreuse fut chargée des négociations de la Fronde à Bruxelles et la duchesse d’Orléans négocia comme plénipotentiaire le traité qui devait détacher l’Angleterre de la hollande. Marguerite d’Autriche conclut et signa la paix de Cambrai au nom de Charles-Quint son frère, et c’est Louise de Savoie (mère de François 1er) qui signa la paix des dames avec une fille de Charles-Quint. On peut encore citer le cas de lady Wortley Montagu qui fut ambassadrice d’Angleterre à la Porte Ottomane. »

[8] (Note de S. Duverger.) Aujourd’hui comme hier, l’Église catholique mène la danse de la réaction, elle est aux avant-postes de la résistance aux progrès de l’égalité des droits entre femmes et hommes, hétérosexuelLEs et non-hétéréosexuelLes ; voir sur ce blog, S. Duverger, « Ce que débattre veut dire pour les opposantEs  à l’égalité des droits » (note qui comporte un certain nombre de références à des articles qui, parus dans la presse en 2013, analysent le rôle joué par l’Église catholique dans l’opposition à la loi ouvrant le mariage à tous les couples); Qui a peur des héritières de Simone de Beauvoir ? ; et le blog d’Anthony Favier, Penser le genre catholique.

[9] Olympe de Gouges, La nécessité du divorce, in Théâtre politique publié par Gisela Thiele-Knobloch, II, 1993, p. 153.

[10] Dans Pronostic sur Maximilien Robespierre, par un animal amphibie, « Polyme » (anagramme d'Olympe) se décrit comme « un animal sans pareil » : « Je ne suis ni homme ni femme. J'ai tout le courage de l'un et quelquefois les faiblesses de l'autre. (…)  Dans mes discours, on trouve toutes les vertus de l'égalité́, dans ma physionomie les traits de la liberté́ et dans mon nom quelque chose de céleste. » Et lorsqu’elle s’adresse  à Hérault de Séchelles, elle précise qu’elle ne parle pas en tant que femme, sujet et objet de désir : « Toi qui me plairais si j’étais femme » (AN, W293 dossier 210, lettre d'Olympe de Gouges à Hérault de Séchelles). (Toutes ces citations proviennent de l’ouvrage d’Olivier Blanc).

[11] Geneviève Fraisse, « Féminisme, appellation d’origine », Vacarme, n°4/5, 1997, extrait de Muse de la raison, de Geneviève Fraisse.

[12] Geneviève Fraisse, « Féminisme, appellation d’origine », art. cit.

[13] Geneviève Fraisse, « Les femmes et le féminisme », Encyclopédie Universalis, 1984 et 1989, repris dans A côté du genre, Au Bord de l’eau, Lormont, 2010, p. 281.

[14] Brigitte Studer, Introduction au Siècle des féminismes, Les éditions de l’Atelier, 2004, p. 23. Sur l’histoire du terme féminisme, voir aussi Karen Offen, « Sur l’origine des mots ‘féminisme’ et ‘féministe’ », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 34(3), 1987, p. 492-496 ; Laurence Klejman et Florence Rochefort, L’égalité en marche. Le féminisme sous la Troisième République, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques/éditions Des femmes, 1989, p. 22-23 ; Christine Bard, Les Filles de Marianne. Histoire des féminismes 1914-1940, Paris, Fayard, 1995, p. 21-22.

[15] Voir l’article d’Anne-Charlotte Husson, « Stop à la rumeur : parlons de genre », que nous republions sur Féministes en tous genres.

[16]Epître à Marie-Olympe de Gouges, suivi de Les abeilles ou l’Heureux gouvernement, Paris, 1793.

[17] Olympe de Gouges, L’esprit français, Paris, 1792, p. 67.

[18] Orthographe ancienne de coiffe.

[19] Pierre de La Montagne, Œuvres, Paris, 1789.

[20] Gisela Thiele-Knobloch, si brillante et sympathique, a publié de remarquables articles sur Olympe de Gouges qu’elle avait si bien comprise, principalement référencés dans l’édition du Théâtre politique qu’elle a édité avec préface et bibliographie aux Editions Côté-femmes.

[21] Passage cité dans la note 10 ci-dessus.

[22] Gisela Thiele-Knobloch, Théâtre politique d’Olympe de Gouges, Edition Côté-Femmes, Paris, II, 1993. p. 8.

[23] Olympe de Gouges, Mirabeau aux Champs Élysées, pièce en trois actes, Paris, 1791 (voir l’introduction).

[24] Erica Marie Benabou, La prostitution et la police des mœurs au dix-huitième siècle, présenté par Pierre Goubert, Perrin 1987. Voir aussi Olivier Blanc, Les libertines, Plaisir et liberté au temps des Lumières, Perrin, 1987 (nombreux documents d’archives et dossiers inédits sur les mœurs parisiennes à la veille et pendant la Révolution).

[25] Olympe de Gouges, Correspondance de la cour. Compte moral rendu (…) à la Convention in Ecrits politiques, Côté-femmes, 1993, II, 174-187.

[26] Olivier Blanc, L’argent de la Terreur, colloque Robespierre organisé par l’association des amis de Henri Guillemin à l’Institut catholique de Paris le 28 octobre 2013 (actes à paraître en juin 2014).

[27] Olivier Blanc, Olympe de Gouges, Des droits de la femme à la guillotine, Paris, Tallandier, 2014, p. 44-47.

[28] Sur le sujet, voir Olivier Blanc, L’amour à Paris au temps de Louis XVI, Paris, Perrin, 2003 (nombreuses références d’archives à des dossiers liés à l’amour et au sexe dans leur rapport à l’opinion et à la loi).

[29]Olympe de Gouges, Sera-t-il roi ne le sera-t-il pas ? in Ecrits politiques , préface d’Olivier Blanc, Côté-femmes, 1993, I, p. 193-194.

[30]Olympe de Gouges, Les droits de la femme et de la citoyenne (1791), Ecrits politiques, Côté-femmes, 1993, I, p. 211.

[31]La Feuille du Salut public du 17 brumaire an II.

[32] Sur le retournement de l’insulte politique, voir, par exemple, Judith Butler, Le pouvoir des mots, politique du performatif, éditions Amsterdam, Paris, 2004 ; Thomas Bouchet, Noms d’oiseaux. L’insulte en politique de la restauration à nos jours, Stock, 2010 ; Dominique Lagorgette, « La ou les pétroleuses, du politique au sexuel, aller et retour » in Natacha Chetcuti et Luca Greco, La face cachée du genre, Presses Sorbonne nouvelle, 2012, p. 33-54 (remarquable article, qui plus est d’une grande drôlerie).

[33] G. Fraisse, A côté du genre, op. cit., p. 122.

[34] Voir Muse de la raison, démocratie et exclusion des femmes, première édition 1989, Folio-Gallimard, 1995.

[35] L’on peut lire à ce sujet l’article de Marie-Catherine Huet-Brichard, qui s’ouvre, sur cette magnifique déclaration de haine à l’égard des insoumises et observe, en passant que le XIXe siècle est obsédé par un féminin mortifère, « Les arguties d’un moraliste : La Femme de Claude d’Alexandre Dumas fils », 30 octobre 2010, accessible en ligne sur le site fabula.org.  Dumas avait déjà défendu le droit du mari cocufié à tuer sa femme dans son roman L’Affaire Clémenceau, Mémoire de l’accusé (1866). Voir aussi la brève analyse qu’en donne en 1882 Jules Claretie, un critique contemporain de Dumas.

De Gouges, Robespierre et la Terreur 220 ans plus tard par Olivier Blanc

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Marie-Olympe de Gouges par Kucharski, collection privée, droits réservés

 

 

Ce texte, dont nous publierons les parties suivantes dans les jours à venir, est la version rédigée de la conférence que l'historien Olivier Blanc a prononcée le 6 mars 2014 dans l’ancienne salle du Tribunal révolutionnaire de Paris [1]. Spécialiste d'Olympe de Gouges - son ouvrage, plusieurs fois réédité, est la source à laquelle s'abreuvent tous les écrits qui lui sont consacrés - et historien de la Révolution, il fournit ici de nombreux renseignements inédits sur l’entourage de Robespierre et de Marat. Ces précisions visent à nous permettre de bien comprendre le sens des attaques – vives, et non outrées comme on l’a dit – qu’Olympe de Gouges lança en octobre et novembre 1792 contre ces deux chefs montagnards.  


27 juillet 1794-27 juillet 2014 : 220 ans après la chute de Robespierre et la fin de la Terreur…

par Olivier Blanc

En guise d’introduction, voici  le discours que j’avais projeté au cas où Olympe de Gouges aurait été retenue cette année par la présidence de la République pour entrer au Panthéon des Grands Hommes et des Grandes Femmes, ce qui ne tardera plus guère désormais, j’en suis convaincu. Il résume le regard que je pose sans a priori idéologique depuis une trentaine d’années sur cette femme, à la fois comme historien de la Révolution et aussi comme citoyen, après de nombreuses recherches menées dans les archives et des années de réflexions sur cet itinéraire exemplaire et son contexte. 


Une femme politique

« Olympe de Gouges, condamnée à mort le 2 novembre 1793 et exécutée le lendemain, est un personnage emblématique de l’humanisme d’hier et d’aujourd’hui, qui touche le cœur de nombreuses Françaises et Français, mais aussi intéresse à l’étranger, où son œuvre littéraire et politique est désormais étudiée par de nouvelles générations de chercheuses et chercheurs [2]. Une fois resitué dans un contexte historique complexe et dégagé du poids exorbitant de l’historiographie pro-robespierriste si défavorable à ces grands Républicains qu’on appelait « Girondins [3] », et donc à Olympe de Gouges, son itinéraire politique permet de mieux mesurer la qualité de ses engagements, la noblesse de ses intentions et sa sincérité de citoyenne éprise de liberté, d’égalité et de fraternité, des mots qui, pour elle, n’étaient pas vides de sens. Elle fut à son époque une des rares femmes à militer en son nom propre, pendant cinq longues années, en faveur des idéaux de justice et de liberté. Elle rompit en cela avec la tradition millénaire des femmes d’influence pour revendiquer et faire valoir en son nom, dans la transparence, de nobles principes – ceux qui fondent le pacte républicain –, et son combat violemment interrompu, conservé intact dans l’édition de son œuvre littéraire et politique, aurait justifié à lui seul son entrée au Panthéon [4]. Ses positions sur  l’État  de droit, et la liberté d’expression en particulier, sont très claires [5] ; et elle prétendait étendre l’exercice du droit de vote à tous les citoyens quels que soit leur sexe, la couleur de leur peau ou leur statut social, une revendication alors partagée, simultanément, par Charles de Villette, Nicolas de Condorcet, Pierre-Marc Guyomar, Jean-Denis Lanjuinais, Claude Fauchet, d’autres encore, tous députés Girondins à la Convention.

 

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Charles de Villette,

député à la Convention et promoteur des droits de la femme.

Plâtre d’atelier par Deseine (vers 1792). Coll. particulière ;

droits réservés.



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Condorcet, député à La Convention, membre actif du club des Amis des Noirs. Buste par Houdon.

 



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 Le chevalier de Saint-Georges à la croix de Malte,

portrait par Mather Brown,

huile sur toile vers 1789.

Coll. particulière, droits réservés


 

  

 


Antisexisme et antiracisme

Olympe de Gouges est surtout connue pour sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791), texte capital de la grande histoire des idées où, la première, elle pose en principe et de façon quasi officielle qu’une constitution est imparfaite dès lors qu’elle ignore que les femmes naissent libres et égales en droits aux hommes.Elle étend ce droit aux gens de couleur pour lesquels elle consacrera toute son attention et son énergie, notamment au Club des Amis des Noirs [6] où Jacques-Pierre Brissot, Jérôme Pétion et d’autres futurs Girondins l’accueillirent dès 1789. Dans le salon de Mme de Montesson où elle rencontre le chevalier de Saint-Georges, dans ses Remarques sur les Hommes Noirs, dans les préfaces à ses pièces imprimées, dans des articles de journaux, elle dénonce tout autant les préjugés racistes que le terrifiant Code noir édicté par Louis XIV,  participant pleinement, ainsi qu’en a témoigné l’abbé Grégoire, au grand débat sur l’abolition de la traite et la reconnaissance des droits des gens de couleur[7].

 

 

Mme de Montesson

Mme de Montesson

mécène et protectrice d’Olympe de Gouges,

huile sur toile par Guillaume Voiriot. 

 

 

Une réformiste

Sur le plan social, elle ne cessa jamais, depuis sa  pièce d’inspiration maçonnique [8]L’homme généreux (1785), de préconiser les réformes sociales destinées à améliorer tant le sort des plus démunis, des travailleurs, que celui des enfants et des « vieillards sans toit » ou encore des parturientes, en leur réservant des maisons « dont la propreté serait le seul luxe ». Ainsi dans sa  Lettre au Peuple (1788),  où elle suggère le principe d’un impôt volontaire payé par tous les ordres de la nation, et dans ses Remarques patriotiques, texte revendicatif paru la même année, où elle développe un certain nombre de réformes sociales, judiciaires (égalité devant la justice par la création d’un jury populaire) ou fiscales ; plusieurs d’entre elles ne verront le jour qu’au XIXe siècle.

 

 

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Robespierre


Dénonciation de la Terreur

 Pendant la Révolution, et surtout en 1793, elle affronte courageusement ceux qui pour qui la Terreur est l’un instrument d’une ambition – selon ses termes– et sapent l’État de droit ; Robespierre, en particulier, qui, estime-t-elle, est poussé à la dictature par une coterie qui le finance. Dès lors, Olympe de Gouges ne cesse plus de combattre ceux qui opposent Paris, qu’ils contrôlent par la force armée – celle de la garde nationale puis, en 1793, d’une « armée révolutionnaire » –, aux départements, dont 150 représentants ont été arrêtés (juin-octobre 1793) ; elle met enfin en cause  ceux  qui  « voilèrent les Droits de l’homme » au prétexte de la guerre [9] et pour le plus grand profit des « hommes de proie » [10] et autres pêcheurs en eaux troubles pour qui la Révolution n’a jamais été autre chose qu’un objet de spéculation. En retour, elle sera dénoncée à l’opinion, dans les clubs ultra-jacobins, pour avoir voulu donner une visibilité à la femme qu’elle était, engagée en politique. C’est bien, à mon avis, son combat contre les assassins des députés girondins et les partisans de la Terreur, et non son féminisme avant la lettre, qui indisposa le plus ses bourreaux et qui lui valut d’être exécutée à son tour.

Les commentateurs du XIXe et du XXe siècle seront souvent injustes à son égard, et inexacts, reprenant les arguments fallacieux de ses juges du Tribunal révolutionnaire qui – elle ne s’y était pas trompée –, avaient écrit son procès d’avance [11]. Pour la condamner encore plus sûrement aux yeux d’une opinion publique passionnée et malléable, ils lui reprochèrent, par la voix de Chaumette, principal représentant de la Commune de Paris après son maire, d’avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe et d’avoir bafoué les lois de la nature selon lesquelles les femmes, en fait de création et d'expression, doivent s’en tenir à la maternité et à la famille. Son procès, qui s’est tenu en 1793, s’est donc prolongé quasiment jusqu’à la deuxième moitié du XXe siècle, époque à partir de laquelle, portée par le grand courant féministe international, commence enfin sa reconnaissance publique en France mais aussi aux États-Unis, au Japon en Allemagne et dans de nombreux pays démocratiques.


Lire « Olympe de Gouges était-elle un homme ? »

entretien de Sylvia Duverger avec Olivier Blanc

 

Olympe de Gouges n’a jamais cessé de se battre en humaniste pour la défense exigeante des droits des femmes, combat qui a trouvé sa traduction dans un mot « le féminisme », au XIXe siècle, puis dans la première formulation de la loi donnant le droit de vote aux femmes, à Alger, le 24 mars 1944, il y a exactement soixante-dix ans. La forme inédite d’engagement politique au féminin qu’Olympe de Gouges a initié par l’exemple dès 1788, sa dignité et sa probité, sa lutte de citoyenne éprise de paix en faveur de la réconciliation nationale [12] , son respect scrupuleux des lois et de la Constitution de 1791 – en dépit de son imperfection –, et sa croisade permanente en faveur d’un État de droit peuvent assez naturellement conduire les hommes et les femmes d’aujourd’hui à méditer sur l’exemplarité démocratique.

 

En attendant la suite de l'article d'Olivier Blanc sur Olympe de Gouges et Robespierre, vous pouvez lire, sur Féministes en tous genres un ensemble d'articles et d'entretiens sur l'autrice de la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne :


- entretiens avec Olivier Blanc :

Olympe de Gouges, une résistante à la Terreur ; compléments 

(extraits de l'ouvrage d'Olivier Blanc) ; 


Olympe de gouges était-elle royaliste ? 


- Articles d'Olivier Blanc

Olympe de Gouges, une femme persécutée qui n'avait que de l'humanité à opposer au cynisme

Olympe de Gouges, une féministe, une humaniste, une femme politique


Article de Geneviève Fraisse : Olympe de Gouges et la subversion dans l'histoire


Entretien de Graciela Barrault avec Geneviève Fraisse (vidéos)

Olympe de Gouges, auteure autodidacte ; 

La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne commentée par Geneviève Fraisse


Entretien de Sylvia Duverger avec Geneviève Fraisse : Olympe de Gouges et la symbolique féministe


Article de Sylvia Duverger : "J'ai tout prévu, je sais que ma mort est inévitable"


Sur la question de la panthéonisation 

Mona Ozouf, Rousseau, Olympe de Gouges et trois résistantes, par S. Duverger et O. Blanc


Catherine Marand-Fouquet, Des femmes au Panthéon : Mona Ozouf a encore frappé


Sur le Musée virtuel Olympe de Gouges 2.0, entretien avec Graciela Barrault (1) et (2)


Pièces de théâtre sur Olympe de Gouges

Terreur Olympe de Gouges d'Elsa Solal, mise en scène par Sylvie Pascaud 


Olympe de Gouges porteuse d'espoir, d'Annie Vergne et de Clarissa Palmer


entretien avec Clarissa Palmer : Olympe de Gouges se permettait de changer d'avis 



[1] Olivier Blanc remercie maître Yves Laurin qui a été l’artisan efficace de cette conférence sur Olympe de Gouges, injustement condamnée à mort voici 220 ans par le Tribunal révolutionnaire, qui siégeait dans l’actuel Palais de justice.

[2] Des travaux scientifiques récents publiés notamment en France, aux États-Unis, au Japon et en Allemagne ont rendu justice à la qualité de son œuvre dramatique. Mais son œuvre politique est encore mal connue pour cause de pesanteurs idéologiques, notamment dans le monde universitaire français, qui est profondément influencé par les thèses pro-robespierristes d’Albert Mathiez. Sur la vie d’Olympe de Gouges, voir ma biographie, documentée aux sources premières, Marie-Olympe de Gouges, Des droits de la femme à la guillotine, Tallandier, 2014 (quatrième édition augmentée).

[3] L’étude de Lamartine sur les Girondins (Histoire des Girondins, 1847), si vantée, si citée et encore récemment rééditée n’a jamais vraiment rendu hommage, comme on le croit parfois, à la pureté de leurs principes républicains comme à la qualité démocratique de leurs actes et de leurs intentions. Un colloque organisé par Albert Soboul endécembre 1975, sur lequel il y aurait beaucoup à dire tant certaines contributions sont éminemment discutables sur le fond, semble s’inscrire dans la suite des conclusions négatives de leur procès au Tribunal révolutionnaire. Un véritable travail, idéologiquement indépendant, si c’est possible, permettrait de contextualiser le  dramatique itinéraire d’un mouvement de dix-huit mois d’existence, sans brider la parole de ses protagonistes, sans leur prêter, comme le firent Robespierre et Fouquier-Tinville, des intentions qu’ils n’avaient pas. 

[4] Olympe de Gouges est remarquable par l'importance et la variété de ses publications dramatiques et politiques, et notamment sa campagne d'affichage sous la Législative et la Convention, soit une quinzaine de textes qui vont de la déclaration de guerre de mars 1792 (Le bon sens français) à l’époque où, de sa prison, elle parvient encore à communiquer et faire afficher clandestinement par ses amis son dernier écrit politique et sa dernière justification (Une patriote persécutée, vers le 10 septembre 1793).

[5] Olympe de Gouges, Une femme persécutée, 1793 (affiche).

[6] Contrairement à Robespierre, Olympe de Gouges fut membre à part entière des Amis des Noirs malgré les affirmations de Marcel Dorigny de la Société des études robespierristes (France Culture, La Fabrique de l’Histoire d’Emmanuel Laurentin, le 18 octobre 2013). Nous avions pourtant déjà publié en 1993 le très important témoignage de Brissot, fondateur de ce club des Amis des Noirs, qui écrit : « J’ai cité quelques-unes des femmes qui faisaient partie de la Société des Amis des Noirs. Je ne dois pas oublier, en parlant d’elles, Olympe de Gouges (…). Admise dans notre société, les premiers essais de sa plume furent consacrés aux malheureux que tous nos efforts ne pouvaient arracher à l’esclavage ». Olivier Blanc « Itinéraire politique et bibliographique d’Olympe de Gouges  - Documents inédits » in Olympe de Gouges, Écrits politiques 1788-1791, Côté-femmes, 1993, p. 18.  Une campagne de dénigrement d’Olympe de Gouges menée de concert par plusieurs membres de la Société des études robespierristes et leur suiveurs sur Wikipedia (article « Ami des Noirs ») dénie sa participation au combat pour l’abolition de la traite, participation qui fut effective  dès « les premiers essais de sa plume, autrement dit dès 1785 comme le rappelle Brissot. L’esclavage des noirs fut reçu à la Comédie française en 1783, sous le titre Zamore et Mirza ; imprimée en 1786, la pièce fut jouée en 1789 et réimprimée en 1792, accompagnée d’une remarquable préface.

[7] En butte aux attaques des colons et propriétaires coloniaux qui lui reprochaient de vouloir mettre les colonies à feu et à sang, elle publia  une Réponse au champion américain ou Colon aisé à connaître (1790). Une autre pièce intitulée Le marché des Noirs, fut présentée à la Comédie française en 1790 ; elle est inédite et le manuscrit reste introuvable.

[8] Certains contemporains dont Jean-Charles Bésuchet (Précis historique de la franc-maçonnerie, Paris, 1823) ont suggéré qu’elle fut membre d’une loge maçonnique féminine. Tous ses intimes (son compagnon Biétrix) et amis proches étaient, de fait, francs-maçons, appartenant pour certains d’entre eux, comme Louis-Sébastien Mercier et Michel de Cubières, aux Neuf Sœurs.

[9] Il existe deux thèses principales sur la nature réelle de la Terreur révolutionnaire mise en œuvre par la Commune de Paris puis par le Comité de salut public de la Convention. Celle des Girondins, à laquelle souscrivait Olympe de Gouges – ignorée ou contestée par les suiveurs d’historiens politisés, profondément marqués, ce qu’on peut comprendre, par les grands enjeux politiques de leur époque (1850-1950), dont Louis Blanc, Ernest Hamel,  Albert Mathiez, Pierre Caron, Henri Calvet et Albert Soboul –, suggérait qu’une loi martiale plutôt que la Terreur institutionnalisée suffisait en temps de guerre. La mise en œuvre de la Terreur – qui en réalité ne fut jamais « vertueuse » et s’avéra incontrôlable – était, à leurs yeux, inutile, inefficace et dangereuse pour la République et les libertés. Voir, sur la thèse girondine, à laquelle souscrivaient notamment Olympe de Gouges et Louis-Sébastien Mercier, Olivier Blanc, « Argent et corruption sous la terreur », in Henri Guillemin et la Révolution française : le moment Robespierre, actes du colloque organisé le 26 octobre 2013 par l’association Présence d’Henri Guillemin, éditions d’Utovie, 2014, pp. 85-113.

[10] Sont dits « de proie » ceux des Montagnards qui étaient corrompus.

[11] Louis-François L’Héritier, Mémoires pour servir à l’histoire de la Révolution, 1831, p. 116.

[12] Lire en particulier le Pacte national par Madame de Gouges (5 juillet 1792) et Avis pressant à la Conventionpar une vraie républicaine (mars 1793) in Olympe de Gouges, Écrits politiques, II,  Paris, éditions Côté Femmes, pp. 136 et 219.

Olympe de Gouges et Robespierre par Olivier Blanc (deuxième partie)

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Olympe de Gouges, le don patriotique

Le don patriotique des citoyennes, ou projet d’une caisse patriotique par Olympe de Gouges, auteure de La lettre au peuple (1788), École française , huile sur toile, 1788 (œuvre inédite, coll. particulière, droits réservés).


Une femme politique engagée

Connue comme « féministe » ou « femme de lettres », Olympe de Gouges fut aussi une zélatrice des Lumières de la philosophie et une femme politique engagée, auteure  d’écrits politiques parus en 1793 sous le titre d’Œuvres de Madame de Gouges[1].  Elle a, comme je l’ai rappelé précédemment, été d’ailleurs exécutée pour des motifs politiques.

Plusieurs de ses textes politiques, dont certains malheureusement ne sont pas arrivés jusqu’à nous [2], demeurent inconnus de la plupart des historiens de la Révolution. Alphonse de Lamartine, notamment, ne la distingue pas dans l’ouvrage qu’il a consacré aux Girondins, ouvrage souvent cité mais qui ne devrait pourtant pas constituer, malgré son titre, une référence absolue sur l’histoire des Girondins [3]. Or les textes d’Olympe de Gouges, très engagée à leurs côtés, méritent d’être lus et analysés.

 

La meilleure forme de gouvernement

Elle s’interroge à plusieurs reprises sur la meilleure forme de gouvernement pour les FrançaisEs, à une époque, en 1792, où beaucoup de citoyenNEs balançaient comme elle, entre la monarchie constitutionnelle, qu’ils/elles comprenaient, et la République, qui leur semblait à la fois prometteuse et menaçante par ce qu’elle comportait d’inconnues. Olympe de Gouges redoutait, par exemple, un engouement populaire soudain pour un homme prétendument providentiel, ou pour un triumvirat, et même pour un décemvirat, qui signerait le retour du despotisme. Son affrontement avec Robespierre en 1792, révèle cette inquiétude :

Les hommes ne seront-ils jamais assez sages, assez humains pour s’élever jusqu’à l’intention de l’Éternel ? Tous ses décrets sont dans la Nature et tous sont défigurés dans les mains des hommes. Menteurs, calomniateurs par habitude, féroces par l’exemple, savants par engouement, extravagants par instinct, voilà la vie des hommes. À peine mettent-ils les pieds sur la terre pour se conduire que cette terre mobile et fragile s’entrouvre sous leurs pas. Les insensés ! Ils ne vivent qu’un jour, qu’une heure, une minute en comparaison des siècles ; et cette vie courte, rapide, remplie d’orages, d’infirmités, de turpitudes et de douleurs humaines n’a pu encore leur inspirer la forme d’un gouvernement sage et humain !

(…)

Elle souhaite que les grandes décisions politiques - notamment celle sur le choix de gouvernement auquel aspirent les FrançaisEs - soient soumises au peuple réuni en assemblées primaires. Elle en fait la demande à l’Assemblée une première fois en 1792 et à nouveau après le coup d’état contre la Convention le 2 juin 1793, ce qui entraînera son arrestation. Sur cette question de la légitimité elle écrivait, en mars 1792 :

Ce n’est pas la justice et les mœurs qui ont fondé les empires, mais bien le bonheur, l’adresse ou le crime. Les peuples ont voulu s’assujettir sous le joug des tyrans ; souverains maîtres de retirer un pouvoir confié et mal administré, ils peuvent à leur gré en disposer sous de meilleurs auspices : voilà ce que démontre le bon sens. (…) si la France est l’aréopage qui doit prononcer sur cette importante question, elle doit donner à l’univers l’exemple de l’impartialité et du libre cours à l’opinion pour que l’on puisse délibérer à la pluralité des voix sur le sort des rois. [4]

Elle entre dans le concret du vote démocratique qu’elle promeut :

Tout citoyen est maître de la volonté et ce n’est que la volonté du plus grand nombre qui doit asseoir les lois : cette loi est indiquée partout et nul ne peut la contester. Qu’il serait beau d’y voir tous les hommes souscrire sans la voie des armes et par la force seule de la raison ! (…) L’homme a le droit de manifester ses opinions pourvu qu’elles ne troublent pas l’ordre public, je voudrais donc que cette volonté fût appuyée par la raison et la justice des droits de l’homme. Il s’agit de décider des intérêts de la patrie, il s’agit donc d’être conséquent pour résoudre quel est le parti qui la sauvera ; ce serait, il me semble, à la pluralité des voix. Et ne serait-il pas d’une conséquence profonde de faire l’appel nominal de tous les individus du royaume et de joindre ce moyen aux actes additionnels de la constitution, rappeler les absents, leur déclarer par un décret solennel que, sous peine de perdre leurs propriétés, ils seront tenus de rentrer dans leurs foyers, dans un temps limité, pour opiner légalement et volontairement sur la forme du gouvernement. Chaque département serait chargé de tenir un registre fidèle composé de deux colonnes où les patriotes seraient inscrits sous le nouveau régime et la ci-devant noblesse sous l’ancien. Pour moi, j’opine d’avance pour les principes constitutionnels.[5]

 

Une républicaine

Elle précise, en effet :

Quel que soit l’esprit du gouvernement que les Français adopteront, pourvu qu’il soit sage et avantageux pour tous les citoyens, je l’approuve d’avance fût-il républicain. [6]

Après la journée décisive du 10 août 1792, marquant la fin de la monarchie des Bourbons, elle écrit en ces termes à la Convention :

Je désirais, il est vrai, une révolution philosophique digne de la sainte humanité, digne enfin de vos principes républicains, mais l’Assemblée constituante en décida autrement ; elle avilissait les tyrans et les conservait. Cette constitution si vantée n’a produit qu’un gouvernement monstrueux. Je l’avais prévu et la journée du dix a justifié ma prédiction.[7]

S’adressant à Philippe-Égalité, elle met en cause ses anciens partisans devenus Montagnards, dont elle dénonce les menées sourdes visant à dégrader ou renverser la Convention :

Je suis née avec un caractère républicain et je mourrai avec ce caractère. Si dans quelqu’un de mes écrits patriotiques j’ai paru défendre la monarchie constitutionnelle, c’est que j’ai redouté tous les malheurs qu’entraînerait la chute de cette monarchie. La faction cromwelliste qui se cache depuis longtemps sous le masque du plus brûlant patriotisme cherche par la voie de tous les crimes à nous réduire au plus affreux esclavage ; cette faction incendiaire, féroce et désorganisatrice, on la met sous ton nom.[8]

 

Une femme contre la Terreur

Depuis le 2 septembre 1792, elle s’élève vivement contre les violences commanditées et le grand massacre perpétré dans les prisons de Paris, qui font aussi couler le sang des adolescents de Bicêtre et des femmes de la Salpêtrière. Les Ultra-Jacobins lui opposent que le sang cimente les révolutions, elle répond :

Si de même que l’auteur de l’auguste Contrat social, j’ai désiré que la Révolution s’opérât sans effusion de sang, c’est que j’ai craint comme lui qu’une goutte épanchée en fît verser des torrents et vous conviendrez avec moi que ce n’est pas le sang qui  peut cimenter la Révolution.[9]

 

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Jean-Paul Marat co-signataire de la circulaire du comité de surveillance,  dénoncé par Olympe de Gouges comme promoteur des massacres de septembre 1792. Portrait anonyme vers 1792.

Le lendemain des massacres de septembre, elle se désole :

Que de maux j’aurais prévenu si l’on avait voulu m’écouter ! que de sang on aurait épargné si l’on avait voulu me croire et nous n’en serions pas moins républicains.  Le sang, disent les féroces agitateurs, fait les révolutions. Le sang même des coupables, versé avec profusion et cruauté, souille éternellement ces révolutions, bouleverse tout à coup les cœurs, les esprits, les opinions, et d’un système de gouvernement on passe rapidement dans un autre. L’histoire de l’Univers en offre plusieurs exemples. (…) Hélas quand l’Assemblée constituante engagea tous les gens de lettres à faire des recherches sur le code pénal afin d’abroger la peine de mort, même sur les criminels, s’attendaient-ils que, dans une Révolution opérée par les lumières de la philosophie, au bout de quatre ans, les Français donneraient la mort sans relâche, pendant trois jours et trois nuits à leurs concitoyens ? Mais ce ne sont pas des Français qui ont commis de semblables atrocités, ce sont des tigres ennemis des hommes, déchaînés contre nous par des puissances étrangères. C’est par de semblables moyens qu’ils ont voulu nous asservir, tromper les citoyens et nous faire retomber dans un état de barbarie et d’esclavage.[10]

À suivre

 



[1] Rééditées par nos soins en 1993 sous le titre de Écrits politiques (I et II) aux éditions Côté femmes avec des introductions, respectivement intitulées « Itinéraire politique et bibliographique d’Olympe de Gouges » (volume I) et « Arrestation et procès d’Olympe de Gouges (nombreux documents inédits) »(volume II).

[2] Ses papiers personnels contenant divers projets et autres imprimés ont été brûlés par Tilly, le juge de paix de la section du Pont-Neuf sur ordre de l’accusateur public : AN, W 118 (papiers Fouquier-Tinville) archive reproduite par Olivier Blanc, Olympe de Gouges, des droits de la femme à la guillotine, Tallandier, 2014, p. 239.

[3] Voir la note 3 du billet précédent.

[4] Olympe de Gouges, L’esprit français ou problème à résoudre sur le labyrinthe de divers complots, Paris, 22 mars 1792, in Écrits Politiques, op. cit., tome II, p. 71. 

[5]Id., Le bon sens français ou l’apologie des vrais nobles, dédié aux Jacobins, in Écrits politiques, op.cit., II, p. 87-88     

[6]Ibid., II, p. 82-83.

[7]Compte-moral rendu à la Convention, in Écrits politiques, op. cit., II, p.174-175.

[8]Œuvres, dédiées à Philippe, in Écrits politiques, op. cit., II, p. 228.

[9]  Id., Le bons sens français, in Écrits politiques, op.cit., II, p. 78.

[10]Id., La fierté de l’innocence ou le silence du véritable patriotisme, in Écrits politiques, op. cit, II p.153

Robespierre, Marat et les profiteurs de la Terreur - Olympe de Gouges et Robespierre par Olivier Blanc, troisième partie

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Henri Emmanuel Philippoteaux, Les députés Girondins à la veille de leur exécution, le 31 octobre 1793 (dépôt du Musée de la Révolution à Vizille).


Lire la première partie

Lire la deuxième partie


La commission des Vingt-Quatre


Le 25 septembre 1792, Olympe de Gouges assiste aux premières séances houleuses, à la nouvelle assemblée constituante nommée Convention ; elle écoute et approuve le discours de Vergniaud, le grand orateur de la Gironde qu’elle connaît bien. L’un des héros du 10 août 1792 [1], le girondin Barbaroux, a accusé Robespierre d’avoir prôné la dictature devant plusieurs témoins ; cette accusation est confirmée en séance par Cambon, et Vergniaud, qui la relaie, ajoute que Marat a initié les massacres de septembre et, qu’il a, lui aussi, comme Robespierre, justifié le « dictatoriat ».

                       

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Pierre Victurnien Vergniaud, avec lequel Olympe de Gouges était en relation depuis quinze ans. Portrait anonyme. Huile sur toile.


Puis Vergniaud présente une circulaire signée de Marat et des membres du Comité de surveillance de la Commune. Adressée aux départements, elle les invite à opérer, à l’imitation de Paris, des massacres dans les prisons de province. Or cette circulaire est également paraphée par son instigateur, Panis, un ami intime de Robespierre. Vergniaud rappelle ensuite, et surtout, qu’à la veille des massacres, et alors que des listes de proscription circulaient dans Paris, la Commune, par l’intermédiaire de Robespierre, s’en est pris à plusieurs élus du peuple. Robespierre avait alors dénoncé un soi-disant complot tramé par les Girondins Ducos, Brissot, Guadet, Lasource, Condorcet et Vergniaud, complot dont le but aurait été de livrer la France au duc de Brunswick. Faisant allusion tant à Marat qu’à Robespierre, Vergniaud dénonce enfin les « appels au meurtre et à l’assassinat » : 

Que des hommes chargés par leurs fonctions de parler au peuple de ses devoirs et de faire respecter la loi, prêchent le meurtre et en fassent l’apologie, c’est là un degré de perversité qui ne peut se concevoir que dans un temps où toute moralité sera bannie de la terre !  [2]

Marat, qu’Olympe de Gouges suspectait comme d’autres girondins de servir les intérêts de l’étranger [3], chercha à se justifier ; mais il ne convainquit pas la Convention, qui le hua. L’on notera ici que lors de la chute de Hébert et des maratistes de la Commune de Paris, en mars 1794, le nom de Marat, mort depuis quelques mois, fut cité comme ayant appartenu à cette faction de l’exagération révolutionnaire qui en effet bénéficia de financements étrangers.

Sommé à son tour de s’expliquer sur les faits allégués par Barbaroux et Vergniaud, Robespierre se justifie médiocrement lui aussi. Édifiés, les députés décrètent la création par la Convention d’une Commission d’enquête extraordinaire ayant vocation à faire la lumière sur les violations de la loi, les arrestations et les dilapidations perpétrées avant et pendant les massacres de septembre. Cette commission est issue des décrets des 2 et 5 octobre 1792 portant sur le rôle du Comité de surveillance de la Commune du Dix-Août :

 La Convention autorise ses commissaires à faire de concert avec les membres de la Municipalité le triage des pièces qui pourraient prouver la vérité ou la fausseté du Comité de surveillance (de la Commune).


Ainsi fut créée la Commission des Vingt-Quatre, dite commission Barbaroux, qui fut au cœur de l’affrontement Girondins-Montagnards, et dont les conclusions, rendues en mai 1793, seront accablantes pour les membres du Comité de surveillance de la Commune de Paris et pour les robespierristes qui la soutenaient, préludant au renvoi au Tribunal révolutionnaire de plusieurs de ses membres, soupçonnés d’abus de pouvoir, de vols et de dilapidations (au sens ancien de détournement d’argent public). 

Le 10 mai 1793, le Conseil général de la Commune fut contraint par les conclusions de cette commission girondine de rendre un arrêté statuant sur les dépôts du Comité de surveillance. Déclarant qu’il y avait bien eu « bris de scellés, violation, dilapidations de dépôts, fausses déclarations et autres infidélités », il chargeait le procureur de la Commune de dénoncer à l’accusateur public les citoyens Panis, Sergent, Lenfant, Cally, Jourdeuil, Duffort et Leclerc. Cette pièce, miraculeusement échappée à la destruction des archives mettant en cause la Commune de Paris, donne non seulement consistance aux accusations de rapines ayant accompagné les massacres de septembre 1792, mais en outre, il  désigne  nommément les présumés coupables, dont deux députés Montagnards bon teint, Étienne-Jean Panis et Antoine Sergent, dit Sergent-Marceau. Plus grave, la mise en œuvre de cette procédure judiciaire représentait, en vertu de ses révélations, un danger pour tous les députés et administrateurs mêlés de près ou de loin aux opérations de répression aveugle diligentées par la Commune du Dix-Août, autrement dit, pour Robespierre, Danton, Marat, Billaud-Varenne, Fabre d’Églantine, Tallien, etc.


Pour beaucoup de contemporains, la volonté, dont les Girondins témoignèrent, de faire la lumière sur les circonstances et les motifs réels des massacres de septembre fut la principale cause du coup d’État des 31 mai et 2 juin 1793, qui pulvérisa les commissions d’enquête girondines et leurs conclusions[4].


L’on observera que, de façon inexplicable, dans son Histoire des Girondins, que nous avons citée plus haut, Lamartine ne fait pas  allusion à la création de la Commission des Vingt-Quatre, si importante, et qu’il accuse à tort les Girondins de n’avoir rien entrepris contre les responsables des massacres. Cette thèse, en soi absurde, est devenue le leitmotiv de l’école soboulienne qui, par la voix de M. Marcel Dorigny, entre autres [5], cherche à prouver que les Girondins auraient été plus ou moins complices des massacreurs de septembre. La réalité est que beaucoup d’entre eux furent menacés à leur domicile par les tueurs, comme le ministre de l’Intérieur Roland lui-même, que leurs imprimeries furent dévastées, et que Girey-Dupré, secrétaire de rédaction du Patriote français de Brissot, fut arrêté et en grand danger d’être mis à mort. On a, en outre, s’ajoutant aux demandes verbales réitérées de députés contre l’inaction calculée du commandant de la garde nationale, Santerre, la preuve que des lettres lui ont été écrites dès le 2 septembre, tant par le maire de Paris, Pétion que par le ministre de l’Intérieur, Roland, le priant instamment de mettre immédiatement fin aux tueries. Santerre, qui contrôlait  la force armée, était, singulièrement, le beau-frère de Panis, qui a dirigé les massacres, et, l’ami de Robespierre…

 

 

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Exécution de femme place de la Révolution. Gravure anonyme (coll. part.)


Olympe contre Maximilien

 

Dans les jours qui suivirent sa « justification », Robespierre est confronté à de nouvelles accusations : celles du girondin Louvet, notamment, qui récapitule en séance les griefs des Girondins contre Robespierre. Olympe de Gouges s’en prend à lui à son tour, l’accusant véhémentement d’avoir tourné le dos aux Lumières qui ont inspiré l’esprit de  1789 [6].  Elle l’attaque frontalement dans une affiche intitulée Pronostic contre Maximilien  Robespierre   :

 Tu voudrais assassiner Louis le dernier pour l’empêcher d’être jugé légalement ; tu voudrais assassiner Pétion, Roland, Vergniaud, Condorcet, Louvet, Brissot, Lasource, Guadet, Gensonné, Hérault de Séchelles, en un mot tous les flambeaux de la République et du patriotisme. [7]

Et elle poursuit en ces termes :

Courage Maximilien, tente la fortune jusqu’à extinction, renverse dans sa naissance ce gouvernement qui a réuni les Constitutionnels aux Républicains, mais la saine philosophie entravera tes succès ; et quel que soit ton triomphe du moment et le désordre de cette anarchie, tu ne gouverneras jamais des hommes éclairés. Aussi tu n’as tourné tes regards que vers le triumvirat. Tu n’as point d’argent, dis-tu ? Mais tu as des amis qui t’ont déjà fait quelques avances et qui t’en feront bien encore pour partager avec toi le rang suprême.[8]

 

L’argent de Robespierre

Robespierre, en effet, qui était pauvre en 1791, devint soudain à l’aise en 1792 ; et il fut entouré de gens très fortunés jusqu’à la veille du 9 thermidor an II. D’après les intéressants Souvenirs de Mme de Nicolaï, fille de Charles de Lameth [9], il était sans un sou et venait se nourrir chez ses parents jusqu’à sa rencontre avec la famille de Maurice Duplay ; il fut dès lors débarrassé de tout souci financier.

Maurice Duplay, ce riche entrepreneur en menuiserie – et non un humble menuisier aux mœurs spartiates  –, autrefois protégé par M. et Mme Geoffrin (la richissime salonnière), avait en partie investi sa fortune dans l’immobilier parisien [10] et dans les premières entreprises industrielles en Auvergne. Sous la Terreur, tous les membres de sa famille, ses amiEs et les leurs se retrouvent souvent à Choisy-le-Roi, mais aussi à Bercy, Issy, Maisons-Alfort, Vanves, dans des propriétés de grand rapport, souvent issues du domaine royal et louées ou achetées à bon compte.

 

La Bande noire

Beaucoup d’historiens ont été frappés par l’importance des  patrimoines accumulés depuis la Révolution par un certain nombre d’élus ou de hauts fonctionnaires. Certains d’entre ces enrichis furent inquiétés au début de la Restauration, qui confisqua une partie de leur patrimoine et ils durent parfois s’exiler à Bruxelles, en Suisse ou même en Angleterre, comme Barère de Vieuzac qui, sous le nom de « Roquefeuil », y reçut excellent accueil des lords Mulgrave et Castlereagh.

Les fortunes considérables de Merlin de Thionville, de Sieyès, de Fouché, de Barère, de Cambacérès, de Vadier ou encore de Merlin de Douai dépassent largement la moyenne des enrichissements du temps de la Révolution, et leurs biographes peinent souvent à expliquer l’origine et l’importance de leurs patrimoines et placements divers disséminés en France et même en Europe. Il est entendu que la spéculation bien connue sur les biens nationaux y fut pour  quelque chose, mais, sans doute, n’explique-t-elle pas tout, car certains enrichissements rapides d’administrateurs de la Commune de Paris et d’élus à la Convention furent dénoncés comme suspects dès les premières séances de la Convention, et demeurèrent, jusqu’à la veille du 9 thermidor, au cœur des affrontements ininterrompus et des luttes de pouvoir entre députés ou entre factions.

 

Les conditions des ventes aux enchères, mal étudiées, ont été vainement dénoncées à l’époque (dès 1793), où elles ont fait l’objet d’un certain nombre de rapports qui tendent à prouver que la Bande noire – nébuleuse de spéculateurs, souvent des professionnels de la construction associés à des élus – contrôlait les ventes desbiens nationaux, démantelés et achetés morceau par morceau. Un premier rapport dénonce ces faits en 1793. Il n’y eut aucune amélioration, et un second rapport fut établi à ce sujet en 1802, mettant en cause Bande noire. 

La coterie Duplay et le cercle rapproché de Robespierre, si mal étudié, faisaient partie des spéculateurs de la Bande noire.  Ilspassaient néanmoins, aux yeux des braves sans-culottes qui siégeaient au club des Jacobins, pour des républicains exemplaires.

Ce clan, dont Robespierre est, si l’on peut dire, le champion, se retrouve souvent chez Jean-Pierre Vaugeois, beau-frère de Maurice Duplay, qui a acquis une grande parcelle du splendide domaine royal de Choisy-le-Roi, dont il est maire. On distingue aussi Antoine Auzat, gendre de Maurice Duplay, promu au plus lucratif des emplois, celui de directeur des transports militaires à l’armée du Nord – les grandes fortunes de la Révolution et du Directoire sont issues de spéculations sur les matériels de guerre (fourniture et transport principalement) –, ou encore Simon Duplay, secrétaire de Robespierre et gendre de Laurent Auvray, heureux acquéreur du domaine d’Issy (actuellement Issy-les-Moulineaux), avant même l’exécution de son occupante, Mme de Chimay née le Pelletier de Saint-Fargeau [11].

Mme de Chimay  fut exécutée le 8 thermidor, et beaucoup d’autres personnes furent comme elle condamnées en vertu de la loi du 22 prairial an II, qui supprimait toute défense, permettant ainsi d’éviter lors de débats publics les témoignages, plaintes et protestations de ces prévenuEs de crimes imaginaires, fondés sur de vagues dénonciations (rébellion en prison, etc.). Les terrifiantes fournées parisiennes de messidor et thermidor (juin-juillet 1794) ont permis de se débarrasser de plusieurs dizaines de suspects qui pouvaient attester de faits très graves liés aux dilapidations perpétrées à Paris et en région parisienne ou à des pratiques de blanchiment d’argent dans les maisons de jeux.

Le citoyen Jean Lamarche, jardinier de Choisy-le-Roi, par exemple, fut guillotiné parce qu’il avait osé mettre en cause la probité de Robespierre. Le sieur Petit du Petitval, occupant du beau domaine voisin de Vitry, et les concierges du château de Choisy avaient eux aussi été arrêtés et ils étaient en attente d’être jugés au Tribunal révolutionnaire, auquel ils échappèrent de justesse. Ce qui ne fut pas le cas de Mme Filleul, ancienne concierge du domaine de la Muette et témoin gênant pour Claude-Louis Châtelet, juré au Tribunal révolutionnaire, acquéreur de la moitié de l’ancien château royal de la Muette, un des séjours de Marie-Antoinette.

 

Robespierre, qui ne vivait pas de l’air du temps, bénéficia, comme l’indique Olmpe de Gouges, d’avances de la part des riches entrepreneurs Duplay, Auvray ou Vaugeois, qui spéculaient sur son avenir politique comme sur les biens nationaux, la revente des matériaux de construction, ou les terrains de grand rapport issus du domaine royal.

 

 

Les autres riches amiEs de Robespierre ou de Marat

 

Il y avait encore, dans ce « premier » cercle robespierriste, la richissime Jeanne-Marguerite de Chalabre[12], qui logeait à quelques mètres de chez  Robespierre et des Duplay. Elle fut la seule femme comprise dans la Liste des noms et domiciles des individus convaincus ou prévenus d’avoir pris part à la conjuration de l’infâme Robespierre (Paris, 1794, p. 5) et on dit que celui-ci l’aurait probablement épousée sans le 9 thermidor. Certains, dont les députés Rovère, Guffroy ou Beffroy de Reigny, la nomment d’ailleurs par dérision Caroline Robespierre.

À la tête d’une fortune évaluée à plusieurs millions de livres, héritée avec son frère unique de leur père le marquis Roger de Chalabre, maréchal de camp des armées du roi (1702-1783) et le principal banquier de jeu de la cour de France, Mlle de Chalabre fut accusée d’avoir servi de prête-nom à Robespierre pour l’acquisition de biens immobiliers, dont la maison des Oratoriens de la rue d’Enfer.

Sous la Révolution, son frère, Jean-Vincent de Chalabre, ex-marquis de Rigny-Ussé, est l’un des principaux banquiers de jeu du Palais-Royal, où transitaient des sommes très conséquentes.

Parmi ces banquiers de jeu, qui officiaient dans des établissements où l’on blanchissait l’argent de la spéculation, celui des divers trafics de signatures et du rançonnement de suspects ou de prévenus, figurait encore le le Napolitain Joseph-Marie Nicolas Persico quin’était autre que le beau-frère de Marat, puisqu’il avait épousé Philiberte Evrard, demi-sœur de la citoyenne Marat. Il est à la tête d’une fortune conséquente liée aux établissements de jeu, où il officie depuis 1786, et aussi à son talent et sa réputation internationale de premier joueur de billard d’Europe. Nul doute qu’il spécule sur l’avenir politique de son beau-frère Marat, comme Duplay et les spéculateurs de la « bande noire » sur celui de Robespierre. Il est l’associé de Laborde de Méréville, neveu de l’un des chefs de l’émigration, l’ex-ministre Calonne, qui représente aussi la grande banque internationale [13]. Persico finance avec Laborde de Méréville les  principales maisons de jeu du Palais-Royal (dont le « 50 » de Mme de Sainte-Amaranthe), où sont distribuées et blanchies de grandes quantités de faux assignats fabriqués à l’étranger à l’instigation de Calonne, et destinés à discréditer la monnaie révolutionnaire (1791-1792) [14]. Après la mort de son beau-frère Marat (1793), Persico est englobé dans la disgrâce du mouvement hébertiste, dont Robespierre découvre les liens avec le « parti de l’étranger ».Pour éviter son arrestation et un procès révélant sa trahison – et donc celle de Marat – les bustes de ce  présumé « héros de la liberté », encore très populaire, fleurissent dans les tous les comités révolutionnaires de France –, des facilités lui sont accordées qui lui permettent de se sauver avec femme, armes et bagages en Italie, où il place sa fortune (et peut-être aussi celle de Marat, qui reviendra plus tard à sa veuve Simone Evrard).

 

Figurant dans la liste de proscription de l’entourage de Robespierre du 9 thermidor an II – seule femme à y être citée – , la citoyenne Chalabre, l’amie proche et la voisine de Robespierre, fut appréhendée chez elle par les commissaires de la section des Tuileries dès le 10 thermidor, et mise au secret. Elle fut, selon d'autres sources, (officiellement ?) arrêtée par le Comité de Sûreté générale le 9 août 1794  « pour fréquentation de la maison de Robespierre ». Elle passa de prison en prison jusqu’à son élargissement, en 1795, en l’échange d’une déclaration antirobespierriste. Son neveu hérita de la considérable fortune des Roger-Chalabre et régna, avec la protection intéressée du ministre Fouché, sur le monde des maisons de jeu jusque sous la Restauration.

 

Dans le même hôtel que Mlle de Chalabre, rue Saint-Honoré, à deux pas de la maison Duplay, vivait aussi l’imprimeur Charles-Léopold Nicolas, natif de Mirecourt et ami intime de l’Incorruptible. Membre de la société des Jacobins et du Conseil général de la Commune, imprimeur du comité de salut public du département de Paris, du Journal de la Montagne, de la Feuille du salut publicà partir d’août 1793, Nicolas est un ami du général Hanriot et de ses aides de camp, qu'il voit chez Sulpice Huguenin, administrateur de l’habillement des troupes de la République.Ayant pris possession des anciennes presses royales puis de celles du guillotiné Pottier de Lille, Charles-Léopold Nicolas s’est improvisé imprimeur de la Nation, aux ordres de Robespierre, qu’il voit tous les jours, et surtout rédacteur-censeur en chef des comptes rendus des procès du Tribunal révolutionnaire– jouxtant la salle de la Liberté, un local lui est attribué à cet effet. Ce que l’on sait des procès de l’an II, dont celui d’Olympe de Gouges, est principalement l’œuvre de Nicolas.

Figure aussi parmi les riches amis de Robespierre l’entrepreneur Jean-Jacques Arthur, qui a pris possession du domaine de Bercy, l’un des plus beaux d’Île-de-France, à l’emplacement de l’actuelle  gare de Lyon.

Le peintre David est également l’un de ses fidèles amis ; il a placé cinq ou six de ses élèves comme jurés dociles au Tribunal révolutionnaire.

Signalons également Etienne-Jean Panis, que nous avons déjà évoqué, ainsi que son beau-frère, le général Santerre, artisans respectivement direct et indirect des massacres de septembre 1792, qui multiplient les acquisitions de biens domaniauxà Paris, en Île-de-France et en province [15].

 

Il y a encore et surtout le général François Hanriot, successeur de Santerre au commandement de la garde nationale, le bras armé de la Commune. Lui et ses aides de camp contrôlent la force armée parisienne, c’est-à-dire, dans les faits, la Convention elle-même [16]. Ils font main basse sur les chevaux des écuries royales, sur des équipages de chasse, sur des caves (celles de l’ancien gouverneur de Choisy, le comte de Fleury) et sur des propriétés issues du domaine royal, le tout récupéré à vil prix, avec le même appétit que les charpentiers, couvreurs, serruriers et autres spéculateurs immobiliers et profiteurs de l’entourage familial, professionnel ou amical de Maurice Duplay.

Parmi les nombreux aides de camp de Hanriot, qui s’est octroyé une partie des écuries de Versailles, on distingue Lazare Bonnardot, qui s’est porté acquéreur d’une partie du château de Choisy, ou encore l’ex-bonnetier François-Pierre Deschamps, qui, devenu extrêmement riche, occupe un château entouré d’un beau parc, aujourd’hui la mairie de Maisons-Alfort.

 

Une bonne partie des « oligarques », qui, on le comprend, ne sont rien moins que désintéressés, sont en même temps jurés au Tribunal révolutionnaire. Jurés révocables gravitant autour de Duplay lui-même, dont l’influence sur eux est évidemment considérable, ils feront partie des jurys qui condamneront d’avance, d’une voix unanime, sans que Robespierre n’apparaisse nommément, les Girondins, Olympe de Gouges, Danton et tant d’autres grands « criminels »[17].

 

En attendant la suite de l'article d'Olivier Blanc sur Olympe de Gouges et Robespierre, vous pouvez lire, sur Féministes en tous genres un ensemble d'articles et d'entretiens sur l'autrice de la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne :


- entretiens avec Olivier Blanc :

Olympe de Gouges, une résistante à la Terreur ; compléments 

(extraits de l'ouvrage d'Olivier Blanc) ; 


Olympe de gouges était-elle royaliste ? 


- Articles d'Olivier Blanc

Olympe de Gouges, une femme persécutée qui n'avait que de l'humanité à opposer au cynisme

Olympe de Gouges, une féministe, une humaniste, une femme politique


Article de Geneviève Fraisse : Olympe de Gouges et la subversion dans l'histoire


Entretien de Graciela Barrault avec Geneviève Fraisse (vidéos)

Olympe de Gouges, auteure autodidacte ; 

La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne commentée par Geneviève Fraisse


Entretien de Sylvia Duverger avec Geneviève Fraisse : Olympe de Gouges et la symbolique féministe


Article de Sylvia Duverger : "J'ai tout prévu, je sais que ma mort est inévitable"


Sur la question de la panthéonisation 

Mona Ozouf, Rousseau, Olympe de Gouges et trois résistantes, par S. Duverger et O. Blanc


Catherine Marand-Fouquet, Des femmes au Panthéon : Mona Ozouf a encore frappé


Sur le Musée virtuel Olympe de Gouges 2.0, entretien avec Graciela Barrault (1) et (2)


Pièces de théâtre sur Olympe de Gouges

Terreur Olympe de Gouges d'Elsa Solal, mise en scène par Sylvie Pascaud 


Olympe de Gouges porteuse d'espoir, d'Annie Vergne et de Clarissa Palmer


entretien avec Clarissa Palmer : Olympe de Gouges se permettait de changer d'avis 



[1] L’on notera que Robespierre et Marat avaient quant à eux brillé par leur absence lors de la journée du 10 août à laquelle il ne prirent aucune part, ainsi que l’ont remarqué la plupart de leurs contemporains.

 

[2][2] A. de Lamartine, Histoire des Girondins, 1848, II, p. 344-345. Voir aussi dans le même ouvrage, le discours de Lasource sur les huit députés dénoncés par Robespierre (p. 334).

[3] Olympe de Gouges, « Les fantômes de l’opinion publique », in Œuvres politiques, Ed. Côté-femmes, 1993, p.60.

[4] Beaucoup de Girondins pensaient que l’argent détourné en août et septembre 1792 avait aussi servi à financer un achat de voix au sein des sections ayant assuré l’élection de plusieurs membres de la Commune voulant se faire élire députés à la Convention.

[5] Voir les Actes du colloque Girondins et Montagnards du 14 décembre 1975.

[6]Le Bon sens français adressé 15 avril 1792, p. 88. Elle ne fut pas toujours opposée à Robespierre. Ainsi, en mars 1792, lors du débat sur la guerre où elle écrit: je m’oppose, comme M. de Robespierre, au projet de la guerre ».

[7] Olympe de Gouges, Pronostic sur Maximilien Robespierre, in Écrits politiques, Côté femmes, 1993, II, p. 171.

[8] Olympe de Gouges, Réponse à la justification de Robespierre, in Écrits politiques, op. cit., II, p. 167.

[9] Voir Olivier Blanc, « Cercles et Salons de la Révolution », AHRF (Annales historiques de la Révolution française), 2006.

[10] Il possédait terrains et immeubles à l’emplacement de la rue Pierre Charron à Paris, dans la rue d’Anjou Saint-Honoré, d’autres encore rue Neuve du Luxembourg, et ses ateliers rue Saint-Honoré qu’il acquit en 1795. C’est aux Archives de Paris que l’on peut consulter les documents très nombreux et passablement inexploités – on se demande pourquoi –, relatifs aux acquisitions révolutionnaires et au séquestre (séries DQ8 et DQ10).

[11] Issy était propriété de la duchesse de l’Infantado émigrée, et la princesse de Chimay, ex-dame d’honneur de Mesdames tantes du roi, en détenait le bail emphytéotique.   

[12] Elle était célibataire et sans enfants. Melle de Chalabre avait un logement dans le somptueux hôtel de la Conception Saint-Honoré et possédait (au moins) deux châteaux dont celui de Vanves au sud de Paris.

[13] Calonne est beau-frère de l’ex-banquier de cour Joseph de Laborde et du comte de Walckiers par son mariage avec la veuve de Micault d’Harvelay née Mlle Nettine.

[14] Sur le financement de l’établissement de jeu de Mme de Sainte-Amaranthe par Persico, voir Olivier Blanc, Les libertines, Paris, Perrin, 1997, p. 33. Sur les faux assignats, voir Arnaud de Lestapis, « Emigration et faux assignats », La revue des Deux Mondes, septembre et octobre 1955, p. 238-251 et p. 451-464.

[15]Cf. Olivier Blanc, La corruption sous la Terreur (1792-1794), Paris, 1992, p. 34-37.

[16] La Commune de Paris est censée « protéger » l’Assemblée qu’elle domine car elle est maîtresse absolue de la seule force armée et de police organisée qu’il y ait dans Paris, la garde nationale que commandèrent Santerre puis Hanriot. Chaque section a son bataillon de force armée composée d’un nombre variable de compagnies selon la population. Voir Sainte-Claire-Deville, La commune de l’an II, Paris, 1938).

[17] Maurice Duplay, l’hôte de Robespierre, présenté comme un « brave homme », bon pater familias, occupa encore ces fonctions de juré après le décret du  22 prairial an II qui, rappelons-le, supprimait toute possibilité de se défendre devant le Tribunal révolutionnaire. 


Olympe de Gouges contre Robespierre, par Olivier Blanc (quatrième partie)

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Scène de femme guillotinée en 1793. Gravure de la fin du XVIIIe siècle. 

 

 

Lire la première partie

Lire la deuxième partie

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Robespierre, un « ambitieux sans génie »

Dans son affiche d’août 1793, Olympe de Gouges décrit Robespierre comme un homme médiocre, peu intelligent, « sans génie » :

 Robespierre m’a toujours paru un ambitieux sans génie, sans âme. Je l’ai toujours vu prêt à sacrifier la nation entière pour parvenir à la dictature ;je n’ai pu supporter cette ambition folle et sanguinaire et je l’ai poursuivi comme j’ai poursuivi les tyrans. La haine de ce lâche ennemi s’est cachée depuis longtemps sous la cendre, et depuis, lui et ses adhérents attendaient avec avidité le moment favorable de me sacrifier à sa vengeance[1].

 

 

Jérôme Pétion, Girondin, maire de Paris, Révolution française

Jérôme Pétion, maire de Paris, membre fondateur avec Brissot de la Société des amis des Noirs. Portrait par Guérin vers 1792.


On reproche à Olympe de Gouges la liberté de ton de ses pamphlets politiques d’octobre et novembre 1792, mais elle porte alors, sur Robespierre, exactement le même regard que le girondin Brissot, député et journaliste politique, ou que Pétion, autre girondin et maire de Paris, dans les portraits qu’ils ont tracés de lui, portraits qui ont le grand intérêt d’avoir été brossés avant et non après la mort de l’Incorruptible.

Pétion, qui fut de ses amis, l’ayant fort bien connu, disait de lui :

Robespierre est extrêmement ombrageux et défiant ; il aperçoit partout des complots, des trahisons, des précipices. Son tempérament bilieux, son imagination atrabilaire lui pressentent tous les objets sous de sombres couleurs… Ne supportant pas la contrariété… s’irritant du plus léger soupçon, croyant toujours qu’on s’occupe de lui, et pour le persécuter… [2]

Jacques-Pierre Brissot, qu’Olympe fréquente avec Pétion à la Société des Amis des Noirs, ne voit pas non plus Robespierre comme il sera dépeint au XXe siècle par les disciples des historiens Ernest Hamel et Albert Mathiez : 

Dans sa Réponse à la justification de Maximilien de Robespierre, disait Brissot, Olympe de Gouges faisait de ce harangueur un portrait assez ressemblant. Elle lui accordait une connaissance parfaite des révolutions, de la vie et des mœurs des grands conquérants. Or il n’y avait pas d’homme plus ignorant, plus étranger à l’histoire ancienne et moderne, et à toute espèce de science que Robespierre. C’était un faiseur de phrases, voilà tout,  son talent, et ses phrases étaient souvent fort ennuyeuses. Olympe de Gouges attaquait Robespierre avec sa franchise et  son courage ordinaires, mais elle aurait dû dédaigner le bourdonnement des insectes qui se traînaient sur les pas de l’ambitieux démagogue. [3] 

 

 

Olympe de Gouges jugée par des Montagnards corrompus

Reprenant une expression dont avait usé le journaliste Roch Marcandier dans son enquête parue en mai 1793 et intitulée Les crimes du comité de surveillance, le député girondin Pierre Lehardy,  appelle les Montagnards les Hommes de proye. Il signifiant par là leur cupidité bien réelle et la corruption de plusieurs d’entre eux (point développé précédemment). Au cynisme des Montagnards, Olympe de Gouges opposa ses sacrifices et son désintéressement, et elle le fit savoir peu après la dénonciation calomnieuse dont elle fut l’objet au club des Jacobins.

Depuis qu’elle avait perdu la modeste pension annuelle de 2 400 livres que lui versait Jacques Biétrix, l’homme qui partageait sa vie et dont elle s’était séparée en 1791, elle avait subsisté en déposant quelques meubles précieux au mont de Piété [4]. Elle sera contrainte aux mêmes sacrifices, trois bijoux et deux montres, pour faire face à de nouveaux frais lorsqu’elle obtiendra son transfert de la prison de la Force à la maison de santé Lescourbiac tenue par la citoyenne Mahaye. Elle s’est expliquée sur ses ressources depuis 1789 dans son Testament politique (1793), qui faisait suite à une brochure intitulée Compte moral rendu à la Convention. Dans le Compte moral, adressé à la Convention en 1792, puis affiché, elle exhortait les députés à l’imiter et à expliquer leur enrichissement depuis le début de la Révolution [5].

En janvier 1793, elle avait obtenu le remboursement du principal de sa petite rente de 2 400 livres par an, et c’est avec ces fonds disponibles qu’au printemps 1793 elle avait fait l’acquisition d’une modeste chaumière en Touraine, la « closerie du Figuier », à Saint-Etienne de Chigny, où elle avait prévu de se retirer [6].

Ses revenus n’ont donc rien de commun avec la fortune des Duplay et des  « amis » de Robespierre que nous évoquions précédemment, et auxquels elle fait clairement allusion. Or certains d’entre eux seront ses impitoyables jurés au Tribunal révolutionnaire. 

Elle s’était proposée comme « défenseur officieux » de Louis Capet, le 16 décembre 1792, provoquant un beau scandale. On lui conseilla de se mêler de ce qui la regardait et de « tricoter des pantalons pour les sans-culottes »… La défense qu’elle avait proposée, au nom de l’humanité, l’avait désignée à la vindicte des Ultra-Jacobins :

Voici actuellement la peine de mort que j’ai à vous proposer pour Louis Capet et toute sa famille. J’ai senti qu’aux grands maux, il fallait appliquer les grands remèdes. En remontant à mon opinion de défenseur officieux, je crois que depuis que Louis a encouru la peine de mort comme roi, le glaive de la loi ne peut plus l’atteindre comme homme ; mais vous l’avez jugé, je respecte le décret de ma nation ; vous allez discuter actuellement sur un sursis à l’exécution de son arrêt. Eh : discutez plutôt sur un traité avec les puissances ennemies, achetez avec la tête de ce coupable une paix qui peut nous être favorable, qui peut nous épargner le sang de tous les peuples… Pourriez-vous balancer et choisir une juste vengeance ? Non, sénateurs français, aucun de vous ne la préférerait à ce prix !

Cette tête coupable une fois tombée, elle ne nous est plus d’aucune utilité. Cette tête nous a couté trop cher pour ne pas en tirer un réel avantage. Les tyrans de l’Europe donnent pour prétexte à leurs peuples que nous égorgeons, que nous leurs déclarons la guerre pour envahir leurs États, leurs fortunes, et que nous trainons au supplice un roi vertueux. Tant qu’il vit, ils ménagent leurs démarches. Une fois mort, plus de frein à leur ambition à leur vengeance ; offrez la grâce de ce criminel à la condition qu’ils (les puissances étrangères) reconnaîtront par une démarche solennelle la République française indépendante. [7]

 

Le Testament politique

Olympe de Gouges publia un Testament politique, daté du 4 juin 1793. Le 9 elle en adressa un exemplaire à la Convention, accompagné d'une lettre remarquable de courage, compte tenu des circonstances,. Cette lettre fut lue en séance, le 9 juin, puis censurée à la demande de Levasseur de la Sarthe. Elle l'avait rédigée à chaud, en réaction à l’arrestation, le 2 juin, de trente-deux députés girondins, sans que Robespierre, qui passait pour un grand démocrate aux yeux des sans-culottes crédules et abreuvés de propagande, n’eût fait un geste pour les défendre  [8]. Il laissa la Commune de Paris les accabler avant de se retourner quelques semaines plus tard contre les chefs de cette même Commune, devenus à leur tour des « conspirateurs ». D’autres arrestations de députés ou sympathisantEs girondinEs devaient suivre dans les semaines et les mois à venir : soit près de 150 députés, sans compter  ceux et celles qui étaient des parentEs, des amiEs ou même des domestiques de ces élus du peuple. Un certain nombre d’entre eux et elles seront  guillotinéEs, et jusqu’aux domestiques de Mme Roland, de Vergniaud, ou encore les époux Paysac, qui avaient offert un asile à Rabaut Saint-Etienne, député girondin et président de la commission des Douze chargée de prévenir les complots de la Commune de Paris contre la Convention [9].

 

Louis Sébastien Mercier, Révolution française, Girondin, Olympe de Gouges

 

L’écrivain Louis-Sébastien Mercier, l’ami de toujours d’Olympe de Gouges. Député girondin à la Convention, emprisonné en octobre 1793, il échappa à la guillotine grâce au 9 thermidor. Gravure du temps.


Olympe de Gouges rappelle dans son Testament politique qu’il n’y avait pas d’accusation formulée contre les Girondins arrêtés. Or la loi du 1er avril 1793 prévoyait que l’accusation à l’encontre d’un député arrêté devait impérativement être formulée dans les trois jours. Cette disposition ne fut donc pas respectée, et Vergniaud s’en plaignit en effet.  C’est seulement le 8 juillet 1793 suivant que Saint-Just fit un rapport récapitulatif destiné à donner lieu à accusation. Ce rapport était tissé de toutes les calomnies distillées depuis plusieurs mois par la Commune de Paris et les journaux subventionnés par le ministre Nicolas Pache [10], ceux de Marat (L’Ami du peuple) et de Hébert (Le père Duchesne), qui appelaient sans répit à l’assassinat ou à l’arrestation suivie d’une exécution des députés girondins.

Vergniaud, dans un de ses écrits rédigés en prison, miraculeusement arrivé jusqu’à nous, a rejeté toutes ces accusations grossières, sans fondement lorsque l’on y regarde de près. Il a aussi rappelé que le refus des Girondins de mettre à la disposition de la Commune de Paris une « armée révolutionnaire » – qui aurait encore augmenté son pouvoir sur la ville de Paris et la représentation nationale –, était l’une des causes de ce coup de force contre une Convention désarmée et terrifiée [11]. L’armée révolutionnaire fut formée les semaines suivantes et, par le truchement de François Hanriot, son général, mit Robespierre au pouvoir dans les faits.

 

Les Girondins étaient-ils fédéralistes ?

Depuis le 31 mai 1793, les électeurs et soutiens des députés girondins illégalement arrêtés contestaient le pouvoir central de la Commune de Paris et, désormais, l’autorité même de la Convention, sous sa coupe, ainsi que celle des comités de gouvernement, devenus illégitimes à leurs yeux. Si bien que l’accusation de fédéralisme trouva une opportune justification dans, précisément, ce mécontentement des électeurs provinciaux, qui grandissait au fur et à mesure que de nouveaux députés girondins étaient menacés d’arrestation.   

Pourtant, et contrairement à ce qu’affirme la tradition universitaire « robespierriste », les Girondins dans leur ensemble n’avaient aucune visée fédéraliste sur le plan politique. Ils avaient plusieurs fois repoussé à la Convention cette accusation déjà formulée contre eux fin septembre 1792 et reprise au Tribunal révolutionnaire dont les conclusions sujettes à caution sont à la base de l’historiographie robespierriste.

 

Les ennemis de l’intérieur

Dans son Testament politique et dans ses derniers écrits politiques, Olympe de Gouges ne parle pas en effet des mêmes ennemis de l’intérieur que ceux que les journaux jacobins dénoncent de toutes parts, amalgamant à dessein les royalistes aux Girondins, ce qui n’avait aucun sens : on est ou bien fédéraliste ou bien royaliste mais on ne peut être les deux en même temps !

En revanche, les anciens partisans du duc d’Orléans, comme Merlin de Douai, Laclos ou Barère et les agents de la Commune de Paris noyautée par la coterie de Pache, devenu maire de Paris, représentaient aux yeux d’Olympe de Gouges, un danger pour les libertés[12]. Elle accusa sans répit ces faux républicains qu’elle estimait vendus à l’étranger et aux puissances d’argent, de vouloir allumer la guerre civile, en montant les FrançaisEs les uns contre les autres, et de prétendre rééditer les massacres de septembre, une crainte alors partagée par les Girondins arrêtés, dont Mme Roland, qui s’en fit l’écho dans ses Mémoires [13] .

Olympes de Gouges écrivait ainsi :

Les agents de Pitt et Cobourg n’épargnent rien pour renouveler ces scènes barbares et méconnues au monde jusqu’au 2 septembre  de l’année dernière. Pitt et Cobourg, ces horribles Machiavels, ne doutent nullement qu’un second massacre ne fasse de Paris, cette reine des cités dont ils sont si jaloux, une seconde Troie, et que bientôt tous les départements réunis contre elles viennent tirer sur ses habitants comme sur des bêtes fauves [14].

 

Les Trois urnes

La Commune de Paris s’est, jugeait-elle, arrogé un pouvoir illégitime sur la Convention en l’encerclant de canons. Pour éviter que cette Commune factieuse, qui, selon elle, avait fini par prendre Paris en otage, finisse par imposer définitivement sa loi despotique aux FrançaisEs, elle prépara la publication et la diffusion d’une affiche rouge intitulée Les Trois Urnes. Sur cette affiche elle proposait, ainsi qu’elle l’avait déjà fait en 1792, que chaque citoyen de chaque département vote librement pour la forme de gouvernement de son choix. 

 

olympe de gouges, Les trois urnes, Révolution française, arrestation d'Olympe de Gouges

Les Trois urnes, l’affiche qui valut la peine de mort à la citoyenne de Gouges (AN, W293).


Elle dira et répètera que ses intentions étaient pures, qu’elle voulait à tout prix éviter la guerre civile qui menaçait, et qu’elle avait conçu son placard dès la fin du mois de mai, lorsque s’étaient élevés les premiers orages dans les départements, qui contestaient déjà la mainmise de la toute-puissante Commune de Paris sur la Convention [15]. Elle avait donc fait la proposition, pour le bien de chacunE, de réunir les assemblées primaires, et que celles-ci choisissent à la majorité simple entre trois formes de gouvernement : républicain, fédéraliste et monarchiste constitutionnel.

Pour avoir voulu afficher cet appel au peuple, après en avoir envoyé un exemplaire au Comité de salut public du Département de Paris, dont les membres étaient des « durs » issus de la Commune – Comité qui ne lui répondit pas –, elle fut arrêtée.

Elle avait pourtant pris soin de faire appel à l’afficheur de la Commune de Paris, attestant par là que ses intentions n’étaient pas mauvaises. De ce fait, elle ne pensait pas être dans le cas de la loi du 28 mars 1793 sur la répression des écrits contre-révolutionnaires, punissables de mort si ces écrits étaient reconnus conçus ou colportésavec de mauvaises intentions. Ce dernier point sera au cœur de sa défense, car Fouquier-Tinville, aux ordres de Robespierre, l’accusera en effet d’avoir eu des intentions « perfides et criminelles, et d’avoir méchamment et à dessein composé son écrit ».

 

Des Girondins républicains

Pour comprendre l’initiative d’Olympe de Gouges, il faut lire attentivement ses écrits de prison et les réponses quelle donne au cours de ses interrogatoires. Mais il faut consulter également ceux de ses amis pour lesquels elle s’est directement exposée.

Parmi eux, Louis-Sébastien Mercier, le plus proche de ses intimes, qu’elle voyait toutes les semaines. Écrivain connu et député girondin, il fut arrêté et détenu plus d’un an en prison, échappant de justesse à l’échafaud. De la prison de Port-Libre (ex-Port-Royal), Mercier prêta sa plume à onze de ses collègues en publiant une protestation collective destinée à se disculper des accusations lancées par les Robespierristes, accusations infondées, et qui n’étaient d’ailleurs pas justifiées, ainsi que nous l’avons rappelé.

Que disent Mercier et les Girondins ? Ils contestent la version officielle des faits telle qu’elle a été publiée après l’ordre d’arrestation le 2 juin 1793 de leurs trente-deux collègues. Ils demandent instamment que la  version officielle, celle, en l’occurrence, de leurs ennemis, qui fut donnée lors des séances dramatiques des 31 mai-2 juin 1793, soit confrontée à d’autres récits. Et ils rappellent que le procès-verbal officiel, rédigé « à trois reprises », n’est pas fidèle. Ils réfutent enfin l’accusation mêlée de royalisme et de fédéralisme, imputation en soi contradictoire et incohérente :

À l’égard du fédéralisme, il n’y a qu’à publier notre déclaration [16], le dévouement le plus invariable à la gloire de la Convention nationale, le respect le plus profond pour les lois établies par elle, et spécialement pour l’unité et l’indivisibilité de la République : tous ces sentiments y sont manifestés avec franchise et exprimés sans nuages (…) les tyrans ont eu constamment recours à certaines dénominations odieuses, à de vains noms qui, répétés sans cesse et jamais expliqués, semblaient désigner de grands crimes et n’étaient réellement que les mots d’ordre des assassinats. La funeste puissance de ces expressions magiques est un vœu secret d’oppression, une tradition de tyrannie que les bourreaux de l’humanité se sont transmise de siècle en siècle. (…) Aisément la crédulité reçoit l’illusion fatale que ces noms sont destinés à produire, moins on comprend, plus on soupçonne : l’ignorance hait avec fanatisme, elle égorge avec fureur [17]

 

La Terreur

Ces réflexions  balaient à nos yeux les tortueuses allégations de Saint-Just, puis de Amar et de Fouquier-Tinville, auxquelles  l’historiographie robespierriste a donné crédit. Cette mise au point de Mercier, comme celles de Lanjuinais et de tant d’autres députés républicains rescapés des persécutions, ne semble pas avoir été prise en compte par l’historiographie robespierriste. Les arguments et documents fournis par les Girondins permettent pourtant de mettre en balance la sincérité républicaine des Girondins avec le machiavélisme de leurs adversaires montagnards, qui réussirent à les charger de ce dont eux-mêmes s’étaient précisément rendus coupables, la division fratricide des Républicains :

Combien, disaient Mercier et ses collègues, ce déchirement funeste aurait dû être attribué aux séditieux de la Municipalité et du Club central, aux Hébert, aux Hanriot, aux Couthon, aux Robespierre. Car voilà en effet ceux qui ont donné le signal du fédéralisme[18]

 

Dans cette tragédie qui a fait couler tant de sang républicain, tout l’échafaudage « robespierriste » destiné à criminaliser les Girondins repose sur la manipulation d’une  opinion publique égarée ou terrifiée, confirmant que la période à juste titre nommée « Terreur » a véritablement commencé trois mois exactement avant sa mise officielle à l’ordre du jour (le 5 septembre 1793), lors de la chute de la Gironde, journée historique s’il en est, égale en importance au 9 thermidor an II ou au 18 brumaire an VIII.

 

Révolution française, les Girondins, la Terreur, les Girondins à la veille de leur exécution

Henri Emmanuel Philippoteaux, Les députés Girondins à la veille de leur exécution, le 31 octobre 1793 (dépôt du Musée de la Révolution à Vizille).

 

 

En attendant la suite de l'article d'Olivier Blanc sur Olympe de Gouges et Robespierre, vous pouvez lire, sur Féministes en tous genres un ensemble d’articles et d’entretiens sur l’autrice[19] de la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne :

 

- entretiens avec Olivier Blanc :

Olympe de Gouges, une résistante à la Terreur ; compléments 

(extraits de l'ouvrage d'Olivier Blanc) ; 

Olympe de gouges était-elle royaliste ? 


- Articles d'Olivier Blanc

Olympe de Gouges, une femme persécutée qui n'avait que de l'humanité à opposer au cynisme

Olympe de Gouges, une féministe, une humaniste, une femme politique


Article de Geneviève Fraisse : Olympe de Gouges et la subversion dans l'histoire

Entretien de Graciela Barrault avec Geneviève Fraisse (vidéos)

Olympe de Gouges, auteure autodidacte ; 

La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne commentée par Geneviève Fraisse

Entretien de Sylvia Duverger avec Geneviève Fraisse : Olympe de Gouges et la symbolique féministe


Article de Sylvia Duverger : "J'ai tout prévu, je sais que ma mort est inévitable"


Sur la question de la panthéonisation 

Mona Ozouf, Rousseau, Olympe de Gouges et trois résistantes, par S. Duverger et O. Blanc

Catherine Marand-Fouquet, Des femmes au Panthéon : Mona Ozouf a encore frappé


Sur le Musée virtuel Olympe de Gouges 2.0, entretien avec Graciela Barrault (1) et (2)


Pièces de théâtre sur Olympe de Gouges

Terreur Olympe de Gouges d'Elsa Solal, mise en scène par Sylvie Pascaud 


Olympe de Gouges porteuse d'espoir, d'Annie Vergne et de Clarissa Palmer

Entretien avec Clarissa Palmer : Olympe de Gouges se permettait de changer d'avis 

 

 



[1]« Olympe de Gouges au Tribunal révolutionnaire », in Olympe de Gouges, Écrits politiques, II, éditions Côté Femmes, 1993, p. 255.

[2] Stéphane-Pol, De Robespierre à Fouché, Notes de police, p. 44-45.

[3] Olympe de Gouges, Écrits politiques, I, Côté femme, 1993, p. 18-19. L’allusion de Brissot aux « insectes » n’est compréhensible que s’il s’agit d’une métaphore révélatrice du mépris dans lequel Brissot tenait Robespierre et ses suiveurs.

[4]Ibid., II, p.149.

[5]Compte moral rendu et dernier mot à mes chers amis, par Olympe de Gouges, à la Convention nationale et au peuple, sur une dénonciation faite contre son civisme aux Jacobins par le sieur Bourdon, Paris, novembre 1792.

[6] Actuel 29, route de la Chappe. La maison semble avoir subi des modifications importantes. La transaction s’était faite par l’intermédiaire du notaire Lejuge à Tours. Cette maison, qu’Olympe de Gouges avait partiellement meublée, fut vendue comme bien national en 1794 (Voir les travaux de René Caisso sur les biens nationaux dans le district de Tours).

[7] Olympe de Gouges, Arrêt de mort que présente Olympe de Gouges contre Louis Capet, in Écrits politiques, II, op. cit.,  p. 203.

[8] Robespierre passe pour humain pour avoir fait valoir les inconvénients qu’il y aurait à faire admettre par l’opinion publique – qui s’en serait peut-être ému -, l’exécution en une seule fois,  le 31 octobre 1793,  de plus d’une centaine de Girondins mis en accusation d’après un rapport rédigé et soumis à la Convention par Amar. On  laissa donc soixante-seize de ces députés en prison car il ne fut pas question de les libérer. Sans le 9 thermidor, ils auraient été sacrifiés par les comités alors sous l’influence de Barère qui avait instamment réclamé leur tête.

[9] Cette dernière commission fut dissoute avec l’arrestation des Girondins. La  préoccupation des Montagnards fut essentiellement de faire perquisitionner chez eux et de récupérer tous les papiers ou archives relatifs aux différentes commissions girondines, à certains de leurs membres, et tout ce qui pouvait intéresser les anciens administrateurs de la Commune du 10 août 1792 et leur rôle entre cette date et les massacres de septembre 1792. Les papiers de Roland (ex-ministre de l’Intérieur), de Pétion, de Brissot et de Vergniaud furent particulièrement recherchés. Plusieurs Girondins réussirent néanmoins à sauvegarder une partie de leurs archives et de celles de ces commissions, qui furent partiellement publiées.

[10] Successivement ministre de la guerre calamiteux (« il a fait plus de dégât au pays que les armées de la coalition », disait de lui le député Louis-Sébastien Mercier (Nouveau Paris, 1798), puis maire de Paris, Pache fut le mentor de Hébert, Bouchotte, Vincent et Ronsin, fauteur de guerre civile, et vraisemblablement vendu à la contre-révolution comme le pensaient les Girondins (voir Coste d’Arnobat les Anecdotes curieuses et peu connues, Genève,  1793). Recommandé par Mirabeau et son entourage à Roland, qui le recommanda à son tour et sans se méfier, Pache trahit Roland et poussa les Girondins à l’échafaud. La question se pose de savoir quels étaient ses rapports exacts avec le comte Raymond de Lamark d’Arenberg, le « mauvais génie » de Mirabeau, qui était le demi-frère de Mme Pache. Cette dernière était la fille naturelle de la comtesse de Lamark et du duc de Castries, un des principaux chefs de l’émigration et le pire ennemi de la Révolution.

[11] Voir Vergniaud, député du département de la Gironde à Barère et à Robert Lindet, membres du Comité de salut public de la Convention nationale, brochure datée du 23 juin 1793, adressée par lettre en date du 24 juin 1793 à la Convention. Ces documents très précieux sont conservés sous la cote des Archives nationales W 193.

[12] Dans sa défense (op. cit., p. 6) Vergniaud écrivait à ce sujet : « Vous avez, dans les dilapidations effrayantes du ministère de la Guerre (menées par Pache puis Bouchotte, précision d’O. Blanc), une liste civile qui vous fournit les moyens de combiner de nouveaux mouvements et de nouvelles atrocités ». Voir aussi, sur Pache,Coste d’Arnobat, les Anecdotes curieuses et peu connues, op. cit.

[13] Voir les Mémoires de Mme Roland, édition par Dauban.

[14]Écrits politiques, II, op. cit., p. 251.

[15] La Commune disposait de la force armée, celle de la garde nationale dirigée par ses affidés (Santerre puis Hanriot).

[16] Référence à un « projet d’adresse des Girondins », inédit, conçu par eux après l’arrestation de leurs collègues le 2 juin, « dans l’intention de concourir au rétablissement de la Tranquillité publique », et qui fut le prétexte à l’arrestation de plusieurs d’entre eux. On reprocha en effet, à ces Girondins arrêtés, ce projet présenté comme une « protestation dangereuse et criminelle contre les lois ».

[17] Dusaulx, Mercier etc., Les Douze représentants du peuple détenus à Port-Libre à leurs collègues siégeant à la Convention, le 16 vendémiaire an II. Sur le même sujet il faut lire les publications de Bergoeing (La longue conspiration des Jacobins pour dissoudre la Convention nationale) et également les divers écrits de Lanjuinais.

[18] Pour ce qui précède voir Les douze représentants du peuple détenus à Port-Libre à leurs collègues siégeant à la Convention, le 16 vendémiaire l’an III, p. 8-14 et suivantes.

L'arrestation et le procès d'Olympe de Gouges par Olivier Blanc (dernière partie)

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Exécution de femme place de la Révolution.jpg

Exécution d’une femme place de la Révolution. Gravure anonyme (collection particulière).


Lire la première partie

Lire la deuxième partie

Lire la troisième partie

Lire la quatrième partie

 

L’arrestation d’Olympe de Gouges

Arrêtée le 20 juillet 1793 face aux grilles du palais de justice de Paris, Olympe de Gouges fut d’abord détenue dans les combles de la mairie, qui faisait office de dépôt [1]. Par une chaleur éprouvante, elle organisa sa défense. Son dossier, tel que nous l'avons exhumé des Archives nationales, comporte un certain nombre de lettres, qui furent interceptées, mais aussi le texte énergique d’une nouvelle affiche dont elle était parvenue à faire passer le manuscrit à l’extérieur de sa prison, et qui fut publiée sous le titre d’Olimpe de Gouges au Tribunal révolutionnaire.

 

Olympe de Gouges au tribunal révoolutionnaire, affiche d'Olympe de Gouges.jpg

 

Elle y relatait les motifs de son arrestation et les circonstances du premier interrogatoire qu’elle avait subi le 6 août 1793 devant le juge Jean Ardouin, en présence de Fouquier-Tinville, qui l’avaient inculpée le jour même, ordonnant son transfert à la prison de l’Abbaye.

 

FOUQUIER_TINVILLE.jpg

 

L’accusateur public Fouquier-Tinville, qu’elle dénonça dans Olympe de Gouges au Tribunal révolutionnaire.

 

Dans ce texte superbe de courage, elle ne ménageait pas plus Robespierre que Fouquier-Tinville, et elle faisait valoir son innocence comme la pureté de ses intentions de patriote intègre :

Les lois républicaines nous promettaient qu’aucune autorité ne frapperait les citoyens. Cependant un acte arbitraire tel que les inquisiteurs mêmes de l’ancien régime auraient rougi de l’exercer sur les productions de l’esprit humain, vient de me ravir la liberté au milieu d’un peuple libre. À l’article 7 de la Constitution, la liberté des opinions et de la presse n’est-elle pas consacrée comme le plus précieux patrimoine de l’homme ? Ces droits, ce patrimoine, la Constitution même ne seraient-ils que des phrases vagues et ne présenteraient-ils que des sens illusoires ? Depuis un mois je suis aux fers, j’étais déjà jugée avant d’être envoyée au Tribunal révolutionnaire par le Sanhédrin de Robespierre qui avait décidé que dans huit jours je serai guillotinée. Mon innocence mon énergie et l’atrocité de ma détention ont fait faire sans doute à ce conciliabule de sang de nouvelles réflexions ; il a senti qu’il n’était pas aisé d’inculper un être tel que moi et qu’il lui serait difficile de se laver d’un semblable attentat, il a trouvé plus naturel de me faire passer pour folle. [2]


D'une prison à une autre

   De la prison de l’Abbaye elle réclama des soins pour une blessure à la jambe, conséquence d’une chute quelle avait faite les jours précédant son arrestation. On la transféra début septembre à l’infirmerie de la Petite Force, rue Pavée, puis elle obtint trois semaines plus tard d’être admise dans une maison dite de santé, en fait une prison où les prisonnierEs étaient régulièrement rançonnéEs [3].  La veille du procès des Girondins, le 29  octobre 1793, elle reçut son acte d’accusation et fut transférée à la Conciergerie, anti-chambre du Tribunal révolutionnaire.


petite force Olympe de Gouges.jpg

La Petite Force, dans le quartier du Marais à Paris, est la prison (aujourd'hui disparue) où Olympe de Gouges fut détenue avant son procès, gravure du XIXe siècle.


 

 

Un faux procès

   Le samedi 2 novembre 1793, elle comparut seule à 7 heures dans la salle dite de l’Égalité, que présidait Herman, créature de Robespierre, et Naulin, qui, substitut de Fouquier-Tinville, lut l’acte d’accusation. Elle n’avait ni témoins à décharge [4] , ni avocat, tandis que les jurés étaient pour plus de la moitié des amis, et même des intimes de Robespierre, tels les citoyens Duplay, Fauvelle, Auvray, Nicolas, Châtelet etc., que nous avons évoqués précédemment.

Elle exprime son étonnement de ne pas être assistée d’un avocat, le président Herman lui répond avec cynisme que, si elle a su manifester de « l’esprit » pour défendre ses « amis » (c’est-à-dire les Girondins) elle doit en avoir « de reste » pour se défendre elle-même [5].

Cette infraction à la procédure, qui prévoyait qu’elle serait assistée d’un avocat, montre à elle seule que ce procès était une mascarade, comme d’ailleurs la plupart des procès politiques du Tribunal révolutionnaire de l’an II, que seuls certains historiens robespierristes s’obstinent à regarder comme équitables.

Après qu’elle a décliné son identité – « Marie-Olympe de Gouges, 38 ans [6], née à Montauban » –, le greffier fait lecture de l’acte d’accusation. Le défilé des témoins n’apporte rien de nouveau. Le président interroge l’accusée, qui répond avec habileté, protestant, comme lors de son premier interrogatoire, de la pureté de ses intentions et de son patriotisme connu de tous.

« Par des phrases oratoires », elle persiste à déclarer qu’elle a toujours été « bonne citoyenne » et n’a « jamais intrigué ». Elle rappelle qu’elle s’est ruinée pour défendre les principes de la Révolution. Puis elle ajoute qu’elle voudrait pouvoir montrer son cœur aux jurés pour qu’ils jugent de la sincérité de son patriotisme. Pendant que Naulin résume les charges qui pèsent sur elle, les agrémentant d’extraits décontextualisés de ses écrits [7], elle  prend l’assistance à témoin de sa désapprobation par quelques mimiques expressives, haussant les épaules ou levant les yeux au ciel.

Après délibération des jurés qui, soulignons-le à nouveau, étaient pour les plus influents d’entre eux des intimes de Robespierre, elle fut reconnue comme étant l’auteure du placard intitulé Les Trois urnes, par un voyageur aérien, et jugée coupable d’intentions « perfides et criminelles ». On l’accusa aussi d’avoir « versé du fiel » sur des représentants, en l’occurrence Robespierre et Marat (mort à cette époque), les seuls élus qu’elle eût mis directement en cause dans ses écrits d’octobre et novembre 1792.


Conciergerie, départ des condamnées à mort..jpg

Ce dessin du XIXe siècle restitue la Conciergerie au moment du départ des condamnéEs, bras liés, col échancré et nuque dégagée, vers les charrettes de la guillotine.


À l’issue de la lecture du jugement par le président, la sentence tombe : condamnation à la peine de mort immédiatement exécutoire, place de la Révolution [8], où l’échafaud était dressé en permanence.

Sénar, un agent du Comité de sureté générale (la police politique) estima que « si on n’eût rétréci sa défense et si on ne l’eût comme obscurcie, elle avait disposé en sa faveur l’auditoire et confondu le Tribunal ». Quant à Charles-Henri Sanson, le bourreau, il confirma son courage insigne :

 Cette femme avait eu le tort de provoquer le ressentiment de ses juges. Pendant les débats, elle leur avait tenu tête ; elle les avait taxés d’ineptie et de mauvaise foi ; elle leur avait reproché de n’être que des ambitieux qui aspiraient à la fortune et au pouvoir, tandis qu’elle, au contraire, s’était ruinée pour propager les principes de la Révolution. [9]

exécution.jpg

 

Cette photographie d'une exécution (vers 1850) n'est pas un montage et évoque assez bien la scène de l'exécution d'Olympe de Gouges en 1793.


Quelle valeur donner au jugement d’Olympe de Gouges ? Toute sa vie politique, et de nombreux témoignages, dont ceux du député Louis Sébastien Mercier [10] ou du poète Michel de Cubières [11], membre de la Commune, prouvent qu’elle était une patriote exemplaire, ennemie du sang, de la violence [12] et de la guerre civile qu’on l’avait accusée de vouloir allumer.

Son procès fait suite à celui des Girondins, dont la défense fut elle aussi empêchée. Il précède celui dont Danton, entre autres, fut victime et qui ne fut pas plus équitable [13].

C’est donc bien à l’assassinat d’Olympe de Gouges que le Tribunal révolutionnaire a procédé, le revêtant d’un travestissement juridique destiné à faire illusion [14]. 

 

Pour en savoir plus, sur Féministes en tous genres, vous pouvez lire des articles et des entretiens consacrés à Olympe de Gouges

 

Entretiens avec Olivier Blanc :

Olympe de Gouges, une résistante à la Terreur ; compléments 

(extraits de l'ouvrage d'Olivier Blanc) ; 

Olympe de gouges était-elle royaliste ? 

Articles d'Olivier Blanc

Olympe de Gouges, une femme persécutée qui n'avait que de l'humanité à opposer au cynisme

Olympe de Gouges, une féministe, une humaniste, une femme politique

 

Article de Geneviève Fraisse : Olympe de Gouges et la subversion dans l'histoire

Entretien de Graciela Barrault avec Geneviève Fraisse (vidéos)

Olympe de Gouges, auteure autodidacte ; 

La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne commentée par Geneviève Fraisse

Entretien de Sylvia Duverger avec Geneviève Fraisse : Olympe de Gouges et la symbolique féministe



Article de Sylvia Duverger : "J'ai tout prévu, je sais que ma mort est inévitable"



Sur la question de la panthéonisation 

S. Duverger, O. Blanc Mona Ozouf, Rousseau, Olympe de Gouges et trois résistantes

Catherine Marand-Fouquet, Des femmes au Panthéon : Mona Ozouf a encore frappé

 

Sur le Musée virtuel Olympe de Gouges 2.0, entretien avec Graciela Barrault (1) et (2)

Pièces de théâtre sur Olympe de Gouges

Terreur Olympe de Gouges d'Elsa Solal, mise en scène par Sylvie Pascaud 

Olympe de Gouges porteuse d'espoir, d'Annie Vergne et de Clarissa Palmer

Entretien avec Annie Vergne

 Entretien avec Clarissa Palmer : Olympe de Gouges se permettait de changer d'avis 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] A l’emplacement de l’actuelle Préfecture de police de Paris.

[2]Olympe de Gouges au Tribunal révolutionnaire (affiche conservée aux Archives nationales W293 dossier 210).

[3] Les transferts s’organisaient par l’intermédiaire d’avocats véreux, comme le citoyen Lainville, attachés au Tribunal révolutionnaire moyennant des pots-de-vin parfois considérables que se partageaient ceux, y compris Fouquier, qui signaient les ordres de transfert ; voir Olivier Blanc, « Les maisons de santé sous la Terreur », La Cité, Société historique et archéologique des IIIe, IVe et XIe arrondissements de Paris. Nouvelle série, no 12, décembre 1993, p. 55-74.

[4] N’étaient présents que des citoyenNEs susceptibles de prouver qu’elle était l’auteure de l’affiche Les Trois urnes, ce qu’elle n’avait jamais nié : les citoyenNEs Prévôt, colporteur, Longuet, marchand de papier, et Meunier, afficheuse de la Commune). Ni Jean-Pierre Costard, qui l’accompagnait, ni aucun de ceux qui eussent pu témoigner de la sincérité de ses intentions démocratiques et de la pureté de son patriotisme ne furent appelés à la barre.

[5] Voir l’article d’Yves Laurin « Le procès d’Olympe de Gouges » paru dans La semaine du droit, n° 43, 21 octobre 2013.

[6] Elle avait 45 ans. Sur ses passeports de 1792 et 1793, elle se rajeunissait, s’octroyant cinq ans de moins que son âge réel.

[7] Entre autres, un extrait d’une de ses pièces de théâtre manuscrite (« La France sauvée ou le tyran détrôné », in Olympe de Gouges, Théâtre politique, Côté femmes, 1993, p.183, préface et édition de Gisela Thiele-Knobloch), dont on sortit un commentaire qu’Olympe avait prêté à Marie-Antoinette, pour le lui faire endosser comme s’il exprimait son opinion propre. 

[8] L’actuelle place de la Concorde.

[9]Louis-François L’héritier mit en ordre et publia des notes laissées par le bourreau Henri Sanson. Cet énoncé sur la fortune et le pouvoir a été censuré dans le compte-rendu officiel du procès tel qu’on le trouve dans Tisset, Compte rendu aux Sans-culottes de la république française, par très-haute, très-puissante et très-expéditive dame Guillotine, etc. Paris, an II (1793) et dans les Procès fameux de la Révolution, par Nicolas-Toussaint Des Essarts, publiés en l’an V (1797), lequel s’inspire du Compte-rendu de Tisset, mais aussi de Dulac, Le glaive vengeur, an II.

[10] Il écrit d’elle dans le Journal de Paris du 17 février 1793 Quand les despotes sont armés, l’inaction et le silence accusent le citoyen. Il faut combattre pour la liberté ou entretenir par ses écrits le feu du patriotisme. Personne ne s’est plus empressé de payer cette dette sacrée que la républicaine Olympe de Gouges.

[11] Poète, membre fondateur de la loge maçonnique des Neuf sœurs à laquelle appartenait Mercier, Michel de Cubières, fut l’amant de Fanny de Beauharnais et l’ami fidèle d’Olympe de Gouges. Il lui dédia un hommage lu publiquement au Lycée, dans l’ancien manège du Palais-Royal, en juillet 1792. Ce texte fut publié l’année suivante sous le titre Les abeilles, ou l'heureux gouvernement, lu au Lycée d'Orléans le 4 juillet 1792, précédé d'une épître à Marie Olympe de Gouges, Paris, 1793.

[12] Bernardin de Saint-Pierre, frappé par son apologie régulière de la non-violence, l’avait surnommée l’ange de paix. Voir Olivier Blanc, Olympe de Gouges, Des droits de la femme à la Guillotine, Tallandier, 2014, p. 174.

[13] On prétexta chaque fois le « comportement » des accusés pour clore prématurément les débats qui se firent en partie à huis-clos.

[14] Il est regrettable que, sans tenir compte des conclusions d’Henri Wallon, Gérard Walter, historien du Tribunal révolutionnaire et de Marat, n’ait pas davantage nourri sa réflexion des centaines de témoignages de témoins cités au procès de Fouquier-Tinville. Ces témoins sont nombreux à évoquer des « faits ordinaires transformés en délits contre-révolutionnaires », des « assassinats revêtus des formes juridiques » et même un « système de dépopulation ». Voir quelques extraits significatifs de cette procédure fleuve, d’une lecture éprouvante, proposés par Buchez et Roux dans leur Histoire parlementaire de la Révolution, tome XXXIV, 1837.

 

Olympe de Gouges au Panthéon : Action !

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Olympe de Gouges

Portrait d'Olympe de Gouges, collection particulière. D. R.


Nous avons été nombreuses - et nombreux - à nous mobiliser l’an dernier pour qu’Olympe de Gouges entre au Panthéon. Mais nos espoirs, pourtant encouragés par les sondages d’opinion qui tous la donnaient victorieuse, ont été déçus. Cette année, un collectif se met en place autour de l’historienne Catherine Marand-Fouquet, qui avait demandé, dès 1989, la panthéonisation d’Olympe de Gouges. 

Rendez-vous, le lundi 3 novembre 2014

à 15 heures devant le Panthéon,

avec au moins autant de monde qu’en 1993. Et cette fois encore, Catherine Marand-Fouquet suggère de venir avec une fleur en signe de ralliement. Cette initiative sera renouvelée chaque année, jusqu’à la victoire.

À cette occasion, les éditions Cocagne* et le Groupe Français d’Éducation Nouvelle proposent de se retrouver dès le samedi 1er novembre à partir de 18 heures, 4 rue de Saint-Petersbourg, dans le huitième arrondissement (derrière la gare Saint-Lazare) au Théâtre Octave et Arpège. De 18 h 30 à 22 h 30, sera relevé le défi lancé par Olympe de Gouges à Beaumarchais, qui l’accusait de ne pas être l’auteur de ses écrits. Elle proposait de se laisser enfermer pendant une nuit avec du papier, de l’encre et une plume. « Je gage donc de composer en présence de Tout Paris, assemblé s’il se peut dans un même lieu, une pièce de théâtre sur tel sujet qu’on voudra me donner ou de mon invention quand on me prendrait même au dépourvu ». C’est ainsi que débutera la Nuit Olympe. Les candidat(e)s plancheront jusqu’à 22 h 30 dans le cadre d’un atelier d’écriture d’un genre inédit à ce jour, animé par Michel Ducom.

 

Ce rendez-vous du samedi ne concerne que les personnes participant à l’atelier d’écriture. Les fumeurs devront obligatoirement s’abstenir car il sera impossible de faire des allées et venues dans les parties communes de l’immeuble.

Les inscriptions sont reçues jusqu’au 20 octobre.

À 14 heures, le dimanche, «Tout Paris » sera invité à entendre le compte-rendu des travaux de la soirée, en présence de Catherine Marand-Fouquet et d’Olivier Blanc dont la quatrième édition de sa biographie d’Olympe de Gouges a été publiée en janvier dernier. Puis on écoutera toutes celles et tous ceux venus de France et d’ailleurs, exposer leur travail passé, présent ou à venir sur Olympe de Gouges.

 

l’inscription est recommandée pour des raisons d’organisation et de places limitées.

Association des éditions Cocagne* : Betty Daël, présidente - 06 83 80 83 50 - beatrice.dael@wanadoo.fr 

Groupe Français d’Éducation NouvelleMichel Ducom, secrétaire -

06 76 29 78 83 -mducom.gfen@gmail.com


Féministes en tous genres a publié plusieurs articles et entretiens consacrés à Olympe de Gouges en accès libre

La panthéonisation 


Entretien de Sylvia Duverger avec Geneviève Fraisse


Olympe de Gouges et la symbolique féministe


S. Duverger, O. Blanc 

Mona Ozouf, Rousseau, Olympe de Gouges et trois résistantes


Catherine Marand-Fouquet

Des femmes au Panthéon : Mona Ozouf a encore frappé



Les pièces de théâtre sur Olympe de Gouges


Terreur Olympe de Gouges d'Elsa Solal, mise en scène par Sylvie Pascaud

 

Olympe de Gouges porteuse d'espoir, d'Annie Vergne et de Clarissa Palmer


Entretien avec Annie Vergne


Entretien avec Clarissa Palmer : Olympe de Gouges se permettait de changer d'avis 



Sur Olympe de Gouges

 


Entretiens avec Olivier Blanc 

Olympe de Gouges, une résistante à la Terreur ; compléments 

(extraits de l'ouvrage d'Olivier Blanc) ; 


Olympe de gouges était-elle royaliste ? 



Articles d'Olivier Blanc


Olympe de Gouges, une femme persécutée qui n'avait que de l'humanité à opposer au cynisme


Olympe de Gouges, une féministe, une humaniste, une femme politique


L'arrestation et le procès d'Olympe de Gouges (dernière partie d'un entretien qui

explore l'opposition Robespierre/Olympe de Gouges, les parties précédentes sont

accessibles à partir de celle-là)

 

Article de Geneviève Fraisse


Olympe de Gouges et la subversion dans l'histoire


Entretien de Graciela Barrault avec Geneviève Fraisse (vidéos)


Olympe de Gouges, auteure autodidacte 


La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne commentée par

Geneviève Fraisse

 


Article de Sylvia Duverger


"J'ai tout prévu, je sais que ma mort est inévitable"


 

Présentation du Musée virtuel Olympe de Gouges 2.0


Entretien avec Graciela Barrault (1) et (2)



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*voir le site www.cocagne-editions.fr pour en savoir plus et, notamment, sur la publication en cours des œuvres complètes.

Républicaine, féministe, antiraciste, Olympe de Gouges au Panthéon ! Olivier Blanc répond à Najat-Vallaud Belkacem

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Olympe de Gouges

Olympe de Gouges, collection privée, D. R.


L'historien Olivier Blanc répond au discours prononcé par Najat Vallaud Belkacem, ministre de l'Education, aux Rendez-vous de Blois, le 10 octobre dernier.

Olivier Blanc est l'auteur de la première et de la plus exhaustive des biographies d'Olympe de Gouges (dernière réédition : Olympe de Gouges, des droits de la femme à la guillotine, Tallandier, 2014).


Quand les politiques veulent instrumentaliser ou récupérer les personnages historiques à leur profit, il est rare qu’ils ne disent pas de bêtises. Ainsi, récemment, on a entendu une ministre de l’Education nationale énoncer froidement aux Rendez-vous de l’Histoire de Blois, qu’Olympe de Gouges était « royaliste », ajoutant : « nul n’est parfait ».  De quel « royalisme » parle-t-elle ? Chacun sait que ce mot a deux sens antagonistes : monarchie constitutionnelle ou monarchie absolue ? Mystère.

Mais Olympe de Gouges a tourné le dos au despotisme monarchique dès 1789 et elle a prouvé, dans ses écrits [1] que je recommande à Mme Vallaud-Belkacem, qu’elle n’a jamais cessé d’être une démocrate exemplaire attachée à la Déclaration des droits de l’Homme, sans oublier les droits de la femme et de la citoyenne, qu’elle a formulés et soumis à l’Assemblée nationale et au roi constitutionnel, Louis XVI, le 15 septembre 1791. Après la chute de la monarchie, on a rendu hommage à son républicanisme, ainsi le député Louis Sébastien Mercier dans le Journal de Paris du 17 février 1793 :

« Quand les despotes sont armés, l’inaction et le silence accusent le citoyen. Il faut combattre pour la liberté ou entretenir par ses écrits le feu du patriotisme. Personne ne s’est plus empressé de payer cette dette sacrée que la républicaine Olympe de Gouges ».

A l’époque du procès de Louis XVI, qu’elle reconnut coupable, elle voulut lui épargner l’échafaud comme presque la moitié de la Convention composée de députés républicains.

Par ailleurs, elle a été condamnée puis décapitée sous la Terreur comme complice des députés Girondins qui, tels Vergniaud, Buzot, Mercier et Barbaroux, étaient de grands républicains, respectueux des valeurs qui fondent la République (Etat de droit, liberté d’expression, de réunion, de circulation, transparence financière des élus, etc.). Et ils sont morts en défendant ces libertés. Il faut enfin aussi souligner que c’est aux Girondins humanistes, démocrates exemplaires et véritables pionniers des droits humains dès 1788 – tels Villette, Lanjuinais, Guyomar, Pétion, Brissot, Condorcet, Grégoire et Olympe de Gouges, etc. –, que l’on doit les plus belles interventions de défense des droits des NoirEs esclaves dans les colonies, et de ceux des femmes. Malheureusement, comme souvent l’ignorance, et parfois le suivisme irréfléchi favorisent les imputations mensongères, et à terme le révisionnisme historique. La ministre des Droits des femmes s’était déclarée favorable à la panthéonisation d’Olympe de Gouges, après une représentation de la pièce d’Elsa Solal au théâtre du Lucernaire. Désormais qu’elle est devenue ministre de l’Éducation, nous comptons sur elle pour favoriser l’enseignement de l'histoire des femmes, et, en particulier, la connaissance de la vie et de l’œuvre d’Olympe de Gouges.

Serez-vous des nôtres, Madame la ministre, lundi 3 novembre 2014, devant le Panthéon, pour demander avec nous qu’Olympe de Gouges y soit admise en tant que républicaine, féministe, anti-esclavagiste, antiraciste et, pour tout dire, en tant qu'humaniste ?

Olivier Blanc


J'en profite pour rappeler que, le 3 novembre, à l'initiative de l'historienne Catherine Marand-Fouquet, nous nous rassemblerons devant le Panthéon à 15 H pour demander à nouveau qu'Olympe de Gouges y fasse son entrée. Et le 2 novembre, à partir de 14 h, des spécialistes d'Olympe de Gouges, feront part de leurs travaux au Théâtre Octave et Arpège à Paris (4, rue de Saint-Petersbourg, dans le huitième arrondissement, derrière la gare Saint-Lazare). Plus de renseignements ici.

En complément, lire ou relire l'entretien de Sylvia Duverger avec Olivier Blanc, Olympe de Gouges était-elle royaliste ?

La documentariste Graciela Barrault, qui a créé le musée virtuel Olympe de Gouges 2.0,  a mis en ligne récemment un entretien filmé avec Olivier Blanc sur ce sujet :

Olympe de Gouges royaliste ? from Graciela Barrault on Vimeo.

 

Féministes en tous genres a publié plusieurs articles et entretiens consacrés à Olympe de Gouges :

La panthéonisation 


Entretien de Sylvia Duverger avec Geneviève Fraisse


Olympe de Gouges et la symbolique féministe


S. Duverger, O. Blanc 

Mona Ozouf, Rousseau, Olympe de Gouges et trois résistantes


Catherine Marand-Fouquet

Des femmes au Panthéon : Mona Ozouf a encore frappé



Les pièces de théâtre sur Olympe de Gouges


Terreur Olympe de Gouges d'Elsa Solal, mise en scène par Sylvie Pascaud

 

Olympe de Gouges porteuse d'espoir, d'Annie Vergne et de Clarissa Palmer


Entretien avec Annie Vergne


Entretien avec Clarissa Palmer : Olympe de Gouges se permettait de changer d'avis.


Sur Olympe de Gouges

 


Entretiens avec Olivier Blanc 

Olympe de Gouges, une résistante à la Terreur ; compléments 

(extraits de l'ouvrage d'Olivier Blanc) ; 


Olympe de gouges était-elle royaliste ? 



Articles d'Olivier Blanc


Olympe de Gouges, une femme persécutée qui n'avait que de l'humanité à opposer au cynisme


Olympe de Gouges, une féministe, une humaniste, une femme politique


L'arrestation et le procès d'Olympe de Gouges (dernière partie d'un entretien qui

explore l'opposition Robespierre/Olympe de Gouges, les parties précédentes sont

accessibles à partir de celle-là)

 

Article de Geneviève Fraisse


Olympe de Gouges et la subversion dans l'histoire


Entretien de Graciela Barrault avec Geneviève Fraisse (vidéos)


Olympe de Gouges, auteure autodidacte 


La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne commentée par

Geneviève Fraisse

 


Article de Sylvia Duverger


"J'ai tout prévu, je sais que ma mort est inévitable"


 

Présentation du Musée virtuel Olympe de Gouges 2.0


Entretien avec Graciela Barrault (1) et (2)


 

 



 



[1] Olympe de Gouges, Ecrits politiques, Editions Côté-femmes, présentés par Olivier Blanc, Paris, 1993 (2 volumes).

Sade était-il un libertin ou un criminel ? par Olivier Blanc

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Martyre Jean Bellegambe

Jean Bellegambe, "le martyre de sainte Barbe", 1528 (détail),

Musée de la Chartreuse, Douai.


Auteur de nombreux ouvrages sur la Révolution française, spécialiste mondialement reconnu de la vie et de l’œuvre d’Olympe de Gouges, mais aussi de l’histoire du libertinage, Olivier Blanc adresse aux « thuriféraires du marquis de Sade » une lettre qu’il nous a paru des plus nécessaire de publier en ces temps de sado-idolâtrie débridée.

Sylvia Duverger

Sade était-il un libertin ou un criminel ? En marge de l'exposition qui lui est consacrée au musée d'Orsay.

Je suis surpris de la patience avec laquelle le public, plus ou moins féministe, supporte les contre-vérités sans nombre et les interprétations fallacieuses dont font l’objet les faits et gestes du marquis de Sade. Depuis les surréalistes qui ont, si l’on peut dire, remis le personnage à la mode, on assiste à une multitude de productions idolâtres, littéraires, théâtrales ou médiatiques (du Figaro [1] au Monde [2]) rendant hommage au divin marquis. Il aurait  secoué le joug de l’oppression, celle qui écrase les corps et les esprits, et à lui seul porté l’oriflamme de la liberté.

Mais tout ce qui est actuellement raconté de Sade, dont le nom appartient aux grandes impostures nationales, qu’elles soient historiques ou intellectuelles, réside dans l’omission calculée des faits ou relève de leur interprétation abusive. Or ces tentatives de réhabilitation entreprises à des fins commerciales atteignent aujourd’hui des proportions telles qu’il devient nécessaire de faire le point sur ce personnage en s’appuyant a minima  sur la méthode historique – plutôt que sur ses textes à lui -, et en premier lieu sur la prise en compte du contexte.

Lorsqu’il fut arrêté sous la Révolution, le 5 décembre 1793, Sade avait acquis la réputation d’être un menteur patenté. Et à cette époque où sévissait la loi des suspects, sa femme et sa belle-famille Cordier de Montreuil, ses « complices » de toujours, n’avaient plus les moyens d’étouffer la nouvelle accusation des Sans-culottes parisiens qui visait leur protégé.  Dans le tableau du comité de surveillance de la section des  Piques, dont dépendait son lieu de résidence, les révolutionnaires avaient exprimé leurs réserves sur la duplicité du ci-devant marquis qui, de façon momentanée, avait réussi à se faire élire président :« Depuis le 10 août, date à laquelle il a passé à la section, il n'a cessé d'y contrefaire le patriote. Mais ceux-ci (les patriotes) n'en étaient pas la dupe » [3]. Les biographes de Sade et notamment Maurice Lever, ont abondamment montré que Sade ne fut ni un défenseur des idées nouvelles ni un admirateur de la Révolution. Et personne, en 1792, n’était en effet dupe de ses convictions républicaines affichées ni des écrits de circonstance qu’il a publiés après la chute de la monarchie. Il se prévaut, d’abord, des Girondins démocrates, tresse des couronnes à Roland [4] et dès lors que celui-ci est en difficulté, il se tourne vers Marat [5], qui fut un des principaux artisans de la chute de la Gironde.  Comme chacun sait, il s’en est fallu de vingt-quatre heures pour que Sade ne soit pas exécuté, le jour même où Robespierre était retranché à la Commune de Paris et pris au piège. Si  Sade, dont l’acte d’accusation a bel et bien été rédigé par Fouquier-Tinville, ne fit pas partie des dernières charrettes de la guillotine, c’est à cause d’une erreur administrative, qui ne permit pas de le localiser dans la prison où il était détenu [6]. À aucun moment d’ailleurs, il faut le souligner, il n’est question de « l’immoralité » des écrits de Sade, écrits qui, selon la légende moderne, auraient justifié les poursuites judiciaires et persécutions dont il fut l’objet pendant la Révolution. De même, pour la période de l’Ancien Régime, à une époque de quasi non-droit pour les plus faibles et les plus pauvres,  ce ne sont pas les écrits de Sade qui posent problème mais son comportement de prédateur sexuel et de criminel. 

 

Un criminel

Titré et immensément riche par son mariage avec l’héritière d’une famille puissante, bénéficiant d’une incroyable indulgence de la part des siens et de protections en chaînes liées à sa caste d’origine [7], Sade en fait tant et tant que ses turpitudes remontent néanmoins jusqu’aux plus hautes sphères de l’institution policière, qui, en 1764, déconseillent aux maquerelles de Paris de lui livrer des filles [8]. L’inspecteur de police Marais, fort bien informé, écrivait en outre : « On ne tardera pas à entendre parler encore des horreurs du comte de Sade ». Informateur du comte et ministre de Sartines, qui transmettait lui-même au roi Louis XV, par bulletins réguliers, les frasques sexuelles des courtisans débauchés, Marais ne se méprend pas lorsqu’il parle d’horreurs au sujet de Sade.

Les ennuis avaient commencé pour Sade lorsqu’une de ses victimes, Rose Keller, promise à un sanglant rituel sado-masochiste à Arcueil – qui n’était certainement pas le premier en date –, avait eu la mauvaise idée de se défaire de ses liens et de lui échapper en passant par la fenêtre de la pièce où il l’avait enfermée. Et, chose encore plus extraordinaire sous l’Ancien Régime, cette jeune personne avait pu faire enregistrer son témoignage pour sévices sexuels et tentative de meurtre, même si  celui-ci fut récusé par, vraisemblablement, un faux témoignage. Car la vie de Sade tourne, dans les faits, non pas autour de ses écrits, qui n’intéressent quasiment personne au 18e siècle, mais autour de ses mensonges sans fin et aussi de l’impunité, scandaleuse aux yeux de ses contemporains, que son statut de noble, de privilégié et de gendre de l’influente famille parlementaire des Cordier de Montreuil lui procure.

À une époque où l’État de droit n’existe pas, les conclusions des affaires judiciaires sont, pour l’historien, à envisager avec beaucoup de circonspection. Il est acquis que le pouvoir monarchique, y compris la caste parlementaire, a eu tendance à protéger les siens en favorisant, par exemple, la fuite à l’étranger de ceux qui étaient prévenus de crime (parfois aussi leur internement par lettre de cachet pour leur éviter les désagréments d’un procès scandaleux et une condamnation à mort). On sait aussi qu’il livra à la roue des hommes du peuple innocents et qu’il abandonnait volontiers au gibet de jeunes servantes vaguement soupçonnées d’avoir dérobé une cuillère en argent. Les procès ou ce qui en tient lieu – sans jury populaire, reposant sur des enquêtes a minima -, que ce soit devant le Châtelet de Paris, et qui plus est devant le Parlement, celui de Paris ou en province, n’offrent aucune garantie d’équité et la certitude de pressions venues d’en haut, et éventuellement de faux témoignages destinés à neutraliser les plaintes venues d’en bas.

 

Un témoignage accablant

Les tribulations de Sade justiciable sous l’Ancien Régime n’ont donc apporté aucun éclairage significatif établissant sa culpabilité dans les disparitions de jeunes femmes (souvent des jeunes mendiantes ou prostituées alors nombreuses) et les tentatives de meurtre exercées sur les deux ou trois qui ont survécu plus ou moins indemnes (enlevant du même coup de la force à leur témoignage). Mais de quoi parle-t-on ? De fantasmes sexuels non ritualisés ou limités, où le délire des pulsions vient s’inscrire dans la souffrance bien réelle infligée par un homme et subie par une femme non consentante et séquestrée. Le témoignage de Rose Keller torturée dans une maison d’Arcueil, très détaillé, donne une idée de ce qui plaisait à Sade : saignées lentes, entailles enduites de sel ou de cire chaude, excisions et découpage de la peau, peut-être dépeçage partiel. La mort, par infection ou atteinte d’un organe vital, ne pouvait être que le terme de ces délires criminels.

Ce type de fantasmes, dont eurent connaissance ceux qui eurent pour tâche de recueillir les témoignages à Paris ou dans le village de Lacoste [9], expliquent que la justice ait voulu éviter que des procès en bonne et due forme, même à huis-clos, soient menés à leur terme, donnant inévitablement lieu à des débats contradictoires et révélant crûment ces pratiques mortifères. Moins pour protéger Sade lui-même que pour éviter que la réprobation publique - même circonscrite au monde aristocratique -, ne s’étende à sa proche famille.

 

Les Souvenirs de la marquise de Créquy

Un témoignage intéressant et peu utilisé a été publié au XIXe siècle par l’auteur des Souvenirs de la marquise de Créquy, un compilateur breton [10] et  très érudit royaliste, qui avait recueilli une masse impressionnante de documents divers sur la fin du 18e siècle et notamment des exemplaires de « nouvelles à la main ». Ces textes non autorisés sous Louis XV et Louis XVI passaient de main à main et étaient lus dans les salons littéraires ou politiques, et leur fiabilité est aujourd’hui scientifiquement reconnue plus grande que bien des écrits non censurés. Il y est question de Mme de Boulainvilliers, châtelaine de Passy, épouse du prévôt de Paris, lui-même petit fils de Samuel Bernard, et la mère de trois femmes influentes de la cour (Mmes de Faudoas, de Crussol et de Clermont-Tonnerre). Les descendants de cette dame puissante et fort estimée en son temps ne pouvaient laisser associer leur nom à quelque chose d’imprécis ou d’inexact. Si bien que ce témoignage de la marquise de Boulainvilliers, qui courait alors dans les cercles aristocratiques, conforte en tous point la véracité de celui rapporté par Rose Keller, la rescapée de Sade. Il concerne cette fois une autre femme, entravée et torturée dans une maison du village de Passy, dont les gémissements de douleur avaient d’abord alerté M. de Boulainvilliers, qui par hasard passait à proximité à une heure très matinale. Imaginant que c’était un accouchement qui se passait mal, il avait fait demander qu’on réveille sa femme pour qu’elle se rende sur place accompagnée d’un médecin. Tandis que les premiers secours étaient apportés à la victime lardée d’entailles sur la jambe partiellement écorchée, on avait fait intercepter deux individus qui se révélèrent être le marquis de Sade et son valet [11]. La mort de la victime, quelques heures plus tard, incapable, dit-on, de signer sa déposition recueillie par le bailli du marquisat de Passy, éteignit pourtant la procédure qui avait commencé sous la houlette du Président de Boulainvilliers lui-même. Sade allégua que la femme, bien qu’entravée et bâillonnée, était consentante, et que les blessures qui lui avaient été infligées étaient destinées à expérimenter, avec l’accord de celle-ci, un baume cicatrisant de sa fabrication. « Les juges d’instruction ne pouvaient l’écouter sans horreur, mais le respect des formes l’emporta sur le fond, et si le comte de Sade ne fut pas pendu, ce fut grâce à la délicatesse et à la probité magistrale de M. de Boulainvilliers. Le roy n’y perdit pas ses droits, comme de juste, et cet abominable homme est renfermé chez les frères de saint-Lazare à perpétuité, par lettre de cachet (…), n’en déplaise à ces criminels adroits contre qui les lois ou la judicature ne peuvent rien. »[12]

Il existe d’autres témoignages allant dans le même sens, notamment ceux de Jeanne Testard, de Catherine Trillet ou encore des témoins de l’affaire dite « de Marseille », qui provoqua la condamnation prévisible du marquis par contumace, jugement que sa femme cherchera à faire casser. Que conclure, sinon que Sade n’était pas un libertin mais un criminel et que dans son cas, les rares témoignages arrivés à notre connaissance ne constituent qu’une petite partie de la réalité ? Il nous paraissait utile de le rappeler ici à toutes celles et tous ceux qui par ignorance ou par calcul cherchent, en ce moment, avec des moyens très conséquents, beaucoup d’inconscience ou une insigne mauvaise foi, à réhabiliter un individu dont les Sans-culottes de la section des Piques, et nombre de ses contemporains, eux, n’avaient pas été les dupes.

Toutes les personnes qui s’adonnent aux pratiques BDSM respectent des codes convenus sur les limites à ne pas dépasser dans les jeux consentis de domination sexuelle. Ces pratiques encadrées, dont les amateurs et amatrices se sont constituéEs en associations, n’ont évidemment rien à voir avec la sexualité débridée et mortifère de Sade, mais le paradoxe est que son nom sert aussi à désigner les pratiques et jeux BDSM dits « safe ».  Cette ambiguïté sémantique est la brèche dans laquelle se sont engouffréEs les thuriféraires de Sade qui confondent violences sexistes, sexualité mortifère et audace littéraire.

 

 Olivier Blanc

Sur le libertinage et la sexualité au XVIIIe siècle, d’Olivier Blanc, l’on pourra lire, Les libertines, plaisir et liberté au temps des Lumières, Paris, Perrin 1997, prix Thiers de l'Académie française et L'amour à Paris sous Louis XVI, Paris, Perrin, 2003.

 

 

 



[1] Voir le dossier paru dans le numéro du 13 novembre 2014 où les partis pris et les omissions calculées de la commissaire de l’exposition Sade au Musée d’Orsay (Annie Lebrun) ne sont pas exagérément critiqués.

[2] Voir l’article de Michel Delon dans le Monde du 22 novembre 2014, puis l’abusive présentation de Jean Birnbaum sur Sade « un philosophe de la pensée » (5 décembre 2014).

[3]Maurice Lever, Sade, 1991, p. 521.

[4] Archives nationales, série W, carton 434, dossier 974, II, p. 87 cité par Hector Fleishman, Les Réquisitoires de Fouquier-Tinville, Paris, 1911, p. 235  Il est cité le onzième de la liste des accusés sous le nom d’Aldouze Sade demeurant rue Helvétius (actuelle rue Sainte-Anne). L’accusateur public le dénonce, entre autres, comme «  partisan du fédéralisme et le prôneur du traître Roland » et il ajoute «  il paroit que les preuves de patriotisme qu'il a voulu donner n'ont été de sa part que des moyens d'échapper à la recherche de sa complicité dans la conspiration du tyran dont il étoit le vil satellite. » (les moyens de défense étant supprimés depuis le 22 prairial an II, cette dénonciation avait valeur de réquisitoire).

[5]Il publia le 29 septembre 1793 un Discours aux mânes de Marat et de Le Pelletier, pour donner le change sur ses convictions. Voir

 http://fr.wikisource.org/wiki/Section_des_Piques.

[6] Le ci-devant marquis est arrêté et envoyé le 5 décembre aux Madelonettes  puis transféré dans deux autres prisons. Se disant malade en mars, il est transféré cette fois à la maison de santé de Picpus où il retrouve Laclos et quelques autres personnages qui, officiellement, sont en mauvaise santé. En réalité, certains pensionnaires bénéficient de protections particulières de membres des comités. D'autres, les plus nombreux, ont acheté à prix élevé, auprès d'avocats marrons qui sont les hommes de paille des administrateurs de la police politique ou de la justice révolutionnaire, leur transfert et leur maintien en maison de santé. Sade était-il si malade ? Si l’on avait diagnostiqué des crises de démence, il aurait été interné à la maison de santé Brunet et non pas à Picpus, où il échappa à la sphère d'influence de Fouquier-Tinville, qui reçut l’ordre de le faire comparaître le 9 thermidor devant son tribunal ; mais celui-ci, dans le désordre de son administration, ne parvint pas à le localiser dans l'une ou l'autre des nombreuses maisons de détention parisienne et, en marge du réquisitoire qui le condamna à mort, il fut marqué le mot « absent ». Voir Hector Fleishman, Les réquisitoires de Fouquier-Tinville, op. cit., p. 235.

[7] L’épouse de Sade était la petite fille de Claude René Cordier de Montreuil, trésorier de l’extraordinaire des guerres, qui avait accumulé dans ses fonctions une fortune colossale. D’après ses biographes, Mme de Sade, guidée par son père, riche héritier, influent conseiller au parlement de Paris et président de la 3e chambre de la Cour des aides, a toujours cherché à  intervenir dans le cours de la justice d’Ancien régime, simplement pour éviter les débats contradictoires d’un procès scandaleux, tant les crimes sanguinaires reprochés au marquis étaient attentatoires à la morale publique. Sade fut néanmoins jugé mais par contumace au parlement d’Aix.

[8] L'inspecteur Marais, toujours au fait des intrigues du grand et du petit monde, signale dans un rapport qu'il a demandé à la Brissault, pourvoyeuse très connue sur la place de Paris, de ne pas lui donner de filles (cité par Lever).

[9] Le château familial des Sade se trouvait à Lacoste dans le Vaucluse.

[10] Pierre Marie Jean Cousin, dit Maurice de Courchamp (1783-1849). Il est l’auteur des célèbres Souvenirs de la marquise de Créquy qui forment une fresque étourdissante d’érudition sur la société aristocratique sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI, dès lors que l’on laisse de côté les jugements péremptoires de l’auteur. Pierre Marie Jean Cousin brille du moins par son exactitude à décrire les usages et à identifier les protagonistes de cette société sur laquelle il avait réuni une documentation extraordinaire.

[11] Des objets le concernant avaient été trouvés sur place, dont une lettre à lui adressée dans laquelle il était question de deux corps repêchés dans un étang.

[12]Souvenirs de la marquise de Créquy, tome IV, vol. II,  p. 189.

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