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Guillaume Voiriot, L’application à l’étude, huile sur toile, 1775, collection particulière, droits réservés (oeuvre à ce jour pour la première fois reproduite).
François Hollande a panthéonisé deux résistantes, Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz, la première, fondatrice, et la seconde, membre, du réseau du Musée de l’homme. Féministes en tous genres ne peut que saluer l’entrée de ces femmes remarquables au Panthéon - en septembre dernier je demandais qu’il y soit fait place à l’une au moins des nombreuses résistantes, dont la plupart sont, pour ainsi dire, plus inconnues encore que la femme du soldat inconnu.
Reste que touTEs les partisaNEs de la panthéonisation d’Olympe de Gouges – dont je suis, cela, sans doute, n’aura échappé à personne – sont consternéEs par l’omission de cette grande femme politique, autrice, notamment, de la revendication féministe «la plus achevée» du siècle des Lumières, car sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne «prend au mot la Révolution en matière d’universalisme» .
Olympe de Gouges était arrivée en tête, devant Germaine Tillion, Louise Michel et Simone de Beauvoir, de la consultation sur le Panthéon lancée en septembre 2013 par le président du Centre des monuments nationaux, Philippe Bélaval.
Dans son rapport, Philippe Bélaval préconisait de ne panthéoniser, cette fois, que des femmes, étant donné la disparité flagrante de la reconnaissance nationale : 71 hommes (71 sépultures et un très grand nombre de nommés sur des plaques) pour 2 femmes, dont l’une, Sophie Berthelot, n’y fut admise qu’ « en hommage à sa vertu conjugale » et pour ne pas séparer ses cendres de celles de son époux.
François Hollande en a décidé autrement : plutôt que de déloger des hommes jusqu’à ce que parité il y ait – et il y en des hommes délogeables : ce ne sont pas seulement les quelque quarante comtes d’empire qui n’y sont pas légitimes, mais tous les sexistes (Rousseau, par exemple), tous les racistes, les homo-, lesbo- ou trans-phobes (il y a une recherche à faire à ce sujet) - il a opté pour une panthéonisation paritaire qui ne change presque rien à l'affaire.
Lire la synthèse de Jonathan Parienté sur Le Monde
Qui repose au panthéon ?
Les Nouvelles News, "La parité entre au Panthéon"
Il serait aisé, et nécessaire, de remplacer ces intrus par des femmes, des non-BlancHEs, des non-hétérosexuelLEs qui se soient signaléEs par une liberté volontaire, une tolérance salutaire ou une clairvoyance hors pair : Christine de Pisan, Marie de Gournay, Gabrielle Suchon, Solitude, Louise Michel, Hubertine Auclert, Simone de Beauvoir, Claude Cahun (Lucy Schwob) et Marcel Moore (Suzanne malherbe) (qui ne troublèrent pas seulement les identités genrées, mais s'engagèrent aussi de la résistance)...
Jusque-là, que l’on ne nous parle pas de parité ni de pertinence dans les intronisations au Panthéon ! Car désormais ce sont 73 hommes (et, semble-t-il seulement trois non-Blancs cités : Félix Eboué, Louis Delgrès, Toussaint Louverture, Aimé Césaire), pour seulement 4 femmes qui sont désignéEs comme des figures remarquables de l’histoire de France… Ce n’est pas ainsi, en ne panthéonisant pas une "figure emblématique du féminisme" - c'est ce titre que François Hollande décernait en juin 2013 à Olympe de Gouges - que l’on viendra à bout des inégalités. Ce n’est pas ainsi que l’on reconnaîtra que les femmes et les non-BlancHEs ont été effacéEs de l’histoire. Ce n’est pas ainsi que l’on protégera les discriminéEs en raison de leur genre, de leur couleur, de leur origine, de leur sexualité, des intolérantEs, des inégalitaires, des réactionnaires qui aujourd’hui battent le pavé, font le siège des bibliothèques, retirent leurs malheureux enfants de l’école pour mieux les tenir en laisse, en leur imposant de porter le carcan du genre prescrit …
Sylvia Duverger
Olympe de Gouges était-elle un homme ?
Entretien avec Olivier Blanc
Sylvia Duverger. Ni le terme de féminisme ni le concept de genre n'étaient en usage au XVIIIe siècle. Néanmoins il ne fait pas de doute qu'Olympe de Gouges aurait été une défenseuse de l'égalité des femmes et des hommes. Elle aurait aussi, il me semble, estimé que le genre est «une catégorie utile d'analyse» de «l’organisation sociale des relations entre les sexes», «un concept qui permet de penser la différence sociale» et les rapports de pouvoir entre hommes et femmes, ainsi que la hiérarchie entre les valeurs et les représentations qui leur sont associées (masculin et féminin). Les études de genre l’auraient certainement passionnée.
Olivier Blanc. Que oui ! La question de la contingence du genre est un des aspects importants de son engagement. Qu'importe le sexe et le genre, pour elle, ce qui compte, ce sont les choix individuels, la capacité ou l'aptitude, tels qu'on pouvait se les représenter en son temps. Olympe de Gouges rappelle dans une brochure de 1789 intitulée Action héroïque d’une Française ou la France sauvée par les femmes, que, à l’exemple des Romaines, les femmes peuvent parfaitement remplir des rôles que l'on croyait réservés aux hommes. Elle montre que la Nature, si souvent invoquée par les forces de l’obscurantisme religieux ou d’un groupe d’intérêt économique, n’a aucune part aux préjugés qui infèrent l’infériorité d’une de son sexe ou de la couleur de sa peau, préjugés des plus communs à son époque . L’histoire, qu’Olympe de Gouges invoque à l’appui de ses thèses sur le masculin et le féminin, recèle des milliers d’exemples de « femmes fortes », exemples souvent masqués par les usages nés d’une tradition religieuse où la femme est posée d’emblée, éduquée et formée comme inférieure et soumise à l’homme. Pour inviter ses concitoyenNes à s’interroger sur la relativité des rôles assignés aux genres masculin et féminin, elle montre l’exemple en s’engageant «dans la voie périlleuse où tant d’hommes ont trébuché», la politique, et, tant par foi que par défi, elle se propose tout à tour comme ambassadrice du gouvernement auprès du prince de Condé, en 1791, et comme avocate de Louis XVI l’année suivante. À cette époque, c’était courageux, car l’opinion publique n’était pas aussi éclairée qu’elle l’est aujourd’hui. Néanmoins, dans la noblesse, certaines femmes avaient officiellement exercé des fonctions de diplomates .
Qu'on laisse donc les hommes et les femmes libres de se réaliser dans ce vers quoi ils/elles inclinent, en fonction de leur capacité, de ce qu’ils/elles sont capables d’entreprendre, tel était l’avis d’Olympe de Gouges sur la question.
Or Anaxagoras (en fait Pierre-Gaspard) Chaumette, le démagogue de la Commune de Paris, partisan de la guillotine et de la Terreur, justifie l’exécution d’Olympe de Gouges au motif qu’elle a oublié les « lois de la Nature ». En fait ce que les réactionnaires d’hier (faussement révolutionnaires) et d’aujourd’hui entendent par Nature, c’est une certaine tradition engluée dans le dogmatisme judéo-chrétien. Si on devait chaque fois s’en référer à la tradition, la société ne se réformerait jamais, perdrait sa capacité à s’adapter aux changements et s’épuiserait dans des archaïsmes mortifères. Au début de la Révolution française, le débat sur le divorce, qui était un enjeu de taille pour l’église catholique – elle voyait alors son pouvoir se réduire -, a été aussi violent que, par exemple, l’a été le débat contemporain sur le « mariage pour tous ». On voit qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil et ce sont les Lumières qui chez nous semblent finalement triompher de l’obscurantisme : la majorité des FrançaisEs sont favorables à l’égalité des hommes et des femmes et à celle de tous les couples. Mais écoutons Olympe qui appelle à légiférer sur les sujets de société :
Quand après bien des siècles écoulés les mœurs d’une nation se trouvent absolument changées, il convient, il est même nécessaire de changer un ordre dont l’invariabilité n’a pour mesure que le bien qu’il produit. La sagesse de l’ancien législateur n’est point obscurcie par l’abnégation de ses lois ou par les correctifs qu’on y apporte, parce qu’il a travaillé pour son temps et que les successeurs à l’infini sont obligés de travailler pour le leur. Le passé peut servir d’exemple, mais il ne peut jamais servir de loi.
Extrait d'un entretien sur Olympe de Gouges entre Graciela Barrault, responsable du Musée virtuel Olympe de Gouges 2.0, et Olivier Blanc.
Sylvia Duverger. Vous rappelez dans Olympe de Gouges, des droits de la femme à la guillotine que Chaumette, auquel vous avez fait allusion précédemment, l’a dépeinte comme une « femme-homme », une « impudente ». Les féministes sont souvent considérées comme des viragos, pour cette seule et unique raison qu’elles exigent d’avoir les mêmes droits que les hommes, de bénéficier de la même amplitude de possibilités existentielles qu’eux. Si l’on prend cela en considération, le terme de « virago » n’est insultant que d’un point de vue antiféministe et à proportion de la valeur que l’on accorde à la féminité prescrite, celle de l’épouse douce et docile, notamment. Pour ma part, j’imagine assez bien Olympe de Gouges, qui n’était pas dénuée de l’art de la répartie ironique, pratiquer le retournement de l’insulte ou du stigmate (voir en annexe la réponse qu’aujourd’hui l’on pourrait faire à Chaumette).
Elle n’hésitait d’ailleurs pas à déclarer qu’elle se faisait homme puisque les hommes disposaient de plus de droits - « Je crois qu’on nous a chargées de ce qu’il y avait de plus frivole et que les hommes se sont réservé le droit aux qualités essentielles. Dès ce moment je me fais homme ! ». Elle a dit aussi qu’elle était femme et homme .
L’emploi du terme « femme-homme » par Chaumette est tout particulièrement intéressant. La première occurrence répertoriée de l’adjectif « féministe » se trouve justement dans L’Homme-femme (1872)d’Alexandre Dumas-fils, connu, observe Geneviève Fraisse, « pour son attitude passionnelle à l’égard des revendications des femmes de son temps ». Dans cette brochure, ce misogyne effréné dépeint comme dévirilisé un époux qu’il qualifie de « féministe » parce qu’il se refuse à révoquer sa femme adultère. L’ouvrage, qui plaide en faveur du divorce, s’achève par un appel au meurtre des femmes infidèles tant qu’il n’est pas possible de se séparer d’elles légalement (voir en annexe un extrait de L’homme-Femme). En l’occurrence, Alexandre Dumas n’est pas le premier à associer dévirilisation et féminisme. En 1871, le terme « féminisme » intitulait une thèse de médecine - Du féminisme et de l’infantilisme chez les tuberculeux – soutenue par Ferdinand-Valère Faneau de la Cour, « élève du professeur Jean Lorain, en fait le véritable auteur du mot nouveau », précise Geneviève Fraisse . Le terme « féminisme », dans cette acception pathologisante – qui ne perdura que quelques décennies – désigne une apparence féminine, « un défaut de virilité chez des sujets masculins » .
Dans les vocabulaires médical et politique, le féminisme désigna donc d’abord une dévirilisation des hommes, considérée comme a-normale et soit comme pathologique, soit comme résultant de la domination « contre nature » d’une femme. Le glissement des hommes féminisés aux femmes virilisées s’effectue d’autant plus aisément que la confusion des sexes, jugée anti-érotique, est cela même que déclare craindre le genre dominant dès que le genre dominé prend la parole dans l’espace public (voir en annexe, La peur de la confusion des sexes). L’on notera que ce glissement permet aussi de maintenir la domination en territoire viril, puisque les dominantes sont et ne peuvent être que des femmes virilisées.
En s’appropriant, en 1882, le terme « féministe », la suffragiste Hubertine Auclerc (1848-1914) renverse le stigmate, qui vise à faire craindre aux femmes la perte de leur potentiel de séduction si elles se refusent à demeurer subalternes.
Bref, c’est un classique de l’antiféminisme que de caricaturer les féministes en viragos et en castratrices. Aujourd’hui, d’ailleurs, certaines détractrices du genre, telle Farida Belghoul, prêtent aux partisanEs des études de genre le projet de castrer les garçons …
Olivier Blanc : Au lendemain de l’exécution d’Olympe de Gouges, Chaumette s’adresse aux républicaines par ces mots :
Rappelez-vous cette virago, cette femme-homme, l’impudente Olympe de Gouges qui, la première, institua des sociétés de femmes, qui abandonna les soins de son ménage, voulut politiquer et commit des crimes ! (…) Tous ces êtres immoraux ont été anéantis sous le fer vengeur des lois ; et vous voudriez les imiter ? Non, vous sentirez que vous ne serez intéressantes et vraiment dignes d'estime que lorsque vous serez ce que la nature a voulu que vous fussiez. Nous voulons que les femmes soient respectées, c’est pourquoi nous les forcerons à se respecter elles-mêmes. »
À Madame de Gouges, après avoir lu une de ses comédies
J'ai lu votre heureux badinage, Où l'esprit joint à la raison, A pris de chaque personnage Et le caractère et le ton.
En admirant votre génie, J'ai cru, pardonnez mon erreur, Que d'être encor jeune et jolie Vous n'aviez pas du moins l'honneur.
J'ai cru voir un visage étique, Des traits par le temps sillonnés, Sur le front une coëffe antique, Et les lunettes sur le nez.
A votre aspect, mon erreur cesse, Je vois sous un chapeau de fleurs La plus riante jeunesse Les appas les plus séducteurs
Dans des yeux où se peint votre âme, Plus brillans que ceux de Cypris, Je vois étinceler la flamme Qui nous brûle dans vos écrits.
Je vois la main d'une Bergère, Des doigts mignons faits pour cueillir La rose qui croît à Cythère Et pour caresser le plaisir.
Je dis alors dans mon ivresse Que si, comme il est très certain, Vos écrits méritent la presse, Vos traits sont dignes du burin .
Lorsque la regrettée Giesela Thiele-Knobloch parle de « gynandrie » au sujet d’Olympe, elle fait allusion à sa posture d’affrontement comme femme de lettres puis comme femme politique pendant la Révolution où, sortant du rôle traditionnel de la femme-domestique, elle s’expose et fait l’expérience du mépris et de la haine, aussi bien de la part d’hommes que de femmes. Pour Gisela Thiele, « la veuve Aubry se rendit compte qu’en tant que ‘femme et auteur’, elle aurait besoin d’une identité particulière. Ni son prénom féminin (et par là même presque « naturellement » discriminatoire, « Marie », ni le nom de son patronyme ‘Gouze’ ni le nom de son feu mari, ‘Aubry’ , n’auraient pu lui fournir cette identité. C’est donc d’abord pour souligner cette matrilinéarité perdue depuis l’âge de pierre qu’Olympe de Gouges s’appropria le second prénom de sa mère qu’elle chérissait, Olympe.Mais ce très beau et très rare prénom n’est pas uniquement un prénom féminin, il se réfère aussi au séjour des dieux grecs.Avant même de prendre la plume dans les années 1770-1775, Olympe de Gouges réclamait donc déjà une sorte de gynandrie mentale ; elle se destinait à être elle-même cet être ambigu « animal amphibie ni femme ni homme » prétendu auteur d’un pamphlet contre Robespierre . Cependant le public masculin et féminin ne comprit ni ne toléra ses aspirations. Elle fut tout simplement traitée de virago. Au siècle suivant, une auteure devait prendre le pseudonyme masculin de George Sand. Plus tard encore Colette publia ses livres sous le nom de son père, nom qui était certes un prénom féminin mais pas celui de l’auteure. »
Les révolutionnaires contre les femmes qui oublient « les vertus de leur sexe »
On se servit de l’exécution de Mme de Gouges peu après Marie- Antoinette le 16 octobre, suivie de celle Mme Roland le 8 novembre, pour inviter les Françaises à se détourner des affaires publiques : « Olympe de Gouges, lisait-on dans la Feuille du Salut public du 17 novembre, née avec une imagination exaltée, prit son délire pour une inspiration de la nature. Elle commença par déraisonner et finit par adopter le projet des perfides qui voulaient diviser la France : elle voulut être homme d'État et il semble que la loi ait puni cette conspiratrice d'avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe .»
Les mêmes jours, le procureur de la Commune, Pierre-Gaspard Chaumette, invitait les membres du club des Jacobins à méditer sur cette exécution qui avait valeur d'exemple : « Rappelez-vous cette virago, cette femme-homme, l'impudente Olympe de Gouges qui, la première, institua des sociétés de femmes, qui abandonna les soins de son ménage, voulut politiquer et commit des crimes ! » Et il poursuivait en s'adressant plus particulièrement aux femmes des Jacobins : « Tous ces êtres immoraux ont été́ anéantis sous le fer vengeur des lois ; et vous voudriez les imiter ? Non, vous sentirez que vous ne serez intéressantes et vraiment dignes d'estime que lorsque vous serez ce que la nature a voulu que vous fussiez. Nous voulons que les femmes soient respectées, c'est pourquoi nous les forcerons à se respecter elles-mêmes. » Le ton était donné, et ce discours de Chaumette, morceau d'anthologie de l'histoire des femmes en France, marque l'ouverture de la période de recul et d'effacement des Françaises dans la société civile et politique pendant plus d'un siècle et demi.
Olivier Blanc
Extrait du chapitre X d'Olympe de Gouges, Des droits de la femme à la guillotine, p. 227.
Le retournement du stigmate
Sylvia Duverger
La peur de la confusion des sexes
Lorsque la peur habite le démocrate, il faut le rassurer. Le démocrate a peur, dès la Révolution française, lorsqu’il imagine que l’identité́ des hommes, leur similitude, ne peut, sans dommages, s’appliquer aux femmes. Et si l’égalité́ politique détruisait l’amour ? Et si la confusion s’introduisait dans la différence et le partage des sexes ? Abolir la dualité́ des sexes est une crainte de l’imaginaire démocratique, hier avec la citoyenneté́ des femmes, aujourd’hui avec le Pacte de solidarité́. La similitude, fondement de l’égalité́ possible, serait la porte ouverte à l’indétermination, par essence dangereuse, mortifère. À deux siècles de distance, la peur de la confusion est la même.
Geneviève Fraisse
Extrait de « La peur des démocrates » in A côté du genre
Extrait d’une conférence prononcée par Geneviève Fraisse au cours de la session 2012 des Semaines sociales de France, « Hommes et femmes, la nouvelle donne »
On imagine volontiers que la peur de la confusion des sexes vient de la modernité sexuelle et de l’émancipation des femmes contemporaines. En réalité, cette question se pose depuis deux siècles . Le néologisme "féminisme" est né en France à la fin du Second empire, dans les années 1860-70, dans le vocabulaire médical. Il désigne le jeune garçon qui, pour cause d’arrêt de son développement, reste "féminin". Ce terme va vite passer dans le langage politique, avec Alexandre Dumas fils, qui dit, à propos du divorce, en 1872 : "Les féministes... passez-moi ce néologisme." Le mot féminisme bascule alors dans le politique et désigne des femmes qui ressemblent à des hommes, telle la virago. La représentation de l’émancipation se fait à travers l’idée que les femmes veulent se transformer en hommes.En conséquence, le féminisme, que ce soit dans le langage médical ou politique, c’est l’autre sexe présent dans un sexe, comme s’il pouvait y avoir une inversion possible.
En fait, la peur de la confusion des sexes apparaît au moment où l’on commence à raisonner en termes de démocratie et non plus de monarchie. Dans une monarchie, vous pouvez tolérer les exceptions, une exception ne confirme pas la règle. Une femme de lettres comme Madame de Staël peut assumer son unicité. Mais dès lors que l’on passe dans un système du "pour tous", ce qui fait exception peut faire règle. Que fait-on alors de la différence des sexes ? Les révolutionnaires vont rencontrer cette question de façon à la fois philosophique et existentielle. Dès le lendemain de la Révolution, elle se pose chez les écrivains, notamment chez Senancour : mais alors, vous allez remplacer l’amour par l’amitié ! Il nous faut garder la différence des sexes pour l’amour, et surtout l’altérité, sans quoi il n’y aura plus que de l’amitié entre les hommes et les femmes. Évidemment, le maintien de la hiérarchie des sexes est à l’horizon ! À l’inverse, quelques années plus tard, Stendhal, dans son essai De l’amour soutient que rien n’empêchera un rossignol de chanter au printemps. Cette différence n’est donc pas si malmenée par la similitude hommes/femmes, similitude supposée par la représentation de la démocratie. La peur de la confusion, la question de l’amour comme étant la référence de l’altérité des sexes sont donc posées au point de départ de notre histoire démocratique.Dans les débats que nous avons aujourd’hui, il nous faut donc reprendre la question du fondement, y compris sexuel, au regard d’un régime politique.
Geneviève Fraisse
Extrait d'un entretien sur Olympe de Gouges entre Graciela Barrault, responsable du Musée virtuel Olympe de Gouges 2.0, et Geneviève Fraisse.
Un extrait de L’Homme-Femme d’Alexandre Dumas fils
« Je lègue mon cœur à la Patrie, ma probité aux hommes (ils en ont besoin) ; mon âme aux femmes, je ne leur fais pas un don indifférent ; mon génie créateur aux auteurs dramatiques, il ne leur sera pas inutile, surtout ma logique théâtrale au fameux Chénier ; mon désintéressement aux ambitieux ; ma philosophie aux persécutés ; mon esprit aux fanatiques ; ma religion aux athées ; ma gaîté́ franche aux femmes sur le retour et tous les pauvres débris qui me restent d'une fortune honnête à mon héritier naturel, à mon fils s'il me survit. »
A lire en plus, Christine Bard, « les usages politiques de l’histoire des femmes », Archives du féminisme, université d’Angers et Institut universitaire de France
Christine Bard, « La peur rancie de l’indifférenciation sexuelle », Le Monde, 7 février 2014
Sur Olympe de Gouges
entretiens avec Olivier Blanc :
Olympe de Gouges, une résistante à la Terreur ; compléments (extraits de l'ouvrage d'Olivier Blanc) ; Olympe de gouges était-elle royaliste ?
Articles d'Olivier Blanc
Olympe de Gouges, une femme persécutée qui n'avait que de l'humanité à opposer au cynisme
Olympe de Gouges, une féministe, une humaniste, une femme politique
Article de Geneviève Fraisse : Olympe de Gouges et la subversion dans l'histoire
Entretien de Graciela Barrault avec Geneviève Fraisse : Olympe de Gouges, auteure autodidacte ; La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne commentée par Geneviève Fraisse
Entretien de Sylvia Duverger avec Geneviève Fraisse : Olympe de Gouges et la symbolique féministe
Article de Sylvia Duverger : "J'ai tout prévu, je sais que ma mort est inévitable"
Sur la question de la panthéonisation, Mona Ozouf, Rousseau, Olympe de Gouges et trois résistantes, par S. Duverger et O. Blanc
Catherine Marand-Fouquet, Des femmes au Panthéon : Mona Ozouf a encore frappé
Sur le Musée virtuel Olympe de Gouges 2.0, entretien avec Graciela Barrault (1) et (2)
Pièces de théâtre sur Olympe de Gouges
Sur Terreur Olympe de Gouges d'Elsa Solal, mise en scène par Sylvie Pascaud
Olympe de Gouges porteuse d'espoir, d'Annie Vergne et de Clarissa Palmer